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PALMARES - Page 2

  • Bilan détaillé (premières, compétition, hommages) et palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013

     

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    Je ne connais pas d’endroits, ou si peu, dont la beauté soit aussi agréablement versatile, dont les couleurs et la luminosité lui procurent une telle hétérogénéité de visages. Oui, Deauville a mille visages. Loin de l’image de 21ème arrondissement de Paris à laquelle on tendrait à la réduire (qu’elle est aussi, certes), ce qui m’y enchante et ensorcelle se situe ailleurs : dans ce sentiment exaltant que procurent sa mélancolie étrangement éclatante et sa nostalgie paradoxalement joyeuse. Mélange finalement harmonieux de discrétion et de tonitruance. Tant de couleurs, de visages, de sentiments que j’éprouve la sensation de la redécouvrir à chaque fois. Bien sûr, je la préfère très tôt le matin, mystérieuse, presque déserte, qui émerge peu à peu des brumes et de l’obscurité nocturnes, dans une âpre luminosité qui se fait de plus en plus évidente, incontestable et enfin éblouissante. Ou le soir, quand le soleil décline et la teinte de couleurs rougeoyantes, d’un ciel incendiaire d’une beauté insaisissable et improbable et que je m’y laisse aller à des rêveries et des espoirs insensés.

     A l’image des êtres les plus intéressants, Deauville ne se découvre pas forcément au premier regard mais se mérite et se dévoile récompensant le promeneur de sa beauté incendiaire et ravageuse aux heures les plus solitaires, avec des couleurs aux frontières de l’abstraction, tantôt oniriques, tantôt presque inquiétantes. Une journée de Festival du Cinéma Américain de Deauville idéale commence toujours pour moi par une promenade sur les planches, de préférence de bonne heure pour voir le soleil s’y lever, pour admirer la myriade de couleurs que prend alors la mer et dont sont alors auréolées les planches, pour admirer le caractère joliment versatile du paysage. Ces planches, je les ai arpentées des milliers de fois, et il me semble que la vue qui s’y donne à voir n’est jamais la même. L’émotion qu’elles me procurent est en revanche toujours au rendez-vous. Un sentiment de bien-être, une paradoxale mélancolie joyeuse. L’endroit idéal pour forger des rêves impossibles qui, peut-être disparaitront confrontés aux lueurs plus criardes de la réalité, mais naitront à nouveau le lendemain lors d’une nouvelle promenade sur ces mêmes planches à la lumière incroyablement changeante.

     Et puis il y a les cabines qui jalonnent les planches, ornées des noms des acteurs qui ont fréquenté les festivals de Deauville et qui me rappellent aussi tant de souvenirs. Parfois des chevaux galopent sur la plage. Et tout cela semble sorti tout droit d’un doux songe. Quand il ne me semble pas apercevoir la Mustang de Jean-Louis Trintignant immortalisée par Lelouch dans le sublime « Un homme et une femme » ou cette femme avec son chien qui lui a donné l’idée de ce chef d’œuvre qui a reçu tant de récompenses amplement méritées …Douce confusion entre cinéma et réalité.

     Revenue à la réalité, justement, dix jours après cette parenthèse deauvillaise enchantée dont j’ai profité avec un plaisir accru parce que le plaisir d’être dans un festival, et celui-ci en particulier, est inaltéré  parce que entre Deauville et moi, c’est une histoire de coup(s) de foudre, de passions qui n’a fait que se renforcer avec les années. J’espère vous en convaincre en revenant sur ces 12 jours marqués par une météo irréelle, par des films indépendants en compétition d’un niveau remarquable, par des hommages vibrants.

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     Les personnalités du cinéma américain, très diverses, se sont ainsi succédées  sur la scène du CID, les hommages constituant chaque année des temps forts du festival : Nicolas Cage, Michael Douglas, Steven Soderbergh, Larry Clark, Jamie Foxx, Forest Whitaker (particulièrement ému à l’issue de la projection du « Majordome », une émotion partagée par une grande partie de la salle, un grand et beau moment de cette édition qui n’en a pas été avare) de même que des blockbusters là aussi d’une grande diversité parfois (rarement) décevants mais une agréable alternative à un cinéma plus exigeant sans oublier la présence d’un Président de jury (Vincent Lindon) qui, grâce à sa générosité, son enthousiasme, sa passion du cinéma a fortement contribué à faire de ce 39ème Festival du Cinéma Américain de Deauville une édition exceptionnelle.

    Ce fut pour moi la vingtième édition et me retrouver là, découvrir des pépites, avec toujours le même enthousiasme, et un regard un peu particulier cette année puisque j’ai eu la chance de voir mon roman sur Deauville « Les Orgueilleux » et mon recueil de nouvelles « Ombres parallèles » (dont 2 nouvelles se déroulent à Deauville et avec Deauville pour couverture) publiés, témoignant de ma passion inconditionnelle et je le crains bien, incurable, pour Deauville et son festival.

    Des films en compétition  se dégageait comme chaque année une thématique commune, ceux-ci mettant ainsi souvent en scène un personnage seul, blessé, fou même parfois, épris de vengeance, et des armes à feu omniprésentes comme si l’Amérique cherchait à exorciser ce qui lui inflige des blessures quotidiennes mais dont elle semble toujours ne pas pouvoir se passer.

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     Il y eut bien sûr quelques  films dispensables (« Joe » ou encore « White house down » pour lequel il est fortement recommandé de laisser les neurones et son esprit critique au vestiaire, ce dernier présenté en présence de ses acteurs Jamie Foxx et Channing Tatum qui ont assuré le spectacle sur scène et lors de la conférence de presse), mais surtout des films attendus dont j’ai hâte de vous parler (« Le Majordome » de Lee Daniels, « Blue Jasmine » de Woody Allen dans lequel à nouveau, le cinéaste américain y fait preuve d’une étonnante jeunesse et modernité, il m’a surprise une fois de plus avec une film qui mêle ingénieusement légèreté et cruauté), et des films en compétition d’un très bon niveau, dans des genres particulièrement différents cette année, confirmant que ce festival est désormais avant tout celui du cinéma indépendant américain, du western influencé par Tarantino et les Coen (« Shérif Jackson »)  en passant par le film se déroulant pendant la guerre de Sécession (« The Retrieval ») aux traditionnels films sur l’adolescence en crise. Et le tout toujours (remarquablement) présenté par David Rault.

    Comme chaque année se dégageaient en effet de cette compétition des thématiques communes : des êtres vulnérables frappés par le destin qui, souvent l’affrontent, peut-être le signe d’une Amérique qui, malgré les blessures infligées, se relève et a retrouvé l’espoir. ». Dans tous les cas, des personnages désorientés, souvent au figuré, parfois au propre.

    « J'ai adoré les films. Pas tous, c'est vrai, et certains plus que d'autres », a déclaré le président du jury félicité par le Maire de Deauville pour « son implication, son engagement, sa générosité », il est vrai, exceptionnels. La clôture (dont vous pourrez voir ma vidéo, ci-dessous ainsi que celle de son discours d'ouverture)) fut ainsi la plus drôle et vivante qu’il m’ait été donné de voir en vingt années de Festival du Cinéma Américain de Deauville.

    Avant-premières

     

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     C’est sous un soleil et les paillettes étincelants de « Ma vie avec Liberace » de Steven Soderbergh que s’est ouvert ce 39ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. L’un comme l’autre nous ont éblouis et enthousiasmés après une ouverture mémorable grâce, notamment, à l’implication du président du jury Vincent Lindon qui, après les traditionnels discours du Maire de Deauville et de Lionel Chouchan, a tenu à faire un discours (ce qui n’arrive jamais habituellement, les présidents de jury, lors de l’ouverture, restant sagement assis sur leurs sièges) et à évoquer chacun des membres de son jury, ce qu’il a fait avec une rare élégance, avec beaucoup d’humour aussi, présentant chacun d’entre eux et livrant son admiration pour ceux-ci, évoquant également sa passion pour le cinéma américain ( se disant « amoureux du cinéma français et américain »), son bonheur (« fou de joie d’être ici ») de présider le jury, terminant son discours avec autant d’humour qu’il l’avait commencé en évoquant son « homologue » Obama. Pour le plus grand bonheur des festivaliers (et le mien), il a d’ailleurs récidivé le lendemain lors de l’hommage à Cate Blanchett. Il n’en a pas non plus oublié de parler de son admiration pour Michael Douglas et pour Steven Soderbergh, réalisateur du film d’ouverture « que le monde entier devrait voir ».

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    Le ton était donc donné. Cette 39ème édition serait sous le signe des paillettes mais aussi de la cinéphilie, de la bonne humeur, de l’enthousiasme, le tout sous un soleil presque irréel. L’irréalité est d’ailleurs une impression constante dans un festival, en particulier ici mais de cela je vous parle plus longuement et différemment ici et aussi là.

     Après cet enthousiasmant prologue, Michael Douglas et Steven Soderbergh sont ensuite montés sur scène, le premier visiblement encore très ému et « éternellement reconnaissant » que le second ait attendu que son cancer soit guéri pour le faire tourner (ce qu’il a à nouveau répété lors de la conférence de presse). L’enthousiasme était d’ailleurs visiblement contagieux vendredi soir: « Le festival du film américain, c’est le plus beau cadeau que la France a donné aux Etats-Unis après la statue de la Liberté. »a-t-il ainsi déclaré.

     Ma vie avec Liberace » était sans aucun doute le film idéal pour une ouverture de festival. Une sorte de mise en abyme qui, au-delà d’une histoire d’amour, et le portrait d’un artiste exubérant et extravagant, est aussi le reflet de ce qui se passe derrière le candélabre (le titre anglophone « Behind the Candelabra » est d’ailleurs à mon sens beaucoup plus parlant) . Derrière les paillettes. Derrière l’écran. Derrière le masque de « The Artist ».

    Michael Douglas incarne en effet ici Liberace un pianiste virtuose qui se mettait en scène autant sur scène que dans la vie « quotidienne ». Un jour de l’été 1977, le bel et jeune Scott Thorson ( Matt Damon) qui aspirait à devenir vétérinaire, pénétra dans sa loge et, malgré la différence d’âge et de milieu social, les deux hommes entamèrent une liaison secrète qui allait durer cinq ans. « Ma Vie avec Liberace » narre les coulisses de cette relation orageuse, de leur rencontre au Las Vegas Hilton à leur douloureuse rupture publique.

    Le film est une adaptation du livre de Scott Thorson, « Behind the Candelabra ». C’est Richard LaGravenese qui a écrit le scénario. Si ce nom ne vous dit rien, sachez qu’il est notamment l’auteur du scénario de « Sur la route de Madison ».

    Le film commence dans un bar. Scott est de dos, face à un miroir. Toute l’intelligence de la mise en scène de Soderbergh réside déjà dans ce premier plan, lui qui sera avant tout un reflet pour le narcissique (et non moins fascinant) Liberace destiné à l’accompagner un peu dans la lumière, mais surtout dans l’ombre.

    Le film, finalement intimiste, va se centrer sur cette relation ambivalente (Scott sera pour Liberace son -énième- « protégé », son amant, mais il a aussi émis le souhait de l’adopter), sur ces deux personnages, à ce que la caméra les étouffe parfois comme cette relation exclusive. Il y a d’ailleurs très peu de scènes en extérieur, si ce n’est dans ou autour de la piscine située dans la propriété de Liberace. Nous voilà dans l’envers du décor qui en est lui-même un d’une scintillante excentricité et que n’aurait oser imaginer le plus fou des décoracteurs hollywoodiens.

    La réalisation de Soderbergh est fluide et éblouissante sans non plus chercher à nous en mettre plein la vue, ce qui aurait d’ailleurs été superflu et redondant puisqu’il met déjà en scène un homme qui se mettait lui-même en scène.

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    Michel Douglas (au regard tristement absent lors de la conférence de presse) incarne magistralement ce personnage atypique, narcissique, cruel (il se déclare ainsi « libre » suite au décès de sa mère), constamment en représentation, mais surtout enfermé dans son image, sa course contre le temps, contre la vérité aussi, jusqu’à faire perdre à Scott son visage, son identité pour satisfaire ceux qu’il s’était forgés. Il n’en est que plus bouleversant au dénouement, le visage et les émotions à nu. Sans masque. Sans paillettes. Sans miroir. Cette fin est d’autant plus bouleversante quand on sait l’épreuve que vient de traverser Michael Douglas mais aussi que Steven Soderbergh a déclaré que ce serait son dernier film. On se demande qui mieux que Michael Douglas aurait pu incarner ce rôle tant il est parfait, n’en faisant jamais trop (ce qui aurait été forcément une faute de goût, le personnage étant déjà lui-même dans l’excès), drôle, cruel, et parfois touchant, quand le masque tombe. 

    Face à lui Matt Damon, pour sa septième collaboration avec Steven Soderberghn, après The Informant !, Contagion, Che, Ocean’s Eleven, Ocean’s Twelve, Ocean’s Thirteen ! a ici un rôle qui, je l’espère, finira par faire taire ceux qui doutaient de son talent. Si son personnage est dans l’ombre, c’est en revanche lui qui, grâce à sa justesse, permet à Michael Douglas, de nous éblouir ainsi. Signalons aussi Rob Lowe est irrésistible dans le rôle du chirurgien esthétique.

    Jugé « trop gay », le film n’a pas trouvé de distributeur aux Etats-Unis, et a donc été diffusé fin mai sur la chaîne HBO qui l’a produit, réalisant une audience record pour une production de la chaîne, avec 2,4 millions de téléspectateurs. « Je voulais faire un film qui (…) montre les progrès de l’espèce humaine, de notre pays, du monde entier, par rapport à cette question. Dans certains endroits, les unions entre personnes du même sexe sont aujourd’hui reconnues et admises. Etre gay n’est plus autant stigmatisé », a déclaré le producteur Jerry Weintraub. « Ma vie avec Liberace » n’est pas non plus un film militant mais avant tout une histoire d’amour, de masques qui tombent, de ce que dissimule le candélabre et ce visage qui cherchent à défier, masquer la vérité et le temps. En vain.

    Eblouissant et mélancolique, cette vie « derrnière le Candelabre » s’achève par un final rêvé par Scott, aussi déchirant de beauté et de tristesse que « La quête » de Brel qui l’accompagne. Poignant et étincelant. The show must go on. Celui du festival aussi.

    « Blue Jasmine » de Woody Allen

     

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    « Blue Jasmine »,de Woody Allen, le film annuel de Woody Allen devrais-je dire qui, pour mon plus grand plaisir, continue à sortir un film par an. « Blue Jasmine » a été projeté dans le cadre du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville précédé d’un hommage à l’actrice principale du film, Cate Blanchett et d’un discours du président du jury Vincent Lindon.

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    Jasmine est mariée avec Hal (Alex Baldwin), un homme d’affaires fortuné avec lequel elle vit dans une somptueuse demeure à New York. Sa vie va brusquement voler en éclats. Elle va alors quitter New York et la vie de luxe pour vivre chez sa sœur Ginger au mode de vie beaucoup plus modeste, celle-ci habitant dans un petit appartement de San Francisco et gagnant sa vie en tant que caissière de supermarché.

     Après Barcelone, Londres, Paris et Rome, Woody Allen est donc de retour aux Etats-Unis. Comme à chaque fois, le lieu  a une importance capitale. Le film commence d’ailleurs par un vol en avion. Jasmine est encore entre deux villes et deux vies. New York et San Francisco. Deux villes qui s’opposent, géographiquement, temporellement et socialement pour Jasmine puisque l’une représente le passé et la richesse, l’autre le présent et la pauvreté. Deux faces de son existence. Le film est d’ailleurs brillamment monté avec ces mêmes allers et retours dans le montage, et une alternance entre le présent et des flashbacks sur la vie passée de Jasmine.  Après l’arrivée de Jasmine dans l’appartement de sa sœur ( « C’est chaleureux » dira-t-elle avec une douce condescendance), nous découvrons en flashback la première visite de Jasmine dans la magnifique propriété de Hal.

    Chaque film de Woody Allen est une véritable leçon de scénario, sur la manière d’exposer une situation, de croquer un personnage, et surtout de traiter les sujets les plus graves avec une apparente légèreté, de passer d’un genre à l’autre. Surtout, ici magistralement, il illustre par la forme du film le fond puisque Jasmine ment constamment, y compris à elle-même, la réalisation mentant au spectateur pour nous donner une apparence de légèreté comme Jasmine cherche à s’en donner une. Toute sa vie est d’ailleurs basée sur un mensonge. Son mari est tombé amoureux de son prénom qui n’est pas vraiment le sien. L’intelligence de l’écriture se retrouve jusque dans le titre du film, finalement aussi un mensonge comme l’est toute la vie de Jasmine.

    Woody Allen manie les paradoxes comme personne et y parvient une nouvelle fois avec une habileté déconcertante. Je ne suis pas forcément d’accord avec ceux pour qui c’est son meilleur film depuis « Match point », film au scénario parfait, audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un vrai chef d’œuvre. Depuis, il m’a enchantée avec chacun de ses films, même si certains furent moins réussis, et « Minuit à Paris » reste pour moi un de ses meilleurs :  une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination,  à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre.

    Mais revenons au don de scénariste de Woody Allen. Dès les premiers plans, nous comprenons que Jasmine ne va pas très bien, qu’elle est aussi volubile que perdue.  Si Woody Allen manie savamment les paradoxes, il manie aussi les contrastes entre Ginger la brune et Jasmine la blonde, deux sœurs adoptées et diamétralement opposées.

    Le vernis de Jasmine et son allure impeccable de blonde hitchcockienne se fissurent progressivement. Sa vie dorée (au propre comme au figuré, prédominance du jaune) va exploser. Le statut social est essentiel pour Jasmine et cette déchéance sociale va la plonger en pleine dépression. Snob, a priori antipathique, elle va finalement susciter notre empathie grâce au talent de Woody Allen qui va nous dresse son portrait et celui de sa vie d’avant en flashbacks.

    Bien sûr, Cate Banchett avec ce rôle sur mesure, doit beaucoup à cette réussite. Elle parvient à nous faire aimer ce personnage horripilant, snob, condescendant, inquiétant même parfois mais surtout très seul, perdu, et finalement touchant. De ces personnes qui se révèlent plus complexes que leur apparente futilité voudrait nous le laisser croire, qui maquillent leurs failles derrière un culte de l’apparence et qu’il nous satisferait de croire seulement exaspérantes. Face à elle, Sally Hawkins est également parfaite.

     Derrière une apparence de légèreté (jusque dans la musique), Woody Allen a finalement réalisé un de ses films les plus sombres, encore une fois d’une étonnante modernité, en phase avec son époque, aussi peu linéaire et aussi sinueux que son montage. Les dialogues sont cinglants, cruels et réjouissants. Le casting est irréprochable et par de discrets plans séquences Woody Allen nous rappelle qu’il n’est pas seulement un grand dialoguiste et scénariste mais aussi un immense metteur en scène qui, tout aussi discrètement, fait coïncider la forme et le fond.

    Un dernier plan, finalement tragique,  lève le voile sur la réalité de Jasmine, et les vraies intentions du cinéaste,  notamment celle de dresser un magnifique portrait de femme, d’une époque aussi. Un film désenchanté, mélancolique, caustique, qui révèle finalement une nouvelle fois le don d’observation du cinéaste et sa capacité, en  à révélant les failles de ses personnages, aussi détestables puissent-ils être parfois a priori, et nous les faire aimer.

     Le prochain film de Woody Allen sera un film romantique tourné dans le Sud de la France et se déroulant dans les années 20. Vivement ! En attendant n’oubliez pas d’aller rencontrer Jasmine, à vos risques et périls.

     « Parkland » de Peter Landesman

     

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     Parkland décrit le jour et les trois jours qui précèdent l’assassinat du Président Kennedy.  Le titre vient du nom de l’hôpital où a été emmené Kennedy juste après l’attaque de Dallas. Le film plaira surtout aux passionnés de l’histoire politique américaine. A la manière de Bobby, le film dépeint une galerie de personnages qui ont tous gravité autour de la mort du Président. Ces personnages sont tous réels et font partie de la petite histoire, éclipsés par la grande. Du journaliste qui a filmé l’assassinat à l’infirmière en passant par le frère de Lee Harvey Oswald, on suit la façon dont ils ont vécu cet événement. Evénement qui a bouleversé la vie de chacun. Le  film est doit beaucoup à son irréprochable casting :  Paul Giamati,  Billy Bob Thorton, Marcia Gay Harden, Zac Efron,, Tom Welling s’en sortent bien. Le film est  instructif même s’il s’égare à vouloir nous donner trop de points de vue sur l’évènement et à finalement nous laisser sur notre faim.

     « Le Majordome » de Lee Daniels

     

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    Le jeune Cecil Gaines, en quête d'un avenir meilleur, fuit, en 1926, le Sud des États-Unis, en proie à la tyrannie ségrégationniste. Tout en devenant un homme, il acquiert les compétences inestimables qui lui permettent d’atteindre une fonction très convoitée : majordome de la Maison-Blanche. C'est là que Cecil devient, durant sept présidences, un témoin privilégié de son temps et des tractations qui ont lieu au sein du Bureau Ovale. À la maison, sa femme, Gloria, élève leurs deux fils, et la famille jouit d'une existence confortable grâce au poste de Cecil. Pourtant, son engagement suscite des tensions dans son couple : Gloria s'éloigne de lui et les disputes avec l'un de ses fils, particulièrement anticonformiste, sont incessantes. À travers le regard de Cecil Gaines, le film retrace l'évolution de la vie politique américaine et des relations entre communautés. De l'assassinat du président Kennedy et de Martin Luther King au mouvement des "Black Panthers", de la guerre du Vietnam au scandale du Watergate, Cecil vit ces événements de l'intérieur, mais aussi en père de famille… Forest Whitaker incarne ce "Le Majordome"  qui déroule trente années de l'Histoire américaine : de l’assassinat du président Kennedy et de Martin Luther King au mouvement des "Black Panthers", de la guerre du Vietnam au scandale du Watergate,  . Cecil Gaines aura ainsi travaillé aux côtés de 8 présidents. En parallèle de  saga familiale, c’est le portrait du combat pour les droits civiques des Afro-Américains que dresse ce film aussi poignant que passionnant, avec plus de retenue que dans les précédents films de Lee Daniels. A travers le portrait de cet homme singulier, le film traite avec beaucoup d’habileté des sujets universels, là aussi aidé par un casting de choix : John Cusack (Richard Nixon), Robin Williams (Dwight D. Eisenhower), Alan Rickman (Ronald Reegan), James Marsden (John F. Kennedy). A cela s’ajoutent les positions politiques différentes du père respectueux des instituions et du fils plus révolutionnaire, métaphore de la division au sein de la population noire des années 50/60. Une leçon d’Histoire passionnante qui ne s’en donne jamais l’air à travers celle d’un homme au parcours symbolique.

    Prix Michel d’Ornano: "Les Garçons et Guillaume, à table!" de Guillaume Gallienne

     

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    Parmi les belles surprises de cette année, celui qui aura suscité le plus d’enthousiasme,  c’est le film de et avant Guillaume Gallienne qui a cette année reçu le prix Michel d’Ornano « Les Garçons et Guillaume, à table ! ».

    Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! ».

    « Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre »,  « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan »,  « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.

    Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.

    Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...  

     Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »

    Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.

    Gallienne multiplie les mises en abyme  et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.

    Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger,  alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.

     Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou  à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.

     

    COMPETITION

     

    Difficile d’établir mon propre palmarès face à la diversité (notable et remarquable) des films en compétition de ce 39ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : horreur, western, fait divers etc.

    Les plus remarquables furent pour moi « Short term 12 », « Fruitvale station », «Stand clear of the closing doors » et bien sûr « All is lost » que j’avais découvert à Cannes et que j’ai revu ici avec plaisir.

     Dans tous les cas, comme je vous le disais plus haut : des personnages désorientés, souvent au figuré, parfois au propre. C’est aussi le cas de « Lilly », jeune femme qui se relève d’un cancer, beau portrait de femme blessée et combattive, là aussi désorientée, un film simple et touchant.

     Difficile évidemment de comparer ces films avec « All is lost  qui témoigne une nouvelle fois de la diversité de cette compétition, fable bouleversante d’une beauté crépusculaire, symbole là aussi d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout. 

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    C'est lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté en sélection officielle mais hors compétition que j'ai eu le plaisir de découvrir "All is lost" de J.C Chandor en présence de Robert Redford dont beaucoup avait regretté l’absence en compétition (le Festival de Deauville a donc eu l’intelligence de parer à cet « oubli »). Cette critique, ci-dessous, est également publiée dans le journal de l'ENA de juillet/août 2013.

    All is lost est le deuxième film du réalisateur J.C Chandor après Margin Call, avec un unique interprète, et non des moindres, Robert Redford. Quel contraste  entre le vacarme, la foule festivalière et le silence, la solitude de All is lost.

    Lors de la conférence de presse cannoise, Robert Redford, avait notamment parlé, avec autodérision et simplicité,  de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l'environnement qu’il juge dans une  situation "carrément catastrophique, désastreuse".  "A mon avis, la planète essaie de nous parler", a-t-il ajouté, évoquant "les ouragans, les tremblements de terre et les tornades", deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d'Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer  à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.

    Dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait ainsi les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans « All is lost », au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.

    Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».

    Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau... Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.

    Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.

    La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans L’Odyssée de Pi) tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.

    Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.

    Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.

    En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le même soir lors de la projection officielle cannoise dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire.

    Mon deuxième coup de cœur de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013 fut pour le film qui a obtenu le prix du public et le prix de la révélation Cartier : « Fruitvale station ».

     

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    Le 1er janvier 2009 au matin, Oscar Grant, vingt-deux ans, croise des agents de police dans la station de métro Fruitvale près de San Francisco. Cette rencontre va transformer un inconnu en fait divers. Le film raconte les vingt-quatre heures qui ont précédé cet événement.

    "Fruitvale station" ne dérogeait pas à la règle concernant la présence ou plutôt l’omniprésence des armes à feu dans les films en sélection.

     Ce film d'un jeune réalisateur de 27 ans a particulièrement ému les festivaliers...et à juste titre. D'abord, parce qu'il s'agit d'une histoire réelle (le réalisateur a ainsi mêlé quelques images de ce triste fait divers aux images de la fiction). Cela commence par la vidéo, réelle donc, d'une violence inouïe, prise par un témoin de la scène. Des policiers, particulièrement nerveux, interpellent brutalement un groupe de jeunes noirs américains. La scène est à la fois rapide et interminable et, brusquement, dans la cacophonie, l'un des policiers tire sur Oscar Grant alors qu'il est incapable de bouger, maintenu à terre. Le film commence alors pour tenter d'expliquer cette terrible injustice par le biais de la fiction, ouverte et fermée par les scènes de l'horrible réalité, nous scotchant à l'écran dès les premières secondes, commençant le compte à rebours vers le drame inéluctable.

    Sans doute certains reprocheront-ils au film ses bons sentiments, son aspect larmoyant, son manichéisme. Oscar est un "gentil" dealer qui deale parce qu'il est au chômage qui a envie de rentrer dans le droit chemin mais que la malchance placera sans cesse dans des situations périlleuses. Même un chien errant qu'il caresse se fera renverser quelques minutes plus tard. Le destin s'acharne contre lui et le spectateur, en empathie dès l'enclenchement du compte à rebours, sachant pourtant l'inéluctabilité du drame, ne cesse d'espérer qu'il finisse par y échapper.

    Si le personnage principal n'avait pas été aussi attachant, le film aurait certainement gagné en complexité,  mais l'émotion suscitée, l'interprétation et la mise en scène remarquables justifient ce parti pris. La caméra enserre l'essentiel, capte l'urgence, au plus près, lors de ces dernières 24 heures fatidiques. S'il y a du Spike Lee dans le style de ce jeune cinéaste, il y a aussi du cinéma britannique, avec une pincée de Ken Loach et surtout de Mike Leigh.

    "Fruitvale Station" s'achève avec les images réelles de la commémoration du drame, laissant le spectateur chaos après ce film plus parlant, criant, que n'importe quel argumentaire contre ce crime raciste qui justifie alors ce qui pourrait sembler manichéen mais qui n'est là que pour appuyer l'argumentation et en arriver à la dramatique synthèse et conclusion. Le film a alors l'efficacité des meilleurs documentaires notamment grâce à son comédien principal qui vit plus qu'il ne joue ce personnage victime d'un destin inique et de la violence, la brutalité, la bêtise.

     La rumeur voulait que “Fruitvale station” soit couronné du Grand Prix qui revint finalement au thriller écologique  « Night Moves » de Kelly Reichardt. Un sujet universel traité avec beaucoup de sensibilité, un casting irréprochable et l’histoire très actuelle d’un combat écologiste qui se radicalise justifient amplement ce Grand Prix mérité.

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     «Night Moves» raconte l’histoire de trois militants écologistes qui décident de détruire un barrage dans l’Oregon. L’opération se révèle meurtrière. Un campeur perd la vie. Remords, tensions, reproches…l’opération écologique vire au thriller. Jesse Eisenberg  est impeccable dans le rôle de ce jeune homme tiraillé entre ses idées nobles et la violence qu’elles engendrent. C’est à nouveau une autre Amérique, moins flamboyante qui nous est donnée à voir ici, en rébellion contre la société de consommation. Une photographie magnifique suspend le vol du temps et de notre souffle lors de la préparation de l’action particulièrement bien décrite, la caméra étant en osmose avec la nature. Si la seconde partie est un peu plus caricatural sur les principes face à l’épreuve de la réalité, n’en demeure pas moins un film à la réalisation et à l’interprétation particulièrement maîtrisées.

    Je regrette l’absence du sensible « Breathe in » de Drake Doremus au palmarès.

      Synopsis : L’été touche à sa fin. Keith Reynolds, un professeur de musique, songe avec nostalgie à son passé d’artiste en devenir dans les rues de New York. Sa femme Megan et leur fille Lauren sont quant à elles en pleine effervescence à l’approche de la rentrée en terminale de la jeune fille. Keith ne semble pas partager leur enthousiasme, trouvant son seul échappatoire lors des soirées où il joue du violoncelle dans un prestigieux orchestre symphonique de Manhattan. Lorsque Megan décide d’accueillir chez eux Sophie, une lycéenne anglaise, dans le cadre d’un programme d’échange scolaire, Keith voit resurgir un aspect refoulé de sa personnalité au contact de la jeune fille…

    Le réalisation capte avec beaucoup de finesse ces gestes, ces regards, ces instants ineffables qui constituent la naissance d’un amour que va accompagner la musique à l’unisson avec l’âme et le cœur tourmenté des deux amoureux contrariés. Emane du film un charme captivant, ensorcelant avec un Guy Pearce qui rêve d’un ailleurs professionnel et personnel inaccessibles. Face à lui, la troublante et sensuelle Felicity Jones, irrésistible quand elle joue au piano avec virtuosité et réveille les désirs endormis, personnel et professionnel, de son professeur.    Une histoire d’amour indicible, tout en pudeur, délicatesse, sensibilité, troubles qui fait du bien dans un cinéma parfois trop frontal. Avec un dernier plan qui clôt un cercle (vicieux ?) et enferme à jamais dans une triste et paradoxalement lumineuse quotidienneté.

    Avec « Shérif Jackson », Logan Miller   nous embarquait dans les plaines arides du Nouveau-Mexique, Sarah, une ancienne prostituée, découvre le corps sans vie de son mari, sauvagement assassiné par un fanatique religieux. Meurtrie, elle part en croisade vengeresse, mais c’est sans compter sur l’arrivée de l’extravagant shérif Jackson… Un film intelligemment elliptique et saupoudré d’humour noir pour ce « Kill Bill » revisité, western féministe qui ne manque pas de mordant et d’originalité.

     Difficile aussi de rester insensible devant « Stand clear of the clothing doors » de Sam Fleischner dans lequel Ricky est un adolescent autiste (plus exactement atteint du syndrome d’Asperger) qui vit à Far Rockaway, dans le Queens. Alors que sa famille tente de surmonter les effets de la crise économique, Ricky essaye de s’intégrer du mieux qu’il peut dans son école. Le jour où il est réprimandé pour avoir manqué des cours, il s’enfuit dans le métro et entreprend une odyssée souterraine, se mêlant aux habitants disparates de ce lieu tandis que sa mère redouble d’effort pour le retrouver. Pendant ce temps, témoin de ce chassé-croisé, l’ouragan Sandy se rapproche de la ville.

     "Stand clear of the closing doors" est le second long métrage de Sam Fleischner.

     

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    "Stand clear of the closing doors", est la phrase entendue dans le métro de New York (à la veille de l’ouragan Sandy) lors de la fermeture des portes que Ricky entendra maintes et maintes fois pendant sa fugue. En parallèle est filmée l’angoisse de sa famille. Plongée dans la vie du Queens, dans les pensées de Ricky mais aussi dans un New York à la veille d’une catastrophe. Enfermés dans la tête de Ricky comme il l’est sous terre dans les allées du métro. Le regard empathique du réalisateur évite par ailleurs l’écueil du mélodrame larmoyant. Il parvient à faire de ce parcours initiatique  un récit palpitant et émouvant.

    « Short term 12 », un film de Destin Cretton a également beaucoup ému les festivaliers.  Grace, la vingtaine, est surveillante dans un foyer d’accueil pour adolescents en difficulté : le Short Term 12. Tourmentée par un sombre passé, elle n’en reste pas moins passionnée par son travail et s’occupe des jeunes pensionnaires avec le plus grand soin. Lorsque Jayden, une adolescente douée mais très perturbée, est admise dans l’établissement, Grace doit alors affronter ses propres démons…

    Première réalisation de Destin Cretton, Short Term 12 est un film indépendant américain réunissant notamment à l’écran Brie Larson (Don Jon), John Gallagher Jr. (The Newsroom) et Rami Malek (The Master). L’histoire s’intéresse à Grace (interprétée par Brie Larson), une jeune femme sensible et déterminée qui est à la tête d’un foyer californien d’adolescents en difficulté. Dans son équipe de formateurs, tous aussi jeunes qu’elle, tout le monde n’a pas la même expérience mais, face aux problèmes des ados, la solidarité et le bon esprit sont de mise. Jusqu’à l’arrivée soudaine d’une fille tourmentée qui ignore les règles du centre, bouscule le groupe et renvoie Grace à sa propre adolescence… pas si lointaine.

    Ce n’est pas l’originalité qui marque dans ce film mais le naturel et la justesse de l’interprétation, la crédibilité des personnages rendent cette histoire particulièrement juste et vibrante sublimée par une bo d’une belle sobriété.

    Si le festival remettait un prix de la photographie, il serait indéniablement revenu au film de David Lowery, « Les Amants du Texas » (également présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, à Cannes, récompensé à Sundance pour sa photographie) tant les images crépusculaires bousculent nos sens, tant il capture brillamment la lumière et la mélancolie. Un film plein de délicatesse. Un rythme langoureux. Un western hors du temps qui mêle scènes intimistes et plus violentes.

     La critique a, quant à elle, couronné « The Retrieval » de Chris Eska. À la veille de la guerre de Sécession, un jeune garçon est envoyé au nord du pays par un gang de chasseurs de primes afin de retrouver la trace d’un homme recherché par la justice.

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     The Retrieval raconte l'histoire d'un jeune garçon, Will, enrôlé par des chasseurs de primes, contraint d'agir comme les barbares, et de vivre parmi eux, pour survivre. Sa mission : traverser le pays jusqu'au Nord et ramener un homme du nom de Nate dont la tête est mise à prix.  Ce road-movie historique est servi par une mise en scène et une écriture inspirées qui confronte l’innocence et l’horreur aux apparences de western pour mieux en détourner les codes tant le film est intemporel et évite intelligemment tout manichéisme. Tout le film se joue dans le regard du garçon. Va-t-il sauver celui qu'il commence à aimer ou va-t-il le mener vers le piège mortel pour sauver sa propre vie ?

     PALMARÈS - AWARDS

     

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     Le Jury de la 39e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Vincent Lindon, entouré de Lou Doillon, Jean Echenoz, Hélène Fillières, Xavier Giannoli, Famke Janssen, Pierre Lescure, Bruno Nuytten et Rebecca Zlotowski a décerné les prix suivants :  

    GRAND PRIX 

    NIGHT MOVES de Kelly Reichardt 

    PRIX DU JURY ex-aequo

    ALL IS LOST deJ.C. Chandor 

    et 

    STAND CLEAR OF THE CLOSING DOORS de Sam Fleischner 

    Le Jury Révélation Cartier de la 39e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Valérie Donzelli, entourée de Laurence Arné, Vincent Lacoste, Géraldine Maillet et Woodkid a décerné son Prix de la Révélation Cartier à: 

    PRIX DE LA RÉVÉLATION CARTIER 

    FRUITVALE STATION  de  Ryan Coogler 

    Le Jury de la Critique Internationale, composé de journalistes internationaux, a décerné le prix suivant : 

    PRIX DE LA CRITIQUE INTERNATIONALE 

    THE RETRIEVAL de Chris Eska 

    Le Prix du Public de la ville de Deauville a été remis au film suivant : 

    PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE - 

    FRUITVALE STATION de/by Ryan Coogler  

    PRIX LITTÉRAIRE LUCIEN BARRIÈRE 

    Richard FORD pour son roman "Canada"/ for his novel "Canada" (Éditions de l’Olivier) 

    PRIX MICHEL D’ORNANO 

    LES GARCONS ET GUILLAUME, À TABLE ! de Guillaume Gallienne

    Et enfin...mon blog et mes romans à l'honneur dans Ouest-France pour ce 39ème Festival du Cinéma Américain de Deauville:

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    Je vous donne rendez-vous ici le 5 septembre 2014 pour le 40ème Festival du Cinéma Américain de Deauville…qui sera aussi mon 21ème ! Vous pourrez également suivre le festival sur mes sites http://inthemoodlemag.com et http://inthemoodforfilmfestivals.com et bien sûr sur le site officiel du festival http://festival-deauville.com .

     

  • Compte-rendu et palmarès du 14ème Festival du Film Asiatique de Deauville 2012

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    18x10+5x11. 235. Au minimum. Entre le Festival du Cinéma Américain de Deauville et le Festival du Film Asiatique de Deauville, tel est le nombre total de mes journées cinématographiques passées à Deauville. Et pourtant… Et pourtant, sa mélancolie douce, sa beauté presque réfractaire à cette période de l’année, d’une violence et d’un charme mêlés et subreptices, m’envoûtent toujours autant. A l’image de celles des films présentés en compétition dans le cadre de ce Festival du Film Asiatique.

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    Deuil, fuite impossible et énergie du désespoir

    Deuil (surtout), fuite inexorable et vaine, quête d’identité, perte d’innocence : les thèmes des films de la compétition de cette édition 2012 ont brossé le portrait de sociétés et d’êtres étouffés par le malheur, la pauvreté, en quête d’un ailleurs et d’espérance bien souvent inaccessibles.

    Corée du Sud, Japon, Chine, Iran, Philippines : telles étaient cette année les destinations de cette évasion cinématographique, une évasion bien souvent impossible pour les personnages des films présentés, réalisés avec l’énergie du désespoir.

    « Cela me remplit de joie de voir de jeunes cinéastes faire preuve d’un tel talent, d’une telle énergie », a ainsi, à juste titre, remarqué le président du jury de cette édition 2012, Elia Suleiman (dont le discours de clôture était d’ailleurs remarquable, cf vidéo ci-dessous quand d'autres se contentent parfois d'annoncer les prix).

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    Prédécesseurs

    En 2010, le grand prix avait été attribué à « Judge », un film chinois de Liu Je qui, en quelques plans magistraux, traduisait toute l'absurdité, la bêtise, l'horreur de la peine de mort comme dans cette scène où en arrière-plan, le destin d'un homme est suspendu à la joute verbale de deux autres, à l'ultime seconde. Au-delà, c'est évidemment le portrait de la justice chinoise mathématique, glaciale, inhumaine où l'on discute et décide de la vie ou de la mort d'un homme autour d'un café, ou il faut une licence pour détenir un animal de compagnie, juge ou non, élément vital ou non. En un plan, Liu Je traduit la violence de cette justice, machine implacable, ou encore l'impossibilité de communiquer face au drame absolu (en l'espèce la perte d'un enfant). Les scènes vues du point de vue du condamné sont tout aussi édifiantes lorsqu'il n'est pas filmé comme une vulgaire chose perdue au milieu d'un plan d'ensemble, considéré comme tel aux yeux d'une justice qui a droit de vie et de mort sur les Hommes.

    En 2011, le film lauréat du grand prix, « Eternity » de Sivaroj Kongsakul, parlait aussi de deuil (thématique déjà récurrente l’an passé) mais était sans doute le plus lumineux du festival. Ce film est sans doute celui qui avait découragé le plus grand nombre de festivaliers non pas à cause de sa violence dont il ne fait nullement preuve mais de sa lenteur. Réaction sans doute symptomatique d’une époque où l’ennui est la pire des souffrances, où tout doit aller très vite, où tout doit être immédiatement traduisible en un sms ou un twitt, où il faut aller directement à l’essentiel. Si cette lenteur a été pour beaucoup visiblement synonyme d’ennui, elle est pour moi ici synonyme de sérénité, de poésie, de sensibilité, de confiance en la patience et l’intelligence du spectateur (quand tant cherchent à l’infantiliser). Il fallait en effet accepter de se laisser (em)porter par ce film thaïlandais qui débute par de longs plans séquences au cours desquels un homme traverse des paysages à moto, prisonnier du cadre cinématographique comme de l’éternité. Sibaroj Kongsakul a réalisé ce film pour rendre hommage à ses parents et à leur histoire d’amour. Amos Gitaï en lui remettant le grand prix a défini ce film comme un “film de challenge, à la limite du projet artistique abstrait qui fait preuve d’ironie et de tendresse dans sa description d’un couple”. Très beau film d’amour aussi où tout se déroule en douceur, en gestes esquissés ou maladroits comme deux mains qui se rejoignent presque imperceptiblement à travers une moustiquaire, où la nature impassible et radieuse semble être un troublant pied de nez à la mort , où tout dit la douleur de l’absence dans un présent simple et évanescent, une absence qui tisse sa toile avant de se révéler, poignante. Un film plein de délicatesse qui imprègne peu à peu, ne cherche jamais la facilité ou l’émotion mais finit par conquérir la seconde.

    Un an après…

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    Un an, jour pour jour, après le tsunami et la tragédie de Fukushima, comment le cinéma allait-il s’emparer de ce drame ?

    Un an après, jour pour jour, par une tragique ironie, était ainsi projeté à Deauville « Himizu » du japonais Sono Sion, adaptation du manga éponyme. Coup de cœur (et de poing) de ce festival, d’une rageuse, fascinante, exaspérante et terrifiante beauté.

    Sumida est un lycéen dont l’unique ambition est de devenir un homme ordinaire. Son père, qui a quitté le foyer depuis longtemps, réapparaît de temps à autre lorsqu’il a besoin d’argent. Sa mère s’est enfuie avec son amant, laissant le jeune homme sans rien ni personne sur qui pouvoir compter. Réalisant que son rêve ne pourra jamais être exaucé, Sumida devient obsédé par les sanctions qu’il pourrait prendre contre les personnes malfaisantes qui l’entourent.

    Lorsque j’évoquais plus haut une beauté réfractaire, c’est à ce film avant tout que je songeais. Les premiers plans, effroyables, nous plongent dans le décor apocalyptique de l’après tsunami exploré par de longs travellings, mais le chaos n’est pas seulement visuel, c’est surtout celui qui ronge, détruit, étouffe les êtres qui ont perdu leur identité et tout espoir. Les parents ne souhaitent qu’une chose à leurs enfants synonymes d’avenir sombre et impossible : la mort. Les enfants eux ne souhaitent qu’une chose : une vie ordinaire au milieu de cette violence extraordinaire. De cette violente confrontation, de cette quête désespérée nait la beauté rageuse du film, d’abord agaçant par sa noirceur exacerbée soulignée par une musique grandiloquente puis fascinant. Ce chaos traduit la douleur indicible d’un Japon désorienté, désespéré, sans avenir, sans espoir. La jeune fille qui suit inlassablement Sumida dont la situation n’est guère plus enviable incarne le rêve possible qui s’accroche malgré tout, un désir d’avenir (n’y voir là aucune référence politique), un avenir qui semble condamné d’avance. Ajoutez à cela un impressionnant travail sur le son (la tempête qui résonne fréquemment comme une réminiscence insidieuse du drame), une écriture répétitive, brillante et lancinante, des scènes fortes et vous obtiendrez un film qui, en tout cas, comme tout grand film, suscitera votre admiration ou votre rejet et ne vous laissera pas indifférent.

    Ce film, d’une folie inventive et désenchantée, d’un romantisme désespéré, d’un lyrisme tragique et parfois grandiloquent, est porté par l’énergie du désespoir. Il s’achève sur un cri d’espoir vibrant et déchirant. Sublime. Ravageur. La possibilité d’un rêve. Ce film a remporté le prix de la critique internationale auquel je me réjouis de n’être pas tout à fait étrangère…

    Au pays d’Ahmadinejad

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    Mon autre coup de Coeur/coup de poing de ce festival est venu d’un film iranien “Death is my profession » d’Amir Hossein Saghafi qui aurait mérité sa place au palmarès.

    Dans une région montagneuse d’Iran, trois ouvriers n’arrivent plus à subvenir aux besoins de leur famille et se retrouvent contraints de voler, pour les revendre, des câbles de lignes à haute tension. Au cours d’un de ces vols, ils tuent quelqu’un accidentellement et se transforment alors en fugitifs…

    Ce film qui a déplu à de nombreux festivaliers est pourtant une brillante métaphore d’une étonnante maturité pour un réalisateur de seulement 25 ans. Comment évoquer la situation désespérée d’un pays quand la parole est condamnée, voire impossible ? En montrant une réalité dans laquelle la mort est la seule issue possible, après un éprouvant chemin de croix (éprouvant, le film l’a visiblement été aussi pour certains spectateurs, mais finalement à dessein puisque le fond se confond ainsi avec la forme, le ressenti des personnages avec celui des spectateurs). Pour un maigre espoir de survie, il faut risquer sa vie. Chacun semble être condamné aux travaux forcés. C’est un cercle vicieux d’un pessimisme absolu qui montre une société qui étouffe, agonise, à bout de souffle, une société carcérale qui emprisonne ceux qui la composent, où il vaut mieux risquer sa vie au milieu d’une nature impitoyable que d’attendre une sanction humaine qui le sera encore plus. Filmé comme un western (avec une influence visible de Sergio Leone et John Ford) avec notamment le plan terrible de cette petite fille suspendu à un arbre comme une charogne , « Death is my profession » est, à l’image de son titre, un film âpre et sans concessions qui traduit brillamment une situation économique, sociale et politique désespérée.

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    C’est un autre film iranien qui s’est retrouvé doublement au palmarès (mention spéciale de la critique et grand prix) : « Mourning » de Morteza Farshbaf (Iran) (traduit par « Querelles » et qui signifie « faire le deuil »).

    Une querelle éclate entre un homme et sa femme juste avant qu’ils ne prennent la route pour se rendre dans une ville plus au nord, chez la sœur de l’épouse, Sharareh, et son mari Kamran. Le lendemain matin, ces derniers apprennent la terrible nouvelle : ce qui est arrivé au couple, sur la route, la nuit dernière… En état de choc, Sharareh et Kamran partent pour Téhéran accompagnés d’Arshia, le fils du couple qui, la nuit du drame, n’était pas avec ses parents. Entre l’aube et le crépuscule, pendant ce voyage qui prendra toute une journée, Sharareh et Kamran doivent annoncer à l’enfant la douloureuse nouvelle…

    Mortez Farshbaf a eu l’intelligence de compenser le manque de moyens par l’intelligence du dispositif qui saute aux yeux dès le début du film. Plongé dans l’obscurité (comme le spectateur), un enfant entend (ou peut-être pas…) la dispute qui éclate entre ses parents. Puis, au loin, une voiture avance dans un impressionnant paysage épuré et vertigineux, tandis que des sous-titres expriment le dialogue entre « Elle » et « Lui ». Puis, nous découvrons la raison de ce dispositif : les passagers du véhicule sont muets, le conducteur et sa femme, à ses côtés. A l’arrière, l’enfant. Puis les vérités éclatent dans l’habitacle de la voiture dans un judicieux et paradoxal silence. Un film à la fois muet et très bavard, aux frontières de l’abstraction, qui parle beaucoup : de famille, de mort, d’absence, de rancoeur. La métaphore est un peu appuyée : les sourds muets pour signifier l’impossibilité de communiquer, la voix et la parole étouffées et une influence très marquée de Kiarostami, lequel, dans « Copie conforme », nous avait brillamment (dé)montré ( au passage, ce film de Kiarostami est un chef d’œuvre à voir absolument ne serait-ce que pour l’interprétation polysémique époustouflante de Juliette Binoche) par une subtile mise en abyme que l’art dépend du regard et de l’interprétation de chacun à l’image de ce film également…

    Les voix du silence…

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    Le lotus du jury de cette édition 2012 a été attribué par le jury d’Elia Suleiman au film philippin « Baby factory » d’Eduardo Roy Jr. (Philippines) qui n’est pas sans rapport avec le film précédemment évoqué puisqu’il traduit aussi une situation où la parole est impossible, où les maux se disent en silence.

    Sarah est infirmière dans la maternité d’un centre hospitalier public. Comme l’établissement manque de personnel en cette période de Noël, elle doit travailler deux fois plus. Les infrastructures sont surchargées : deux mères et leurs nouveau-nés doivent partager le même lit alors que s’entassent dans les couloirs des femmes sur le point d’accoucher. Sarah fait face à cette situation avec sérénité, générosité et dévouement, réussissant même à en oublier ses souffrances personnelles.

    Très influencé par le cinéma de Brillante Mendoza (Eduardo Roy Jr a suivi des cours de scénario auprès d’Armando Lao, le scénariste de « Serbis » et « Kinatay » de Mendoza), "Baby Factory" avec sa vibrante caméra à l’épaule, nous immerge dans la vie d’une maternité de Manille, une des plus (sur)chargées au monde avec plus d’une centaine de naissances par jour. En mêlant fiction et documentaire, et en recourant à une structure éclatée, Eduardo Roy Jr. dresse le portrait de cette « baby factory » (terrible expression qui reflète le mélange de douceur et de violence du lieu) et des mères et des sages-femmes qui dissimulent leurs propres douleurs pour soulager celles des premières, autant d’histoires et de drames esquissés, tristement singuliers et universels.

    La caméra déambule en douceur et avec délicatesse dans cet univers frénétique composé d’urgences et de drames au milieu de la joie de la vie qui s’élance, s’immisçant subtilement dans la violence tacite de ce que vivent ces femmes (judicieuse économie de dialogues) et cela n’en est que plus bouleversant.

    Sarah, l’infirmière, d’abord filmée indifféremment parmi les autres devient peu à peu le sujet du film jusqu’au dénouement où elle représente toute la douleur de cette silencieuse et insidieuse violence. C’est aussi la solidarité qui est mise en exergue au milieu d’un système parfois inique, là encore filmée avec beaucoup de délicatesse et d’empathie.

    Un mélange habile de fracas de la réalité et de celui du silence, de douceur dans la réalisation et de violence dans ce qu’elle relate. Et une fin effroyable qui résonne longtemps après le générique comme un cri de désespoir étouffé. Etrangement ces scènes de corps qui donnent la vie ou viennent de la donner rappellent celles de désolation du film de Sono Sion où la vie est désespérément absente et le cri de désespoir de dénouement de l’un fait tragiquement écho au cri d’espoir de l’autre.

    Entre violence et innocence

    Le reste de la sélection était également, comme chaque année, d’une qualité remarquable avec, notamment, « 11 fleurs » de Wang Xiaoshuai, un habitué des prix en festivals. Son nouveau film se déroule en 1974, au cœur de la révolution culturelle chinoise. Un garçon de dix ans observe le monde des adultes et n’y comprend pas grand-chose. La rencontre avec un meurtrier en fuite le pousse au secret et au mensonge. Cette confrontation signera la perte de son innocence.

    Sans doute le film le plus classique de cette sélection pas pour autant le plus inintéressant, un film d’un classicisme ingénieux. Comme le film précédemment évoqué, il mêle intelligemment innocence (le regard d’un enfant) et violence (de la réalité historique, d’un ordre social en pleine mutation, de la révolution culturelle, de la violence du silence aussi, celui imposé). Toute l’intelligence de la réalisation réside dans ce regard et ces souvenirs évoqués par esquisses impressionnistes à l’image du célèbre tableau de Monet «Impression, soleil levant » évoqué dans le film.

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    Si le cinéma coréen a souvent réservé les plus belles surprises de ce festival, cette année, c’était peut-être en revanche le moins bon film de cette compétition qui provenait de Corée : « Beautiful Miss Jin » de Jang Hee-chul dans lequel Soo Dong est le gardien du passage à niveau de la gare de Dongrae. Sa vie est monotone et sans surprises jusqu’à l’arrivée en gare de trois passagers atypiques : une femme d’une cinquantaine d’années appelée Miss Jin, une petite fille qui l’accompagne et un ivrogne bavard. Soo Dong va rapidement s’intégrer à cette petite communauté et développer avec elle une relation peu conventionnelle...

    A nouveau dans ce film, on retrouve ce mélange de tendresse, de solidarité et de violence de la situation sociale, néanmoins rien à voir avec le film philippin, l’angle choisi et assumé étant celui de la fiction. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la plupart des films de cette compétition épousaient le point de vue d’enfants ou d’adolescents, comme un monde en quête d’innocence malgré une réalité bien souvent étouffante.

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    Dans « I carried you home » de Tongpong Chantarangkul (Thaïlande), il est aussi question de jeunesse et de deuil. Pann vit à Bangkok. Un jour, elle reçoit un appel de sa tante en pleurs qui lui annonce que sa mère est dans le coma suite à un terrible accident. Elle contacte alors sa soeur aînée Pinn, laquelle s’est enfuie après son mariage, pour vivre à Singapour et y commencer une nouvelle vie loin des contraintes de la famille. Les deux soeurs sont alors forcées de passer du temps ensemble et, peu à peu, de réapprendre à s’ouvrir l’une à l’autre.

    Le deuil devient finalement le « prétexte » à leurs retrouvailles. Le récit, intelligemment décousu, nous montre comme elles ont appris la terrible nouvelle, et permet de découvrir leurs deux personnalités, leurs failles, leurs secrets. Deux belles interprétations pour un film délicat et élégant.

    Du rire aux larmes

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    S’il y avait eu un prix du public il serait sans doute revenu à « Saya Zamuraï » de Hitoshi Matsumoto , le fantasque réalisateur japonais qui a déridé le public du CID en introduisant son film par une curieuse déclaration d’amour à Mireille Mathieu, à Jean-Pierre Pernaut et à la France.

    Kanjuro Nomi est un vieux samouraï, sans épée et avec un fourreau vide. Ayant été amené par le passé à jeter son épée et refuser à se battre, il erre aujourd’hui sans but précis, accompagné de Tae, sa fille unique. Désormais recherché pour avoir renié son seigneur, il est condamné à « l’exploit des 30 Jours »: réussir en 30 jours - et à raison d’une chance par jour - à redonner son sourire au prince éploré par le décès de sa mère. Si Kanjuro réussit, il sera libre. Mais s’il échoue, il devra pratiquer le seppuku, la forme rituelle japonaise du suicide par éventration.

    A la première partie dans laquelle règnent le comique de répétition, l’humour absurde non dénué de poésie mais parfois un peu trop de culture manga et télévisuelle (Matsumoto est célèbre pour ses émissions comiques à la télévision japonaise) succède la seconde qui laisse place à l’émotion. Un conte absurde magnifiquement filmé qui nous embarque dans sa folie douce et nous charme dans sa déclaration d’amour et de courage finale d’un père à sa fille magnifiquement interprétée par la jeune Sea Kumeda qui aurait mérité qu’on initie un prix d’interprétation pour elle.

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    En toute logique, terminons par le film d’ouverture de ce 14ème Festival du Film Asiatique de Deauville « The sun-beaten path » de Sonthar Gyal qui nous emmenait au Tibet…

    Nyma, un jeune homme instable, quitte Lhassa pour retourner dans sa maison isolée près de Golmud. Le car étant un moyen de transport trop rapide à ses yeux, il préfère aller à pied, quitte à affronter la chaleur caniculaire du jour et le froid glacial de la nuit, sans parler de la fatigue inhérente à la marche. Bien pire encore, il rejette systématiquement les gestes amicaux d’un vieillard, lequel sacrifie pourtant son propre confort pour mieux veiller sur le jeune homme.

    Le ton était donné dès ce premier film qui réunissait les thèmes phares de ce festival : le deuil et le road movie (avec, comme issue, un retour aux sources ou une fuite impossible). Le réalisateur l’a présenté en disant y avoir mis « toute son âme » et en effet il s’agit d’un film empreint de sérénité qui a une âme et qui fait contraster la brutalité asphyxiante de ce que vit le protagoniste avec la beauté douce, apaisée, certes parfois âpre, des grands espaces. Un film épuré duquel se dégage une sérénité bienveillante et qui s’achève sur un regard plein d’espoir…

    Un cinéma de contrastes et d'oxymores

    Voix étouffées, cris d’espoir ou de douleur, parole tue, condamnée ou jaillissante : tout en faisant souvent preuve d’une économie de mots, cette compétition 2012 a traduit avec beaucoup de subtilité le désarroi de personnages enfermés, étouffés, le plus souvent par la misère sociale, qu’elle soit fruit de la dictature ou de catastrophes personnelles ou naturelles. Un cinéma de contrastes, d’oxymores même : de douce violence et de silences bavards. Un cinéma de qualité en tout cas, malgré sa noirceur qui laissait parfois filtrer une lueur d’espoir d’autant plus belle et éclatante et ravageuse, à l’image de celle de la fin de « Himizu », sans aucun doute l’image qui restera de cette compétition cinématographiquement réjouissante. Vivement la 15ème édition…et en attendant vous pourrez bien entendu suivre ici comme chaque année le Festival du Cinéma Américain de Deauville, de l’ouverture à la clôture.

    Prochain rendez-vous festivalier sur les blogs inthemood : le Festival de Cannes 2012 que vous pourrez suivre en intégralité sur http://www.inthemoodforcinema.com , http://www.inthemoodforcannes.com et http://inthemoodlemag.com, de l’ouverture à la clôture, comme chaque année et, en attendant, si vous êtes en mal de lectures sur les festivals de cinéma, vous pouvez découvrir 4 de mes 13 nouvelles de mon recueil « Ombres parallèles » pour lequel je cherche actuellement un éditeur : http://www.mymajorcompanybooks.com/meziere . N’hésitez pas à y laisser vos commentaires et à vous y inscrire comme « fan » si vous souhaitez soutenir le projet.

    LE PALMARES 2012 du Festival du Film Asiatique de Deauville en photos et vidéos et quelques photos de Deauville et du festival :

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    Lotus du meilleur film | MOURNING de Morteza Farshbaf

    Lotus du jury | BABY FACTORY de Eduardo Roy jr.

    Lotus Air France (prix de la critique internationale) | HIMIZU de Sono Sion

    Lotus Air France (prix de la critique internationale) - Mention spéciale | MOURNING de Morteza Farshbaf

    Lotus Action Asia | WU XIA de Peter Ho-sun chan

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  • Palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2011 et vidéos de la clôture

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    Je sais: mon compte rendu tarde un peu à venir mais de nombreux évènements arriveront prochainement sur mes différents blogs et je préfère donc prendre le temps (qui me manque actuellement) pour l'écrire et le publier dans ces prochains jours. Pour vous faire patienter, je vous propose donc de retrouver, ci-dessous, le palmarès en photos et vidéos (dont la vidéo de l'émouvante chanson sur New York et le 11 septembre de Tony Kaye, à ne pas manquer) avant de vous donner bientôt mon avis sur celui-ci, sur cette compétition, et sur l'ensemble de cette édition 2011.

    PRIX DE LA CRITIQUE INTERNATIONALE : "DETACHMENT" de TONY KAYE

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    PRIX DE LA REVELATION CARTIER : "DETACHMENT" de TONY KAYE

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    PRIX DU JURY : "THE DYNAMITER"  MATTHEW GORDO

     

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    GRAND PRIX : "TAKE SHELTER" JEFF NICHOLS

     

    La cérémonie du palmarès a été suivie de la projection de "The Artist" de Michel Hazananicius. Retrouvez ma critique du film en cliquant ici.

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  • Critique - The Artist - Film de la soirée du palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2011

    C'est ce samedi soir, à 20H, que sera délivré le palmarès de ce 37ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 2011 que vous pourrez bien entendu retrouver commenté ici, au plus tard lundi. Le palmarès sera suivi de la projection de "The Artist" de Michel Hanazavicius dont vous pouvez retrouver ma critique, en avant-première, ci-dessous.

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse des lauréats du Festival de Cannes 2011.

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse des lauréats du Festival de Cannes 2011.

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse du Festival de Cannes 2011 du film "The Artist".

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse du Festival de Cannes 2011 du film "The Artist".

    C’était un dimanche matin de mai 2011, le début du Festival de Cannes encore, en projection presse. Pas encore vraiment l’effervescence pour le film qui obtint la palme d’or mais un joli bruissement d’impatience parmi les regards déjà las, ou obstinément sceptiques. 1H40 plus tard, la salle résonnait d’applaudissements, pendant dix minutes, fait rare en projection presse. Le soir même, je suis retournée le voir en projection officielle. L’émotion fut la même, redoublée par la présence de l’équipe du film, terriblement émue elle aussi par les réactions enthousiastes du public, par les rires tendres, par cette cavalcade d’applaudissements qui a commencé lors de la dernière scène et ne s’est plus arrêtée pour continuer pendant un temps qui m’a paru délicieusement long. Un beau, rare et grand moment du Festival de Cannes.

    Le pari était pourtant loin d’être gagné d’avance. Un film muet (ou quasiment puisqu’il y a quelques bruitages). En noir et blanc. Tourné à Hollywood. En 35 jours. Par un réalisateur qui jusque là avait excellé dans son genre, celui de la brillante reconstitution parodique, mais très éloigné de l’univers dans lequel ce film nous plonge. Il fallait beaucoup d’audace, de détermination, de patience, de passion, de confiance, et un peu de chance sans doute aussi, sans oublier le courage -et l’intuition- d’un producteur (Thomas Langmann) pour arriver à bout d’un tel projet. Le pari était déjà gagné quand le Festival de Cannes l’a sélectionné d’abord hors compétition pour le faire passer ensuite en compétition, là encore fait exceptionnel.

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    Le film débute à Hollywood, en 1927, date fatidique pour le cinéma puisque c’est celle de l’arrivée du parlant. George Valentin (Jean Dujardin) est une vedette du cinéma muet qui connait un succès retentissant…mais l’arrivée des films parlants va le faire passer de la lumière à l’ombre et le plonger dans l’oubli. Pendant ce temps, une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo) qu’il aura au départ involontairement  placée dans la lumière, va voir sa carrière débuter de manière éblouissante. Le film raconte l’histoire de leurs destins croisés.

    Qui aime sincèrement le cinéma ne peut pas ne pas aimer ce film qui y est un hommage permanent et éclatant. Hommage à ceux qui ont jalonné et construit son histoire, d’abord, évidemment. De Murnau à Welles, en passant par Borzage, Hazanavicius cite brillamment ceux qui l’ont ostensiblement inspiré. Hommage au burlesque aussi, avec son mélange de tendresse et de gravité, et évidemment, même s’il s’en défend, à Chaplin qui, lui aussi,  lui surtout, dans « Les feux de la rampe », avait réalisé un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage, lorsque le public, si versatile, devient amnésique, lorsque le talent se tarit, lorsqu’il faut passer de la lumière éblouissante à l’ombre dévastatrice. Le personnage de Jean Dujardin est aussi un hommage au cinéma d’hier : un mélange de Douglas Fairbanks, Clark Gable, Rudolph Valentino, et du personnage de Charles Foster Kane (magnifiques citations de « Citizen Kane ») et Bérénice Béjo, avec le personnage de Peppy Miller est, quant à elle, un mélange de Louise Brooks, Marlène Dietrich, Joan Crawford…et nombreuses autres inoubliables stars du muet.

    Le cinéma a souvent parlé de lui-même… ce qui a d’ailleurs souvent produit des chefs d’œuvre. Il y a évidemment « La comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz, « La Nuit américaine de Truffaut », « Sunset Boulevard » de Billy Wilder, enfin « Une étoile est née » de George Cukor et encore « Chantons sous la pluie » de Stanley Donen et Gene Kelly auxquels « The Artist », de par son sujet, fait évidemment penser. Désormais, parmi ces classiques, il faudra citer « The Artist » de Michel Hazanavicius. Ses précèdents films étaient d'ailleurs déjà des hommages au cinéma. On se souvient ainsi des références à "Sueurs froides" ou "La Mort aux trousses" d'Hitchcock dans "OSS 117 : Rio ne répond plus".

    Hazanavicius joue ainsi constamment et doublement la mise en abyme : un film muet en noir et blanc qui nous parle du cinéma muet en noir et blanc mais aussi qui est un écho à une autre révolution que connaît actuellement le cinéma, celle du Numérique.

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    Le mot jubilatoire semble avoir été inventé pour ce film, constamment réjouissant, vous faisant passer du rire aux larmes, ou parfois vous faisant rire et pleurer en même temps. Le scénario et la réalisation y sont pour beaucoup mais aussi la photographie (formidable travail du chef opérateur Guillaume Schiffman qui, par des nuances de gris, traduit les états d’âme de Georges Valentin), la musique envoûtante (signée Ludovic Bource, qui porte l’émotion à son paroxysme, avec quelques emprunts assumés là aussi, notamment à Bernard Herrmann) et évidemment les acteurs au premier rang desquels Jean Dujardin qui méritait amplement son prix d’interprétation (même si Sean Penn l’aurait également mérité pour « This must be the place »).

    Flamboyant puis sombre et poignant, parfois les trois en même temps, il fait passer dans son regard (et par conséquent dans celui du spectateur), une foule d’émotions, de la fierté aux regrets,  de l’orgueil à la tendresse, de la gaieté à la cruelle amertume de la déchéance.  Il faut sans doute beaucoup de sensibilité, de recul, de lucidité et évidemment de travail et de talent pour parvenir à autant de nuances dans un même personnage (sans compter qu’il incarne aussi George Valentin à l’écran, un George Valentin volubile, excessif, démontrant le pathétique et non moins émouvant enthousiasme d’un monde qui se meurt). Il avait déjà prouvé dans « Un balcon sur la mer » de Nicole Garcia qu’il pouvait nous faire pleurer.  Il confirme ici l’impressionnant éclectisme de sa palette de jeu et d'expressions de son visage.

     Une des plus belles et significatives scènes est sans doute celle où il croise Peppy Miller dans un escalier, le jour  du Krach de 1929. Elle monte, lui descend. A l’image de leurs carrières. Lui masque son désarroi. Elle, sa conscience de celui-ci, sans pour autant dissimuler son enthousiasme lié à sa propre réussite. Dujardin y est d’une fierté, d’une mélancolie, et d’une gaieté feinte bouleversantes, comme à bien d’autres moments du film. Et je ne prends guère de risques en lui prédisant un Oscar pour son interprétation, ou en tout cas un Oscar du meilleur film étranger pour Hazanavicius.  Bérénice Béjo ne démérite pas non plus dans ce nouveau rôle de « meilleur espoir féminin » à la personnalité étincelante et généreuse, malgré un bref sursaut de vanité de son personnage. Il ne faudrait pas non plus oublier les comédiens anglo-saxons : John Goodman, Malcolm McDowell et John Cromwell (formidablement touchant dans le rôle du fidèle Clifton).

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    Il y aura bien quelques cyniques pour dire que ce mélodrame  est plein de bons sentiments, mais Hazanicius assume justement ce mélodrame. « The Artist » est en effet aussi une très belle histoire d’amour simple et émouvante, entre Peppy et Georges mais aussi entre Georges et son cabot-in Uggy : leur duo donne lieu à des scènes tantôt drôles, tantôt poétiques, tantôt touchantes, et là encore parfois au trois en même temps. Hommage aussi à ce pouvoir magique du cinéma que de susciter des émotions si diverses et parfois contradictoires.

    Michel Hazanavicius  évite tous les écueils et signe là un hommage au cinéma, à sa magie étincelante, à son histoire, mais aussi et avant tout aux artistes, à leur orgueil doublé de solitude, parfois destructrice. Des artistes qu’il sublime, mais dont il montre aussi les troublantes fêlures et la noble fragilité.

    Ce film m’a éblouie, amusée, émue. Parce qu’il convoque de nombreux souvenirs de cinéma. Parce qu’il est une déclaration d’amour follement belle au cinéma. Parce qu’il ressemble à tant de films du passé et à aucun autre film contemporain. Parce qu’il m’a fait ressentir cette même émotion que ces films des années 20 et 30 auxquels il rend un vibrant hommage. Parce que la réalisation est étonnamment inspirée (dans les deux sens du terme d’ailleurs puisque, en conférence de presse, Michel Hazanavicius a revendiqué son inspiration et même avoir « volé » certains cinéastes). Parce qu’il est burlesque, inventif, malin, poétique, et touchant.  Parce qu’il montre les artistes dans leurs belles et poignantes contradictions et fêlures.

    Il ne se rapproche d’aucun autre film primé jusqu’à présent à Cannes…et en sélectionnant cet hymne au cinéma en compétition puis en le  primant,  le Festival de  Cannes a prouvé qu’il était avant tout le festival qui aime le cinéma, tous les cinémas, loin de la caricature d’une compétition de films d’auteurs représentant toujours le même petit cercle d’habitués dans laquelle on tend parfois à l’enfermer.

     « The Artist » fait partie de ces films qui ont fait de cette édition cannoise 2011 une des meilleures de celles auxquelles j’ai assisté, pour ne pas dire la meilleure…avec des films  aussi différents et marquants que  « This must be the place » de Paolo Sorrentino, « Melancholia » de Lars von Trier, « La piel que habito » de Pedro Almodovar.

     Un film à ne manquer sous aucun prétexte si, comme moi, vous aimez passionnément et même à la folie, le cinéma. Rarement un film aura aussi bien su en concentrer la beauté simple et magique, poignante et foudroyante. Oui, foudroyante comme la découverte  de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable, omniprésente ici.

    Sortie en salles : le 12 octobre 2011. Vous pourrez également découvrir ce film lors de la soirée du palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville, le 10 septembre…et si j’en ai la possibilité, je ne manquerai certainement pas d’y retourner une troisième fois, pour vous en livrer une critique plus précise (celle-ci étant basée sur mes souvenirs « vieux » d’il y a 4 mois).

    Un dernier petit conseil : ne regardez pas la bande-annonce (dont je n’ai pas peur de dire qu’elle m’a émue, comme le film), pour conserver le plaisir de la découverte.

    En bonus :

    - Ma critique de « La Comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz

    -Ma critique de « OSS 117 : Rio ne répond plus » de Michel Hazanavicius

    -Ma critique d’ « Un balcon sur la mer » de Nicole Garcia

    -Ma critique des « Feux de la rampe » de Charlie Chaplin

     

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  • Compte rendu et palmarès du 13ème Festival du Film Asiatique de Deauville

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    C’est, exceptionnellement, seulement de retour  du Festival du Film Asiatique de Deauville 2011 que je vous livre mon compte rendu, un 13ème festival qui, cette année plus que n’importe quelle autre édition, a témoigné de la richesse et de la diversité du cinéma asiatique et de la sélection deauvillaise d’une qualité qui m’a particulièrement impressionnée. Diversité de styles donc, en revanche j’ai constaté, comme souvent, une résonance thématique entre ces différents films, une réelle noirceur et un pessimisme qui faisaient involontairement écho à l’actualité tragique dont l’ombre a évidemment plané sur Deauville, plusieurs équipes japonaises ayant de surcroît fait le déplacement. Le festival n’a d’ailleurs pas tardé à réagir mettant en place une page destinée à recueillir les témoignages de soutien.

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    Revenons au cinéma (même si cette effroyable réalité en est déjà pour certains qui peut-être planchent sur le scénario d’un blockbuster). Deuil, kidnapping, suicide, violence familiale ou sociale : les thèmes de cette édition 2011 (du moins de la compétition longs-métrages à laquelle je me suis cantonnée)  étaient d’une édifiante noirceur mettant constamment en exergue la solitude des personnages, en quête d’échappatoires et d’ailleurs. Paradoxalement, le film lauréat du grand prix « Eternity » de Sivaroj Kongsakul parlait aussi de deuil mais était sans doute aussi le film le plus lumineux de cette sélection 2011.

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    La 13ème édition du Festival du Film Asiatique de Deauville a débuté par une cérémonie sobre, et un peu mélancolique, à l’image du film d’ouverture « La ballade de l’impossible » de Tran Anh Hung. Ce sont le président du festival, Lionel Chouchan, et le maire de Deauville, Philippe Augier, qui ont déclaré ce Festival du Film Asiatique de Deauville 2011 ouvert, le premier insistant sur le voyage que constitue ce festival, a fortiori cette année puisque pas moins de 7 nationalités étaient représentées par les films sélectionnés, le second insistant sur l’ouverture sur l’extérieur de Deauville qui recevra ainsi très prochainement le G8.

    Le premier de ces voyages nous emmenait donc au Japon avec « La ballade de l’impossible » (Norwegian wood) de Tran Anh Hung (« L’odeur de la papaye verte », « A la verticale de l’été »), une adaptation du roman éponyme de Haruki Murakami, vendu à 10 millions d’exemplaires au Japon et à trois millions à l’international. Premier des films en compétition, ce nouveau film du réalisateur de nationalité française (né dans l’ancien royaume du Laos) nous embarque dans une ballade qui en plus d’être impossible, est particulièrement mélancolique et monotone et non moins jalonnée de fulgurances poétiques visuelles.

    Synopsis: Tokyo, fin des années 60. Kizuki, le meilleur ami de Watanabe, s’est suicidé. Watanabe quitte alors Kobe et s’installe à Tokyo pour commencer ses études universitaires. Alors qu’un peu partout, les étudiants se révoltent contre les institutions, la vie de Watanabe est, elle aussi, bouleversée quand il retrouve Naoko, ancienne petite amie de Kizuki. Fragile et repliée sur elle-même, Naoko n’a pas encore surmonté la mort de Kizuki. Watanabe et Naoko passent les dimanches ensemble et le soir de l’anniversaire des 20 ans de Naoko, ils font l’amour. Mais le lendemain, elle disparaît sans laisser de traces. Watanabe semble alors mettre sa vie en suspension depuis la perte inexplicable de ce premier amour. Lorsqu’enfin il reçoit une lettre de Naoko, il vient à peine de rencontrer Midori, belle, drôle et vive qui ne demande qu’à lui offrir son amour.

    Un film dans lequel s’entrelacent amour, deuil et sexualité. Un film d’une mélancolie poignante et éprouvante à l’image de celle qui accompagne parfois le passage à l’âge adulte, celui vécu en tout cas par les personnages. Un film qui oscille entre la douceur de l’enfance et la violence de  la fin de l’adolescence avec ses personnages qui se heurtent à une nature incontrôlable face à laquelle ils sont impuissants et minuscules, incontrôlable à l’image des démons qui les habitent et des tempêtes (au propre comme au figuré) qu’ils devront surmonter. La caméra de Tran Anh Hung flotte, fragile, perturbée, instable comme l’existence. A cela s’ajoute la complainte mélancolique des violons et la bande originale très réussie de Jonny Greenwood. « La ballade de l’impossible » sortira en salles le 4 mai 2011.

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    Ensuite, à nouveau direction le Japon pour le second film en compétition, « Sketches of Kaitan city » de Kazugoshi Kumakari  qui relate cinq évènements en apparence sans importance  qui se déroulent à Kaitan City, une ville du Nord du Japon. Les tramways filent à travers la vie des personnes liées à ces évènements et la neige finit par recouvrir chacune d’entre elles. Chaque protagoniste continue à vivre tout en sachant ce qu’il a perdu, regretté et pleuré. En adaptant des nouvelles de Yasushi Sato, Kumakari nous fait passer subtilement, parfois subrepticement, d’une histoire à l’autre les faisant s’entrecroiser, parfois se répondre et, chacune criant la détresse, la solitude, la pauvreté des différents personnages mais ne forçant jamais l’émotion. Le ciel étoilé ou  ensoleillé, seul ailleurs accessible et gratuit, vers lequel se tournent la plupart des personnages reflète cette autre envie d’ailleurs, elle inaccessible. Le plan de la fin d’une vieille femme égarée au milieu de pelleteuses destructrices se rattachant à sa dernière béquille, son chat qu’elle caresse, des caresses que la caméra accompagne longuement, résonne longtemps  comme un cri déchirant de douleur.  

     « Sketches of Kaitan city » est (déjà) le huitième film du (jeune) réalisateur  Kazuyoshi Kumakari, un film produit avec l’aide de la population, souvent interprété par des comédiens amateurs et qui pourtant relève de tout sauf de l’amateurisme et dans lequel le jeu et les situations sont d’une justesse étonnante.

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    "Sketches of Kaitan city" est mon premier coup de cœur qui a été récompensé du prix du jury ex-aequo, un prix qu’il a partagé avec un film sud-coréen « The journals of Musan » (déjà lauréat de l’Etoile d’or au Festival de Marrakech), le premier film de Park Jungbum qui y interprète d’ailleurs le rôle principal, celui d’un homme d’origine nord-coréenne handicapé par le numéro de sa carte d'identité qui révèle son origine nord-coréenne. Jeon Seungchul peine ainsi à trouver du travail et à créer des liens avec les personnes qu'il croise à l'église. Il subit de nombreuses discriminations à l'image du chien errant qu'il a recueilli.  Jeon Seungchul est un marginal au sein de la société capitaliste sud-coréenne. Emane de ce film, là encore, un profond pessimisme, un désarroi même. Même si la nationalité du protagoniste n’est évoquée en apparence que de manière presque secondaire, les drames que cela engendre pour lui n’en sont que plus palpables, enfermé dans cette identité à laquelle il se trouve réduit, enfermé dans sa solitude, enfermé sans cette ville dans laquelle son seul ami est un chien condamné à la même errance, et sans doute au même triste sort. Ce personnage incarné par le réalisateur est bouleversant et semble trimballer avec lui toute la détresse d’un peuple. Mon deuxième coup de cœur du festival.

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    Mon troisième coup de cœur c’est « Eternity » dont je vous parlais précédemment, qui a reçu le grand prix de cette 13ème édition du Festival du Film Asiatique de Deauville.

    Synopsis : Dans un petit village à la campagne, un fantôme revient hanter les lieux de sa jeunesse. Il s'appelle Wit et il est mort trois jours auparavant. Il se souvient des jours où il était tombé amoureux de Koi, sa future épouse. Il l'avait ramenée chez lui afin qu'elle rencontre ses parents. Bien qu'elle était au départ peu encline à une vie rurale, elle accepta peu après d'y passer le restant de ses jours auprès de l'homme qu'elle aimait…

    Ce film est sans doute celui qui a découragé le plus grand nombre de festivaliers non pas à cause de sa violence dont il ne fait nullement preuve (ce qui, à mes yeux auraient été plus logique) mais de sa lenteur. Réaction sans doute symptomatique d’une époque où l’ennui est la pire des souffrances, où tout doit aller très vite, où tout doit être immédiatement traduisible en un sms ou un twitt,  où il faut aller directement à l’essentiel. Si cette lenteur a été  pour beaucoup visiblement synonyme d’ennui, elle est pour moi ici synonyme de sérénité, de poésie, de sensibilité, de confiance en la patience et l’intelligence du spectateur (quand tant cherchent à l’infantiliser). Il fallait en effet accepter de se laisser (em)porter par ce film thaïlandais qui, à l’image de la palme d’or du Festival de Cannes 2010 signée Apichatpong Weerasethakul (la ressemblance s’arrête là, car autant j’ai été charmée par « Eternity », autant je suis restée hermétique à « Oncle Bonmee » , vu après 12 jours de Festival de Cannes néanmoins, ceci expliquant peut-être cela), évoquait également le réincarnation et qui débute par de longs plans séquences au cours desquels un homme traverse des paysages à moto, prisonnier du cadre cinématographique comme de l’éternité.  Sibaroj Kongsakul a réalisé ce film pour rendre hommage à ses parents et à leur histoire d’amour. Amos Gitaï en lui remettant le grand prix a défini ce film comme un “film de challenge, à la limite du projet artistique abstrait qui fait preuve d’ironie et de tendresse dans sa description d’un couple”.  Très beau film d’amour aussi où tout se déroule en douceur, en gestes esquissés ou maladroits comme deux mains qui se rejoignent presque imperceptiblement à travers une moustiquaire, où la nature impassible et radieuse semble être un troublant pied de nez à la mort , où tout dit la douleur de l’absence dans un présent simple et évanescent, une absence qui tisse sa toile avant de se révéler, poignante. Un film plein de délicatesse qui imprègne peu à peu, ne cherche jamais la facilité ou l’émotion mais finit par conquérir la seconde.

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    Poursuite du voyage avec le seul film dont je regrette qu’il ne figure pas au palmarès : « Birth right », premier film  du Japonais Naoki Hashimoto qui commence comme un film contemplatif, se poursuit comme un thriller, lorgne vers un huis-clos pour se terminer en tragédie.

    Synopsis : Depuis quelques jours Mika observe à distance un couple marié et leur fille Ayano. elle décide alors de prendre une décision irrévocable. En chemin vers l'école, Mika parle à Ayano, gagne sa confiance et la kidnappe. Elle l'emmène ensuite dans un bâtiment désaffecté et l'enferme à double tour…

    Mika apparaît d’abord comme une ombre fantomatique, irréelle, peut-être là aussi une réincarnation, invisible en tout cas aux yeux de tous comme elle l’est depuis toujours. Elle observe cette vie familiale, heureuse, paisible, une vie qui lui est étrangère. La composition de chaque plan est d’une intelligence et d’une épure remarquables et nous dit à chaque fois quelque chose (parfois a posteriori) du personnage observateur ou observé. Les scènes dans la quasi-obscurité du bâtiment désaffecté sont d’une intensité suffocante. Hashimoto ne juge pas ses personnages mais donne une explication à leurs actes horribles. Sans doute un flashback très explicatif mais non moins réussi avec une belle économie de mots, et  le symbolisme exacerbé, en irriteront-ils certains comme cette fin où la mère accouche et avorte symboliquement d’une fille qui se retrouve dans la mer, mère symbolique, enfin rassurante. La tension va crescendo et vous fait passer de la tranquillité à « l’intranquillité », du calme et la douceur du giron familial( qui s’avèrera fallacieux) à la violence et vous donnera envie de revoir le film comme dans les meilleurs thrillers.  A noter également les performances des deux actrices principales dont la plus jeune a dit avoir été beaucoup malmené par le réalisateur pour parvenir à ce résultat. (photo ci-dessous)

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     Dans « Donor », film philippin de Mark Meily qui a ironiquement annoncé que c’était le « feel good movie de l’année »  Lizette vend des DVD pirates dans les rues de Manille. Devant la recrudescence des descentes de police elle cherche désespérément un moyen de gagner sa vie. Elle décide de vendre un de ses reins au marché noir afin d’avoir suffisamment d’argent pour quitter le pays et s’installer à Dubaï.

     Moins abouti que d’autres films de la compétition, sa démonstration comme une addition de malheurs dont le résultat tragique semble inéluctable, là encore dans la solitude et la tragédie, est d’une logique et d’une force aussi implacables que dramatiques.

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    Dans « Buddha Mountain » de la Chinoise Li Yu, là encore il s’agit de faire face au deuil et à la solitude et surtout du chemin vers leur acceptation qui mènera à Buddha Mountain…

    Synopsis : Trois amis, ding bo, nan feng et fatso, ont terminé leur dernière année de lycée. Malgré la pression parentale, ils préfèrent arrêter leurs études et refusent de s'inscrire aux examens d'entrée à l'université. Impatients de voler de leurs propres ailes et de trouver du travail, ils se rendent dans la ville de Chengdu où ils louent plusieurs chambres dans la maison d'une ancienne chanteuse de l'opéra de pékin…

     

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    Enfin dans « Udaan », Vikramaditya Motwane montre qu’il existe une alternative à Bollywood même si le film s’y réfère par de petites touches musicales et entraînantes. C’est surtout l’unique film de la compétition qui s’achève par une belle note d’espoir qui faisait cruellement défaut à cette compétition (même si, ici aussi, le personnage principal rêve d’un ailleurs, mais qui contrairement aux autres réussit à y accéder), le lauréat de l’applaudimètre et sans aucun doute le prix du public s’il y en avait eu un cette année à nouveau. Là encore un réalisateur à suivre et une belle découverte de cette édition 2011.

    Synopsis : Après avoir passé huit ans dans un pensionnat, Rohan revient dans la petite ville industrielle de Jamshedpur. Il se retrouve à l'étroit entre un père autoritaire et un jeune demi-frère, dont il ne connaissait pas l'existence. Contraint à travailler dans l'usine sidérurgique de son père ainsi qu'à poursuivre des études d'ingénieur, il tente malgré tout de forger sa propre vie en réalisant son rêve : devenir écrivain.

    J’ai manqué « The old donkey » du Chinois Li Ruijun et « Cold fish » de Sion Sono qui a reçu le prix de la critique internationale.

    Malgré la noirceur et le pessimisme des films présentés cette année qui mettaient presque tous en scène une réalité accablante, je n’ai pas moins été éblouie par ces films qui, chaque fois, m’ont embarquée dans un univers et ailleurs même si les personnages ne rêvaient, eux, que d’y échapper. Le Festival du Film Asiatique de Deauville qui en était déjà et seulement à sa 13ème édition a donc de beaux jours devant lui.  Comme à chaque fois, la douce, réjouissante et incomparable mélancolie de Deauville m’a ensorcelée, revigorée et je reviens avec des projets pleins la tête et l’envie d’y revenir, une fois de plus, pour le prochain Festival du Cinéma Américain de Deauville que vous pourrez donc suivre sur inthemoodforcinema.com et sur inthemoodfordeauville.com, du 2 au 11 septembre.

    Prochain festival à suivre en attendant : le Festival de Cannes que je vous commenterai en direct du 11 au 23 mai sur Inthemoodforcinema.com et sur Inthemoodforcannes.com mais en attendant d’autres évènements à découvrir sur ce blog : ma critique des « Yeux de sa mère » de Thierry Klifa et ma rencontre avec l’équipe du film notamment une certaine Catherine Deneuve, l’inauguration du Salon du livre, les Etoiles d’or et de nouveaux concours…

    Je vous laisse découvrir le palmarès ci-dessous et au préalable mes photos et ma vidéo de l’hommage à Hong Sangsoo.

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    PALMARES

    Le Jury Longs Métrages présidé par Amos Gitaï, entouré de Jacques Fieschi, Mia Hansen-Love, Reda Kateb, Pavel Lounguine, Noémie Lvovsky, Catherine Mouchet, Anne Parillaud et Marc Weitzmann a décerné les prix suivants:

    LOTUS DU MEILLEUR FILM - Grand Prix

    ETERNITY de  Sivaroj KONGSAKUL (Thaïlande )

    LOTUS DU JURY - Prix du Jury ex-aequo

    SKETCHES OF KAITAN CITY de Kazuyochi KUMAKIRI (Japon )

    et THE JOURNALS OF MUSAN de PARK Jungbum (Corée du Sud )

    Le jury composé de journalistes internationaux a décerné le prix suivant:

    LOTUS AIR FRANCE - Prix de la Critique Internationale

    COLD FISH de Sion SONO (Japon )

     Le Jury Action Asia présidé par Pierre Morel, entouré de Yannick Dahan, Lola Doillon, Lika Minamoto, Yves Montmayeur et Jules Pélissier a décerné son prix au film:

     LOTUS ACTION ASIA - Grand Prix Action Asia

    TRUE LEGEND de/by YuenWOO-PING (Chine)

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  • Le palmarès du 35ème Festival du Cinéma Américian de Deauville

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    A partir d'aujourd'hui, Inthemoodforcinema.com va reprendre son rythme de publication quotidienne.

     En attendant de vous livrer sur ce blog et sur inthemoodfordeauville.com tous mes articles, photos, vidéos de ce 35ème Festival du Cinéma Américain de Deauville (compétition, avant-premières, hommages, conférences de presse d'Harrison Ford, Andy Garcia etc), ces jours prochains et tout au long de la semaine, en voici le palmarès (que je commentaire bien entendu également, ayant vu 9 films en compétition sur 11):

    PALMARES

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    Le Jury Palmarès de la 35e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Jean-Pierre Jeunet, entouré de Hiam Abbas, Emilie Dequenne, Deborah François, Sandrine Kiberlain, Géraldine Pailhas, Dany Boon, Jean-Loup Dabadie, Patrice Leconte et Bruno Podalydès, a décerné les prix suivants:

    GRAND PRIX

    THE MESSENGER de Oren Moverman

    PRIX DU JURY ex aequo

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    PRECIOUS de Lee Daniels & SIN NOMBRE de Cary Joji Fukunaga

    Le Jury de la Révélation de la 35e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Maïwenn, entourée de Romane Bohringer, Aïssa Maïga, Louise Monot, Nicolas Fargues et Raphaël, a décerné son Prix de la Révélation Cartier à:

    PRIX DE LA REVELATION CARTIER

    HUMPDAY de Lynn Shelton

    Le Jury de la Critique Internationale, composé de journalistes internationaux, a décerné le prix suivant :

    PRIX DE LA CRITIQUE INTERNATIONALE

    THE MESSENGER de Oren Moverman

    PRIX LITTERAIRE Lucien Barrière

    Colum McCann pour son roman

    “ET QUE LE VASTE MONDE POURSUIVE SA COURSE FOLLE”

    PRIX MICHEL D’ORNANO

    QU’UN SEUL TIENNE ET LES AUTRES SUIVRONT de Léa Fehner

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