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IN THE MOOD FOR DEAUVILLE 2025 - Page 3

  • 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - critique de INCEPTION de Christopher Nolan

    Comme je vous le disais dans mon article présentant le programme de cette 50ème édition, les organisateurs ont eu la bonne idée de programmer 50 chefs-d'œuvre du cinéma américain parmi lesquels Inception de Christopher Nolan à (re)découvrir ce 10 septembre à 15h au Morny.

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    Leonardo DiCaprio y incarne Dom Cobb un voleur expérimenté et talentueux d’un genre très particulier. Il est ainsi le meilleur dans l’art périlleux de l’extraction de rêves. Ses talents sont sollicités pour de l’espionnage industriel. Traqué dans le monde entier pour un crime qu’il n’a pas commis, il ne peut plus retourner dans son pays d’origine ni revoir ses enfants. La seule issue pour lui qui lui permettrait de retrouver sa vie d’avant : c’est d’accomplir l’impossible, l’inception, pour le compte d’un riche homme d’affaires Saito (Ken Watanabe). Cette fois il ne s’agira plus de subtiliser un rêve mais d’implanter une idée dans l’esprit de l’héritier d’une multinationale, Fischer (Cillian Murphy) pour qu’il renverse l’empire édifié par son père. Pour cela, tel Jim Phelps, il va constituer une équipe notamment composée de l’architecte des rêves, la jeune étudiante Ariadne (Ellen Page), d’Arthur (Joseph Gordon-Lewitt), Eames (Tom Hardy), Yusef (Dileep Rao). L’opération se révèle d’autant plus délicate que Cobb est hanté par le souvenir de sa femme, la troublante Mal (Marion Cotillard)…

     

     Subtiliser et manipuler les rêves. Implanter une idée. Quelle belle promesse d’un voyage unique pour le spectateur. Quel synopsis  d’une inventivité et d’une audace rarement égalées dans un cinéma de plus en plus frileux. Promesse plus que tenue : ces voleurs de rêves dès le premier plan subtilisent notre attention pour ne plus la lâcher jusqu’au dernier. Christopher Nolan porte le cinéma à son plus haut niveau en construisant un concept et un univers improbables à partir de rien et en nous y faisant totalement adhérer. Un blockbuster avec toute la richesse, la complexité et la confiance dans le spectateur, généralement davantage (et à tort) attribuées au film d’auteur.

     

     Par un astucieux effet de mise en abyme, Christopher Nolan se fait l’architecte de notre rêve comme l’équipe de Cobb le fait pour Fischer. Cobb est le réalisateur de cette mission impossible, l’inception. Il est hanté par son passé comme un cinéaste parsème son film de souvenirs plus ou moins conscients. Je ne vous dirai pas si Cobb réussit sa mission mais celle de Nolan est en tout cas plus que réussie. N’est-ce pas là la plus belle mission du cinéma que de nous faire partager un rêve ? Le spectateur est en totale symbiose avec ce que vivent les personnages jusqu’à cette impression de chute qui les réveille des rêves qu’ils construisent et qu’il nous arrive à nous aussi (à moi en tout cas) d’avoir au réveil. Christopher Nolan nous plonge ainsi dans les méandres fascinants du subconscient mais aussi dans ceux de la réalisation cinématographique dont ils sont la métaphore.  

     A la manière des films d’espionnage dont il dit s’être inspiré, Christopher Nolan nous immerge dès le début en pleine action comme ces rêves dont vous ne vous souvenez plus du début et qui commencent sur une plage, comme ici, ou ailleurs.  Il nous embarque alors aux quatre coins du monde, plus exactement dans six pays sur quatre continents différents (Tokyo, Los Angeles, Londres, Tanger, Paris, Calgary sont ainsi les différents lieux de tournage) pour un voyage sans cesse surprenant.

     Plutôt que de bâtir un univers science-fictionnel qui nous aurait été totalement étranger le cinéaste a préféré donner réalité et réalisme à l’insaisissable, aux rêves, pour que nous nous immergions plus facilement dans son univers et pour que  celui-ci nous paraisse familier et pour que l’idée de ces différents niveaux de rêves, si abstraite et complexe a priori, soit simple et limpide à l’écran. Quelle gageure que de parvenir à cela. Un puzzle dont le spectateur est aussi l’artisan et dont Aria(d)ne détient le fameux fil. La mémoire, la distorsion du temps, l’illusion autant de thèmes que Christopher Nolan avait déjà abordés dans ses précédents films et dont il décèle ici le meilleur.

     Au-delà de l’immense talent de metteur en scène et de scénariste de Christopher Nolan l’interprétation est aussi remarquable, en particulier celle de Leonardo DiCaprio qui confirme être le meilleur acteur de sa génération et qui, après Shutter Island (avec lequel ce film présente d’ailleurs de nombreux points communs, ce qui est un compliment puisque « Shutter Island » était pour moi jusqu’à présent le meilleur film de l’année ), montre encore un nouveau visage et un jeu toujours aussi captivant, intense, entremêlant subtilement une foule d’émotions, parfois dans une même scène. Impossible aussi de ne pas évoquer la musique de Hans Zimmer qui dans le dernier plan fait surgir une irrépressible émotion avec une force rare qui m’a réellement faîte chavirer.

     Un film inclassable qui ne mêle pas seulement les dimensions mais aussi les genres : film d’amour avec sa femme fatale et ses sentiments éternels et obsédants, thriller, film d’action (bien sûr de spectaculaires explosions mais aussi des prouesses architecturales que je vous laisse découvrir), film de science-fiction, voyage cathartique. Un film gigogne d’une rare ingéniosité, sinueux et étourdissant. Un dédale de rêves : sans doute est-ce la plus belle définition du cinéma auquel il rend hommage et dont il est le miroir.

     Plus qu’un film, une expérience vertigineuse, dont le dernier plan, même après une seconde projection, m’a laissée en apesanteur, comme grisée par un tour de manège délicieusement enivrant. A l’image des idées toujours fixées sur le subconscient un film qui vous laisse une empreinte inaltérable. Un film qui se vit plus qu’il ne se raconte, qui nous plonge en plein rêve.

     La quintessence du cinéma : un rêve partagé qui distord le temps, défie la mort. Enfin il nous rappelle ce que nous ne devrions pas oublier ou craindre : ne jamais avoir peur de rêver trop grand.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2024 - Conversation avec James Gray

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    Un des évènements de cette 50ème édition auquel il était pour moi impossible de ne pas assister était la conversation avec James Gray animée par Gaël Golhen. En sep­tembre 1994, le cinéaste américain marquait les festivaliers deauvillais avec Little Odessa pour lequel le festival lui avait décerné le prix de la critique internationale.

    Depuis, son œuvre singulière l'a imposé comme un des cinéastes majeurs du cinéma américain, en seulement 8 longs métrages, toujours à la frontière entre cinéma de studio et cinéma indépendant.

    Récemment, il était venu présenter à Deauville Armageddon time dont je vous avais dit, ici, tout le bien que j'en pensais.

    L’intégralité de sa fil­mo­gra­phie est éga­le­ment pro­je­tée pen­dant le festival.

    Voici quelques extraits de cette passionnante master class lors de laquelle il a évoqué Alain Delon, Donald Trump, et évidemment sa propre filmographie :

    « On demande tout le temps aux artistes de résoudre des échecs sociaux ou politiques mais notre rôle est de communiquer la beauté, ce qui transcende tout cela. Transcender la réalité. »

    « La beauté pour moi, c'est Gene Hackman, il faisait voir son âme, il offrait son âme et c'est cela qui faisait apparaître la beauté dans son jeu. »

    « Pour moi, dans le monde industriel, les sociétés modernes, il y a un autoritarisme dangereux, on regarde l'économie le pays va bien, il y a des types affreux qui monopolisent la parole. Le problème vient du déclin de la religion, cela a créé un vide. On demande à des artistes de remplir ce vide. Beaucoup de gens sont en colère qu'ils n'arrivent pas à verbaliser. Le cinéma est important pour faire passer un message d'authenticité, des sentiments plus que de la vérité. »

    « Les films de super héros sont des films comme Mac Do, on les consomme très vite et oublie très vite. Alain Delon donne envie de trouver le milieu entre le grand spectacle d »connecté de la réalité et l'authenticité. Transcender tout cela pour faire voir d'une autre manière la laideur qui nous entoure. »

    « Pour moi, cinéma américain et français ne sont pas antinomiques. Dans les studios américains, à une certaine époque les réalisateurs étaient nés en Europe et ont émigré aux États-Unis donc ces cinéastes avaient une sensibilité européenne et l'esprit le poids de l'histoire. »

    « Au moment du covid, j'ai eu envie de lire des choses que je n'avais pas lues et de redécouvrir les 7 grandes pièces de Sophocle dont Ajax qui, bien que très ancienne, est complètement d’actualité, elle parle d'une confrontation honnête avec le conflit qui existe dans nos âmes. Elle demande d'aimer les humains pour leurs défauts et pas sûrement leurs qualités. Le rôle d'un artiste est de faire aimer les humains pour ce qu'ont de plus imparfait. »

    « L'artiste doit trouver une corrélation objective arriver à étendre notre sens de l'empathie pour les personnages. Faire voir un conflit interne. »

    « Si vous enlevez la musique de Delerue, Le Mépris ne serait pas la moitié du film qu'il est. »

    « Parfois j'échoue. Le genre est simplement une porte d'entrée dans un système narratif. J'utilise le genre pour parler d'authenticité. Le genre me permet de m'exprimer au-delà de certains codes. Le Mépris transcende toutes les règles établies, il y a beaucoup de détails qui comptent. Si on retire la musique de Delerue on se rend compte que le film n'est plus que la moitié de ce qu'il est. »

    « Je considère l'opéra comme le plus grand moyen d'expression artistique qui existe. Des grands auteurs d'opéra comme Puccini ou Verdi ne sont pas contraints par le poids du réalisme.  Je ne suis pas un fan d'opéra depuis le tout début. J'y suis arrivée à 25ans, 30ans. Je m'en suis servi dans The Yards. J'ai voulu atteindre cette sincérité. Pour moi l'opéra était une grande source d'inspiration. La Traviata de Verdi : moi Verdi a voulu inclure tout l'éventail des émotions humaines. »

    « J'aime le blues, le jazz, le rock jusqu'à 1985, les débuts du hip hop. J'aime un peu tout. »

    « Pour moi Trump violé tous les principes et idées qui sont miennes. C'est l'exact antithèse de ce pourquoi je vis. »

    Lien permanent Catégories : MASTER CLASS 0 commentaire Imprimer Pin it!
  • 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de ARMAGEDDON TIME de James Gray

    A l'occasion de l'hommage à James Gray qui a eu lieu hier soir au CID, aujourd'hui, au Morny, à 15h, sera projeté Armageddon time qui avait d'ailleurs été présenté en Première à Deauville, en 2022. Je vous recommande vivement ce film dont vous retrouverez ma critique ci-dessous.

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    Après sa projection en compétition officielle à Cannes (dont il est reparti une fois de plus bredouille, et une fois de plus injustement), le huitième film de James Gray, Armageddon time, était ainsi projeté en avant-première dans le cadre de la section A l’heure de la Croisette du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022. J

    Le (grand) cinéma est affaire de points de vue comme celui de James Gray dont le regard aiguisé se pose avec tellement de sensibilité sur les êtres que, dès les premiers plans, il vous captive même par une scène en apparence anodine dans une salle de classe. Celle du jeune Paul Graff (Michael Banks Repeta) qui vit dans le Queens, là où le cinéaste lui-même a habité dans son enfance. Alors que se profile l'arrivée de Reagan au pouvoir, Paul amoncèle les bêtises avec son ami Jonathan (Jaylin Webb). Il devra changer d'école et se retrouvera ensuite dans l’établissement scolaire au siège d'administration duquel siègent plusieurs membres de la famille Trump dont Fred, le père de Donald. Ses parents, Esther (Anne Hathaway) et Irving (Jeremy Strong), sont démunis face à ce fils pour lequel ils rêvent de réussite. Seul son grand-père (Anthony Hopkins) semble le comprendre…

    Si James Gray a toujours raconté des histoires de famille déchirées, il recourait toujours au masque du polar ou du film noir pour les évoquer même si The Immigrant (un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin) était déjà inspiré des souvenirs de ses grands-parents, juifs ukrainiens arrivés aux États-Unis en 1923 dont l'histoire est ici à nouveau contée par le grand-père de Paul. Cette fois, James Gray lève le masque pour raconter une histoire très personnelle inspirée de son enfance.

    En quelques plans, quelques phrases, notamment lors d'une séquence de dîner exemplaire (qui n'est pas sans rappeler une des premières scènes de Two lovers), James Gray croque chacun des personnages, leurs forces et fragilités et leurs relations, ou du moins telles qu'ils veulent qu'elles apparaissent.

    Comme le monde dans lequel il évolue, le jeune Paul est en plein chambardement, vers l'âge adulte. S'il perd une part de son innocence, il y gagne ses raisons d'être un artiste : le désir de liberté et surtout de justice sous l'influence de son grand-père. Avec une extrême délicatesse, James Gray filme la relation de Paul avec  ce dernier interprété par Anthony Hopkins et avec son ami Jonathan, abandonné de tous, victime d'un racisme plus ou moins latent et de l’indifférence sociale.

    James Gray cherche à comprendre les raisons de chacun y compris celles du père violent de Paul et y compris les siennes qui le poussèrent à devenir cinéaste. Comme dans chacun de ses films, l'apparent, volontaire et relatif manichéisme initial n'est en effet là que pour laisser peu à peu place à des personnages infiniment nuancés et infiniment touchants qui essaient de vivre tant bien que mal malgré les plaies béantes, de l’existence et surtout de l’enfance.

    La nuit nous appartient, pouvant sembler de prime abord manichéen, se dévoilait ainsi progressivement comme un film poignant constitué de parallèles et de contrastes savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.  Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

    La fin de l’enfance et de l’innocence est aussi celle d’un monde tout entier pour celui qui la vit, comme le jeune Paul dans Armageddon time, la fin de l'appréhension de la vie comme manichéenne (l'apparent manichéisme, on y revient), qui lui apprend les compromis que nécessite l’existence, que la frontière entre le bien et le mal est parfois si floue. C’est son « Armageddon time » en écho avec l’actualité d’alors, la peur d’une guerre nucléaire. C’est pour lui l’amère découverte de ses propres limites, de la trahison, de l’apprentissage de la mort, du racisme, des injustices. La mort du grand-père tant aimé, c’est la fin de cette part de rêve, et du sentiment d’éternité et d’invincibilité, la prise de conscience de la finitude des choses.

    La sublime photographie de Darius Khondji aux accents automnaux renforce la sensation de mélancolie qui se dégage du film, douce puis plus âpre. James Gray filme l’intime avec grandeur et lui procure un souffle romanesque et émotionnel unique. Le jeune Michael Banks Repeta est absolument bluffant, et quel duo avec Anthony Hopkins qui incarne le personnage lumineux du grand-père après son rôle dans The Father où il redevenait lui-même cet enfant secoué de sanglots, prisonnier de sa prison mentale et de son habitation carcérale. Quelles images sublimes que celles du grand-père et du petit-fils dans cette lumière automnale, déclinante, et crépusculaire. Sublime et fascinante comme un dernier et vibrant sursaut de vie. James Gray n'a pas son pareil pour faire surgir l'émotion par un simple regard à travers la vitre, et vous bouleverser sans pour autant recourir à des facilités ou ficelles mélodramatiques. Une scène entre le père et le fils dans la voiture est aussi un exemple de subtilité, de nuance, d’émotion contenue.

    Un film d’une tendre cruauté et d’une amère beauté, vous disais-je à propos de Two lovers. C’est à nouveau ainsi que je pourrais qualifier ce film. J’en profite donc pour vous recommander à nouveauTwo lovers  (à voir aussi cette semaine au Festival Lumière de Lyon), ce thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments, enivrants, qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Avec en plus cette merveilleuse bo entre jazz et opéra (même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, Una furtiva lagrima que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen, Match point, dans lequel on trouve la même élégance dans la mise en scène et la même dualité entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski, Crime et châtiment dans le film de Woody Allen, Les Nuits blanches dans Two lovers), un film dans lequel James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film, à fleur de peau, d’une mélancolie, d’une poésie et d’une beauté déchirantes. Je pourrais en dire de même de Armageddon time qui, comme chacun de ses sept films précédents, témoigne de toute la sensibilité, la dualité, la complexité, la richesse du cinéma de James Gray. 

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  • 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de ARMAGEDDON TIME de James Gray

    A l'occasion de l'hommage à James Gray qui a eu lieu hier soir au CID, aujourd'hui, au Morny, à 15h, sera projeté Armageddon time qui avait d'ailleurs été présenté en Première à Deauville, en 2022. Je vous recommande vivement ce film dont vous retrouverez ma critique ci-dessous.

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    Après sa projection en compétition officielle à Cannes (dont il est reparti une fois de plus bredouille, et une fois de plus injustement), le huitième film de James Gray, Armageddon time, était ainsi projeté en avant-première dans le cadre de la section A l’heure de la Croisette du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022. J

    Le (grand) cinéma est affaire de points de vue comme celui de James Gray dont le regard aiguisé se pose avec tellement de sensibilité sur les êtres que, dès les premiers plans, il vous captive même par une scène en apparence anodine dans une salle de classe. Celle du jeune Paul Graff (Michael Banks Repeta) qui vit dans le Queens, là où le cinéaste lui-même a habité dans son enfance. Alors que se profile l'arrivée de Reagan au pouvoir, Paul amoncèle les bêtises avec son ami Jonathan (Jaylin Webb). Il devra changer d'école et se retrouvera ensuite dans l’établissement scolaire au siège d'administration duquel siègent plusieurs membres de la famille Trump dont Fred, le père de Donald. Ses parents, Esther (Anne Hathaway) et Irving (Jeremy Strong), sont démunis face à ce fils pour lequel ils rêvent de réussite. Seul son grand-père (Anthony Hopkins) semble le comprendre…

    Si James Gray a toujours raconté des histoires de famille déchirées, il recourait toujours au masque du polar ou du film noir pour les évoquer même si The Immigrant (un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin) était déjà inspiré des souvenirs de ses grands-parents, juifs ukrainiens arrivés aux États-Unis en 1923 dont l'histoire est ici à nouveau contée par le grand-père de Paul. Cette fois, James Gray lève le masque pour raconter une histoire très personnelle inspirée de son enfance.

    En quelques plans, quelques phrases, notamment lors d'une séquence de dîner exemplaire (qui n'est pas sans rappeler une des premières scènes de Two lovers), James Gray croque chacun des personnages, leurs forces et fragilités et leurs relations, ou du moins telles qu'ils veulent qu'elles apparaissent.

    Comme le monde dans lequel il évolue, le jeune Paul est en plein chambardement, vers l'âge adulte. S'il perd une part de son innocence, il y gagne ses raisons d'être un artiste : le désir de liberté et surtout de justice sous l'influence de son grand-père. Avec une extrême délicatesse, James Gray filme la relation de Paul avec  ce dernier interprété par Anthony Hopkins et avec son ami Jonathan, abandonné de tous, victime d'un racisme plus ou moins latent et de l’indifférence sociale.

    James Gray cherche à comprendre les raisons de chacun y compris celles du père violent de Paul et y compris les siennes qui le poussèrent à devenir cinéaste. Comme dans chacun de ses films, l'apparent, volontaire et relatif manichéisme initial n'est en effet là que pour laisser peu à peu place à des personnages infiniment nuancés et infiniment touchants qui essaient de vivre tant bien que mal malgré les plaies béantes, de l’existence et surtout de l’enfance.

    La nuit nous appartient, pouvant sembler de prime abord manichéen, se dévoilait ainsi progressivement comme un film poignant constitué de parallèles et de contrastes savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.  Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

    La fin de l’enfance et de l’innocence est aussi celle d’un monde tout entier pour celui qui la vit, comme le jeune Paul dans Armageddon time, la fin de l'appréhension de la vie comme manichéenne (l'apparent manichéisme, on y revient), qui lui apprend les compromis que nécessite l’existence, que la frontière entre le bien et le mal est parfois si floue. C’est son « Armageddon time » en écho avec l’actualité d’alors, la peur d’une guerre nucléaire. C’est pour lui l’amère découverte de ses propres limites, de la trahison, de l’apprentissage de la mort, du racisme, des injustices. La mort du grand-père tant aimé, c’est la fin de cette part de rêve, et du sentiment d’éternité et d’invincibilité, la prise de conscience de la finitude des choses.

    La sublime photographie de Darius Khondji aux accents automnaux renforce la sensation de mélancolie qui se dégage du film, douce puis plus âpre. James Gray filme l’intime avec grandeur et lui procure un souffle romanesque et émotionnel unique. Le jeune Michael Banks Repeta est absolument bluffant, et quel duo avec Anthony Hopkins qui incarne le personnage lumineux du grand-père après son rôle dans The Father où il redevenait lui-même cet enfant secoué de sanglots, prisonnier de sa prison mentale et de son habitation carcérale. Quelles images sublimes que celles du grand-père et du petit-fils dans cette lumière automnale, déclinante, et crépusculaire. Sublime et fascinante comme un dernier et vibrant sursaut de vie. James Gray n'a pas son pareil pour faire surgir l'émotion par un simple regard à travers la vitre, et vous bouleverser sans pour autant recourir à des facilités ou ficelles mélodramatiques. Une scène entre le père et le fils dans la voiture est aussi un exemple de subtilité, de nuance, d’émotion contenue.

    Un film d’une tendre cruauté et d’une amère beauté, vous disais-je à propos de Two lovers. C’est à nouveau ainsi que je pourrais qualifier ce film. J’en profite donc pour vous recommander à nouveauTwo lovers  (à voir aussi cette semaine au Festival Lumière de Lyon), ce thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments, enivrants, qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Avec en plus cette merveilleuse bo entre jazz et opéra (même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, Una furtiva lagrima que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen, Match point, dans lequel on trouve la même élégance dans la mise en scène et la même dualité entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski, Crime et châtiment dans le film de Woody Allen, Les Nuits blanches dans Two lovers), un film dans lequel James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film, à fleur de peau, d’une mélancolie, d’une poésie et d’une beauté déchirantes. Je pourrais en dire de même de Armageddon time qui, comme chacun de ses sept films précédents, témoigne de toute la sensibilité, la dualité, la complexité, la richesse du cinéma de James Gray. 

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  • 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville – Première – NI CHAÎNES NI MAÎTRES de Simon Moutaïrou

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    En ce deuxième jour du 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, ce film courageux, puissant, audacieux et sensoriel de Simon Moutaïrou a indéniablement marqué les esprits. Scénariste (notamment des remarquables Goliath et Boîte noire), pour son premier long métrage en tant que réalisateur, Simon Moutaïrou n’a pas choisi la facilité. Parmi un impressionnant casting figure le président du jury de ce 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, Benoît Magimel, qui incarne un personnage particulièrement antipathique, mais toujours avec le même talent et la même intensité.

    1759. Isle de France (actuelle île Maurice). ​Massamba (Ibrahima Mbaye) et Mati (Anna Thiandoum), esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet (Benoît Magimel), vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire (Camille Cottin), célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.

    Le cinéaste a choisi d’aborder un sujet dont le cinéma français s’est peu emparé : celui des « marrons », ces esclaves fugitifs qui ont eu le courage de briser leurs chaines.

    C’est d’abord un film de contrastes, entre le décor paradisiaque de l’île Maurice, et les horreurs indicibles dont sont victimes les esclaves. Entre le vert et le bleu de l’île, et le rouge de leur sang. Le chef opérateur Antoine Sanier a ainsi créé une réalité hallucinée, presque fantastique, avec une aura magique qui fait écho aux mythes et légendes.

    C’est avant tout l’histoire d’hommes qui retrouve leur fierté, l’éloge de leur courage. Les vrais héros ce sont eux. Ce sont aussi leurs visages qui clôturent le film et cette scène d’une force tragique ineffable.

    Seul Félix Lefebvre qui incarne le fils de l’esclavagiste fait preuve d’humanité. La musique d’Amine Bouhafa souligne astucieusement les moments de tension, d’horreur ou de rare accalmie.

    Une expérience entre thriller et film fantastique. Un film ambitieux et marquant. Une histoire nécessaire de dignité retrouvé portée par deux comédiens remarquables, Ibrahima Mbaye et Anna Thiandoum.

  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2024 - Critique de SING SING de Grégoire Kwedar

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    Avec Sing Sing, les projections des films en compétition de ce 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville débutent judicieusement avec une ode à l’art et sa puissance salvatrice.

    Incarcéré à la prison de Sing Sing pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G (Colman Domingo) se consacre corps et âme à l’atelier théâtre réservé aux détenus. À la surprise générale, l’un des caïds du pénitencier, Divine Eye (Clarence Maclin) se présente aux auditions…

    Ce long-métrage est inspiré de l’histoire vraie d’un détenu incarcéré à la prison de Sing Sing pour un crime qu’il n’a pas commis et qui s’investit dans un atelier de théâtre. La majeure partie des comédiens sont aussi des anciens prisonniers ayant participé à cet atelier comme Clarence Maclin, surnommé "Divine Eye".

    La photographie de Pat Scola met en lumière les lueurs d’espoir malgré les doutes, la mort, les humiliations, les regrets, les blessures, tout ce que la caméra capte au plus près des visages et des regards, sans misérabilisme. Pat Scola a tourné caméra à l’épaule des scènes improvisées au plus près des acteurs, de leurs émotions, ce qui renforce l’impression de documentaire et de vérité.

    L’art (en l’occurrence le théâtre) révèle tout son pouvoir : celui de l’évasion par la force des mots et de l’imaginaire.

    Un film poignant qui regorge d’espoir, d’humanisme, un feel-good movie jamais mièvre mais toujours intense, porté par un Colman Domingo particulièrement impressionnant de nuances et de justesse. Le seul moyen de s'échapper pour ces prisonniers est la pensée dont le film rappelle à quel point c’est sans doute la plus grande des forces, et le plus beau moyen d’élévation. Ajoutez à cela l’ombre de Shakespeare et vous obtiendrez un petit bijou du cinéma indépendant à l'issue duquel le vent de la liberté qui nous effleure et le pouvoir de l'exercer ne n'ont jamais semblé aussi  précieux.