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cinéma américain

  • Programme complet du 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville

    Rendez-vous sur Inthemoodforcinema.com en cliquant ici pour lire mon article détaillant le programme de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 en direct duquel je vous donne rendez-vous dès l'ouverture ce 1er septembre.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019 : nouvelle identité visuelle

    Affiche Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019.jpg

    Avant de vous parler de ce mémorable 72ème Festival de Cannes, une petite incursion par Deauville pour vous parler de la nouvelle identité visuelle du Festival du Cinéma Américain.

    Pour son 45ème anniversaire, le Festival du cinéma américain de Deauville dévoile sa nouvelle identité visuelle, et son affiche, et "affirme le cinéma comme l’art de l’avenir". Une création graphique signée Slumberland.

    Comme chaque année, depuis une vingtaine d'années, vous pourrez me suivre en direct du festival, mon festival de prédilection, celui qui a changé le cours de mon existence. Comme chaque année, je vous ferai également gagner vos pass et invitations pour le festival en partenariat avec le CID.

    En attendant de vous dévoiler les premiers éléments de programmation, retrouvez mon compte rendu de l'édition 2018, ici, - et des précédentes éditions sur mon blog Inthemoodfordeauville.com entièrement consacré à Deauville.

    À très bientôt pour de nouvelles informations sur cette 45ème Édition que je me réjouis de vivre et couvrir du 6 au 15 septembre 2019.

    Et si ce n'est déjà fait, retrouvez aussi le Festival du Cinéma Américain de Deauville dans mon recueil de 16 nouvelles sur le cinéma "Les illusions parallèles" et dans mon roman "L'amor dans l'âme" (Éditions du 38).

  • 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : bilan détaillé et compte rendu

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    Un festival est un film en soi. Un condensé d’émotions. Avec un début plein d’espoir et d’illusions. Un dénouement avec une sensation d’euphorie, quelques désillusions parfois aussi car un festival exacerbe les sentiments, plus ou moins nobles. Entre les deux, des rebondissements, des rencontres, des découvertes, des dialogues, une parenthèse enchantée (à Deauville, toujours) ou désenchantée. Et des images qui ne reflètent qu’un aspect parcellaire de ce tourbillon, un kaléidoscope d’instants.

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    S’il fallait choisir la musique qui constituerait la bande originale de ce 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, ce serait indéniablement celle jouée par Renaud Capuçon lors de la clôture. Non pas que ce festival fut triste (bien au contraire, malgré la noirceur des films en compétition et même souvent de ceux projetés en Premières, j’y reviendrai plus bas) mais parce que ce moment fut magique, d’une intensité inouïe et bouleversante. Hors du temps. A suspendre son souffle, sa mélancolie, l’angoisse de l’après. Je ne l’ai filmé que quelques secondes pour en profiter pleinement mais je tenais à le partager ici avec vous.

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    Des instants magiques, il y en eut d’autre : le discours lyrique et inspiré en hommage à Morgan Freeman par Vincent Lindon, le président à vie du festival (les habitués comprendront), les standing ovations à la fin de certaines projections (Puzzle, Les Chatouilles…) et une clôture qui s’est achevée dans la bonne humeur (cf vidéo ci-dessous) comme celle qui a régné pendant ces dix jours sans un soleil irréel et étincelant.

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    Mais avant de vous parler de tout cela. Petit flashback.

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    Chaque année, le vendredi de l’ouverture, la fébrilité est à son comble. Lorsque dans la majestueuse salle du CID retentit la flamboyante musique du festival, c’est toujours une réminiscence qui fait palpiter le cœur à mille à l’heure. Depuis 26 ans pour moi. Débute alors un exaltant voyage immobile auquel invite la devise du festival : un moment unique pour tous les amoureux du cinéma. Deauville se pare alors des couleurs de la bannière étoilée. Les planches s’auréolent de mélancolie joyeuse. La ville vit soudain au rythme trépidant du 7ème art. Deauville est le festival du public. De tous les publics. De ceux qui veulent découvrir l’état de l’Amérique à travers les Docs de l’Oncle Sam et les films indépendants de la compétition. De ceux qui veulent frissonner ou rêver en découvrant les Premières (cette année, notamment les films de Jacques Audiard, Mélanie Laurent, John Curran…) et en assistant aux hommages (une légende était sur les planches, Morgan Freeman).

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    A Deauville se côtoient la tonitruance et la discrétion, les stars d’aujourd’hui (avec les Deauville Talent Awards, cette année Kate Beckinsale, Sarah Jessica Parker, Jason Clarke) et celles en devenir (avec le nouvel Hollywood : Shailen Woodley, Elle Fanning). Une alliance subtile avec un générique à faire pâlir d’envie les plus grands cinéastes avec même la présence de John Grisham dont tant de livres ont été adaptés (ce qui sera certainement le cas de celui-ci, très cinématographique qui cette fois ne se situe plus dans le milieu juridique -qui lui seyait tant et mieux à mon goût- mais dans celui des éditeurs et des librairies).

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    A Deauville plus qu’ailleurs, bien que le cinéma y soit une fenêtre ouverte sur l’âpre présent des Etats-Unis, la réalité fait une pause pour vous transporter dans une parenthèse enchantée qui exhale le parfum de l’enfance, celui de l’insouciance, où la vie se vit au rythme du cinéma. Un soupçon d’éternité.

    affiche du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018

    Comme chaque année, sur la magnifique affiche, nous retrouvons les codes habituels que sont les couleurs de la bannière étoilée, pont ici au sens figuré et au sens propre entre la Normandie et les Etats-Unis, l’évocation des planches, le voyage immobile auquel invite le festival. En émane une belle sensation d’ailleurs, de légèreté, de liberté, d’envol. La légèreté n’était pourtant guère au programme. Et pour cause. Les films en compétition sont en effet chaque année le reflet des Etats d’Amérique et surtout de l’état de l’Amérique. L’an passé, le Festival du Cinéma Américain de Deauville nous dressait ainsi le portrait d’une Amérique déboussolée, sans doute a fortiori après l’élection à sa tête d’un personnage déroutant (quel euphémisme au regard de cette année écoulée !). Au programme, ainsi, l’an passé, la violence subie par les différentes communautés ou entre communautés qui se replient sur elles-mêmes. Une Amérique communautaire en proie à la violence. Ce sujet était d'ailleurs à nouveau au cœur des films en compétition cette année (notamment dans le remarquable Monsters and men, oublié du palmarès).

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    Plus que jamais, en 2017, le cinéma nous dévoilait l’envers du décor de l’American dream, et même son échec. Une Amérique qui n’est pas un Eldorado mais au contraire une prison de violence dont les personnages (souvent attachants mais broyés par l’existence) ne rêvent que de s’échapper. Une Amérique pétrie de contrastes et contradictions dont les enfants doivent bien souvent renoncer à leurs rêves pour continuer à avancer. Des enfants confrontés très tôt à des responsabilités d’adultes, délaissés par des parents immatures, à l’image de cette Amérique qui abandonne ceux qu’elle a enfantés, ces rêveurs d’hier confrontés à la rude réalité, à leurs châteaux de verre qui ne sont que mirages ou qui s’écroulent pour reprendre le titre du splendide film de clôture du festival l’an passé.

    Le Maire de Deauville, lors de la conférence de presse de ce 44ème Festival du Cinéma Américain, avait ainsi tenu à insister sur l'« inflexion du festival dans sa dimension culturelle en choisissant de faire du cinéma indépendant le cœur du festival ». 15 premiers films ont ainsi projetés dont 8 dans la compétition. 62 films au total ont ainsi été présentés dans le cadre du festival : compétition, premières, Docs de l’Oncle Sam étaient ainsi au programme comme chaque année et même un prix exceptionnel du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville pour Les Frères Sisters.

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    La couleur de la sélection sera « sombre » avait ainsi annoncé Bruno Barde lors de cette même conférence, « la couleur de l’Amérique » avait-il ajouté. Le Maire de Deauville, lors de l’ouverture, a également déclaré que « bien sûr le cinéma est là pour nous distraire, nous faire rêver, mais plus que jamais pour décrypter et témoigner de l’évolution de la société. »

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    Cette année, celle de l’après #MeToo, si la noirceur était effectivement aussi au rendez-vous, le pouvoir était pris par les femmes, deux titres des films de la compétition étaient ainsi des prénoms féminins (Nancy et Diane) et six d’entre eux avaient pour personnages principaux des protagonistes féminines. Des femmes souvent condamnées par l’existence, engluées ou même enfermées dans leur quotidien, leur passé, confrontées à la solitude, à la maladie, à la mort, aux traumatismes…et même enfermées au sens propre et condamnées à mort dans le douloureux Dead women walking. Des femmes fortes et combattives qui s’emparaient néanmoins de leurs destins. Les films s’achevaient ainsi souvent par un nouveau départ (au sens propre). En route vers un lendemain peut-être plus joyeux. Une note d’espoir malgré tout. L’envol finalement. Dans chaque film aussi ou presque, la religion était aussi (omni)présente. « Une Amérique où règne le désenchantement et la mélancolie, où l'espoir est tenace », comme l’a très bien résumé la présidente du jury de la critique, l’enthousiaste Danièle Heymann. Le jury de la critique, lors de la cérémonie du palmarès, a d’ailleurs également tenu à saluer « la quasi parité de la compétition avec 6 films de femmes. »

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    Cette année, le festival avait par ailleurs choisi de mettre en avant le talent de quatre femmes qui, "toutes, par leurs choix exigeants et leurs parcours, témoignent d’une audace et d’une liberté qui font la force du cinéma indépendant contemporain dans toute sa diversité et sous toutes ses formes: Kate Beckinsale (Deauville Talent Award), Elle Fanning (Nouvel Hollywood); Mélanie Laurent; et Shailene Woodley (Nouvel Hollywood)." Et c’était aussi une femme (amoureuse de Deauville, elle aussi), Sandrine Kiberlain, qui présidait cette année le jury. Il y eut aussi Sarah Jessica Parker, si lumineuse avec son « énergie unique et transgressive » comme l’a souligné le Maire de Deauville. Les femmes étaient aussi à l’honneur dans les documentaires (dont je vous parlerai ultérieurement). En attendant, petit résumé de cette sélection 2018. Cette compétition, comme chaque année, était une fenêtre ouverte sur les tourments de l’Amérique contemporaine dans laquelle ses citoyens courent après la liberté, l’émancipation, le droit d’exister simplement sans être discriminé, bien loin de l’American dream. Les films primés sont pourtant pour la plupart parsemés de notes de poésie et de fantaisie, s’achevant le plus souvent par un regard ou un départ, bref un espoir opiniâtre…

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    Pour être parfaitement exhaustive, il m’aurait fallu évoquer aussi les documentaires (que je n’ai pas eu le temps de voir pendant le festival et que je rattraperai après celui-ci) et toutes les premières. J’ai fait le choix d’évoquer ici mes coups de cœur. A la fin de cet article, avec les remerciements d’usage, vous trouverez aussi quelques photos de ma rencontre dédicace à la librairie de Deauville Jusqu’aux lueurs de l’aube (que je remercie à nouveau ici).

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    LA COMPETITION

    FRIDAY’S CHILD de A.j. Edwards

    affiche de friday's child

    Synopsis : Richie, dix-huit ans, quitte sa famille d'accueil et se heurte à la dure réalité d'une vie marginale semée d'embûches et de tentations. Alors qu'il devient le principal suspect d'un cambriolage raté, il fait une rencontre improbable et découvre un amour impossible. Avec la police à ses trousses et un mystérieux individu menaçant de révéler son passé, il ne reste à Richie que peu de temps pour prendre les bonnes décisions et revenir dans le droit chemin.

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    La compétition a commencé très fort avec Friday’s child de A.J. Edwards, aussi beau et déchirant qu’un poème (un chef-d’œuvre de la littérature a inspiré le réalisateur, Crime et châtiment de Dostoïevski). Cela débute par la fenêtre d’une sinistre maison qui s’éclaire, symbole du fragile espoir qui brille dans la nuit de l’existence du personnage principal, Richie. Y errent des enfants en difficulté, abandonnés, des ombres fantomatiques à l’image de Richie, dix-huit ans et le visage encore enfantin incarné par Tye Sheridan (Ready Player One, Mud), qui quitte sa famille d’accueil pour se heurter à l’âpre réalité d’une vie d’adulte esseulé. Sur sa route : une propriétaire sans scrupules, une jeune femme endeuillée et divorcée, Joan, et un mauvais génie. C’est le deuxième long métrage du réalisateur qui a travaillé avec Terrence Malick comme monteur et comme consultant artistique. Cela se ressent dans chaque plan qui exhale la même magnificence lyrique. Certains diront qu’il ne fait là que le singer, pourtant se dégage de ce film une personnalité singulière qui, dès le premier plan, vous happe. Quelle virtuosité dans la mise en scène ! Ainsi, les personnages sont souvent enfermés dans un cadre et un univers déshumanisés (un carré suffocant, des couloirs sans fin, ou dans l’embrasure d’une porte comme un hommage aux célèbres plans de John Ford) comme ils le sont par leur existence d’emblée placée sous le sceau de la tragédie. C’est un film de contrastes. Entre les décors gris et les lignes carcérales (qui m’évoquent ceux de Playtime de Jacques Tati) et les plans éblouissants baignés de lumière du soleil. Entre l’horizon apaisant filmé au format 16/9ème lorsque Richie est en compagnie de Joan et que son avenir s’éclaire. Et le format 4/3 qui l’enserre lorsque son futur s’obscurcit et qu’il semble sans espoir. Entre la poésie qui émane de ce couple d’âmes blessées et la dureté de la vie qui les broie telles ces machines carnassières sur lesquelles travaille Richie. Ajoutez à cela une musique lancinante, obsédante, hypnotique qui reflète judicieusement l’état d’esprit de Richie et vous obtiendrez un film dont la dernière scène, magistrale, vous hante longtemps après la fin. Le portrait d’une Amérique impitoyable avec les plus fragiles. A l’image des films de cette compétition.

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    AMERICAN ANIMALS de Bart Layton

    American animals a reçu le Prix du jury ex-aequo « pour sa construction brillante et originale, pour l'envie de suivre ce cinéaste », selon les propos de la présidente du jury, Sandrine Kiberlain.

    affiche du film american animals

    Synopsis : Quatre étudiants abhorrent l'idée d'avoir une vie ordinaire et décident crânement de réaliser le plus audacieux vol d'œuvre d'art de l'histoire des États-Unis. Alors qu'ils préparent minutieusement leur coup, ces apprentis voleurs se demandent si leur recherche de sensations fortes va vraiment donner un sens à leur existence. Lorsqu'ils ont enfin un semblant de réponse, le point de non-retour est franchi et ils ne peuvent plus faire marche arrière...

    Alors que, cette année, la compétition dresse principalement des portraits de femmes qui s’emparent de leurs destins, dans American animals, ce sont en revanche 4 étudiants avides de sensations fortes qui, pour échapper à une vie qu’ils estiment trop ordinaire, décident de réaliser un vol d’œuvres d’art. Dès les premiers plans, notre attention est happée par la savante maitrise de la réalisation et du montage, et par un rythme et une musique, d’emblée haletants. Le film débute sur l’image en gros plans de leurs visages qu’ils maquillent tout comme ils masquent la vérité dans leurs propos. American animals est en effet inspiré d’une histoire vraie et le réalisateur alterne entre la fiction et les témoignages des protagonistes qui parfois se contredisent, ayant visiblement une vision tronquée de leurs méfaits. Ces animaux, ce sont ceux qui figurent sur les dessins qu’ils souhaitent dérober. Ce sont aussi ce qu’ils deviennent, perdant peu à peu leur humanité, hypnotisés par la volonté de briller qui, malgré quelques scrupules, leur fait occulter la gravité de leurs actes. Ces American animals, c’est aussi ce que nous fait devenir une société qui, si tristement, érige en héros ceux qui sont simplement célèbres, souvent pour de mauvaises raisons, si éloignées de celles qui ont conduit les œuvres que les quatre étudiants convoitent et leurs auteurs à être reconnus. American animals est certes un hommage savoureux et jouissif aux films de braquage avec des clins-d ‘œil aux cinéastes qui les ont sublimés, le réalisateur jouant avec les codes du genre pour mieux les réinventer, mais il dépasse le simple film de genre pour nous interroger sur le rapport à l’image et à la vérité. Les quatre garçons vont atteindre le point de non-retour en séquestrant la bibliothécaire qui s’occupait de ces œuvres. Le film n’atteint-il pas alors ses limites en ce qu’il glorifie d’une certaine manière ce qu’il dénonce, donnant la parole aux coupables, leur permettant de s’enorgueillir publiquement de ce qu’ils considèrent toujours comme leur « exploit extraordinaire » même si leurs propos et leur « exploit » ainsi mis en lumière sont certes contrebalancés par ceux de la victime, qui apparaît à la fin, dans toute son humilité et sa souffrance, elle qui, dans l’ombre a consacré sa vie à protéger le laborieux travail des artistes ? A vous de juger.

    NIGHT COMES ON de Jordana Spiro et MONSTERS AND MEN de Reinaldo Marcus Green

    Night comes on a reçu le deuxième prix du jury, aussi simple (mais ne nous touchant pas moins droit au cœur et non moins remarquable) que le premier prix du jury est sophistiqué. Monsters and men est un oublié du palmarès et néanmoins un film coup de poing à voir absolument.

    Synopsis de Night comes on : Après plusieurs années passées dans une prison pour mineurs, Angel, dix-huit ans, peut enfin reprendre le cours de sa vie. Son désir : reconstruire une famille avec sa jeune sœur. Mais lui avouera-t-elle le sombre projet qu'elle nourrit en secret ?

    night comes on

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    Synopsis de Monsters and men : Un jeune homme noir est abattu par la police. Trois témoins du crime – un passant qui a filmé la scène avec son téléphone, un policier afro-américain et un lycéen – se retrouvent face à un dilemme : garder le silence pour s'éviter des ennuis ou s'impliquer personnellement pour réparer une terrible injustice.

    affiche Monsters and men

    Ces deux films remarquables sont à l’image de leurs titres et de leurs débuts : poétique pour l’un et plus revendicatif pour l’autre. Dans les deux pourtant, la même tension et la même légitime colère, palpables, et la même violence qui broie et tue la communauté afro-américaine. Dans Night comes on, après plusieurs années passées dans une prison pour mineurs, la bien nommée Angel, dix-huit ans, est écartelée entre le rêve de la reconstruction d’une famille avec sa jeune sœur et celui de se venger de son père, responsable de la mort de sa mère. Dans Monsters and men un jeune homme noir est abattu par la police. Trois témoins du crime (un passant qui a filmé la scène, un policier afro-américain et un lycéen) sont confrontés à un terrible dilemme : garder le silence pour s'éviter des ennuis ou s'impliquer personnellement pour réparer cette effroyable injustice. Le premier commence en effet par la douce voix de la mère d’Angel sur une musique qui l’est tout autant : « Peu importe où on est, il suffit d’écouter le bruit pour être sur la plage et pour affronter le soleil » dit-elle tandis que dans le second, un jeune homme noir, écoute de la musique dans sa voiture jusqu’à ce qu’il aperçoive la police dans son rétroviseur. Il est alors arrêté et contrôlé. La musique et un semblant d’insouciance se taisent brusquement. La menace est là qui plane. Constamment. En filmant avec une empathie et une bienveillance infinies ses deux jeunes actrices, Jordana Spiro ose croire en des lendemains plus joyeux grâce au pardon et à l’entraide. Reinaldo Marcus Green dresse en revanche un constat beaucoup plus pessimiste : celui d’une communauté abattue, résignée, désarçonnée face à cette violence inique et omniprésente dont elle est victime. Les dénouements des deux films nous procurent pareillement des frissons, Monsters and men pour un geste magnifique et grandiose de révolte silencieuse qui, à lui seul, mérite que le film soit vu. Résonnent encore dans ma tête les voix qui scandent le prénom du jeune homme tué. Et le bruit du flux et du reflux des vagues de Night comes on. Deux « musiques » entêtantes et une colère à entendre absolument.

    DEAD WOMEN WALKING de Hagar Ben-asher

    Synopsis : Neuf histoires courtes décrivent les derniers moments de plusieurs femmes condamnées à la peine capitale. A travers leur parole et leur regard, mais aussi ceux des personnes qu'elles rencontrent quelques heures avant leur exécution, se dessine le destin tragique de chacune d'entre elles ou comment la violence faite aux femmes, la pauvreté, les tensions raciales et l'injustice engendrent des vies brisées.

    Le jury de ce 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville a sans doute été confronté à des choix cornéliens pour élire le Grand Prix de cette édition tant les films en lice marquent les esprits avec pour thématique récurrente des portraits de femmes confrontées, seules le plus souvent, aux vicissitudes de l’existence. C’est aussi le cas dans Dead women walking constitué de neuf histoires courtes qui décrivent les ultimes instants de plusieurs femmes condamnées à la peine capitale. La réalisatrice les cadre au plus près, de leurs visages, de leurs âmes, de leurs émotions, dans un décor glacial, presque immaculé. C’est à leurs regards qu’elle s’intéresse. Elle débusque leur humanité derrière l’atrocité de leurs actes, reconstitue par leurs témoignages le terrible parcours qui les a conduites là, dans l’antichambre de la mort : violence, pauvreté, drogue, tensions raciales… Des vies brisées. Chaque portrait, bouleversant, relate une étape avant l’exécution, ce qui exacerbe la cruauté de ce temps à la fois bref et interminable qui nous rapproche de son effroyable application. Evitant intelligemment l’écueil du manichéisme, elle montre ainsi des gardiens touchés par ces femmes ou d’autres au contraire impitoyables (les appelant par leurs numéros, leur interdisant un ultime geste de réconfort). D’ailleurs le crime qui a provoqué leur condamnation ne nous est révélé à chaque fois qu’à la fin de la séquence. Probablement pour créer une distance, la réalisatrice recourt à une musique parfois emphatique qui nuit au propos suffisamment fort pour se suffire à lui-même. La scène la plus parlante est indubitablement celle lors de laquelle la mère d’une victime et celle d’une condamnée se retrouvent côte-à-côte pour assister à l’exécution, hors champ, et s’excusent ensuite mutuellement de la peine causée à l’autre par leur faute. La démonstration implacable de l’absurdité de cet acte de « justice » qui, pour condamner l’auteur d’un meurtre, en commet un à son tour. Un vibrant plaidoyer contre la peine capitale. Eprouvant et inégal mais nécessaire.

    NANCY de Christina Choe et PUZZLE de Marc Turtletaub

    affiche de nancy de christina choe

    Synopsis de NANCY : Nancy, trente-cinq ans, est intérimaire et vit encore avec sa mère et son chat. Elle rêve de devenir écrivain mais ses manuscrits sont constamment rejetés par les maisons d'édition. Afin d'atténuer sa peine et d'exister aux yeux du monde, Nancy s'invente d'autres vies sur la toile en utilisant des pseudonymes. Un jour, en regardant la télévision, elle tombe par hasard sur l'histoire d'un couple dont leur fille, âgée de cinq ans au moment des faits, est portée disparue depuis trente ans. Réalité et fiction ne font bientôt plus qu'une dans l'esprit de Nancy qui finit par être persuadée que ces étrangers sont ses véritables parents…

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    Synopsis de PUZZLE : Agnès est une mère de famille rangée vivant dans la banlieue de New York, jusqu'au jour où elle se découvre une passion pour les puzzles. Ce nouvel univers fait prendre à sa vie un tournant qu'elle n'aurait jamais imaginé…

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    affiche de puzzle

    Projetés le même jour, Nancy de Christina Choe et Puzzle de Marc Turtletaub proposaient là aussi deux portraits de femmes. Le second a même valu à son réalisateur une standing ovation (méritée) lors de sa première projection à Deauville. Il a également reçu le prix du public de la ville de Deauville. Puzzle, remake d’un film argentin de Natalia Smirnoff, c’est ainsi l’histoire d’Agnès, 40 ans, silhouette d’adolescente et mère de famille vivant dans la banlieue de New York, jusqu'au jour où elle se découvre une passion pour les puzzles. Comme un puzzle, la vie d’Agnès est à reconstruire. Le premier plan la montre dans la pénombre, occupée à passer l’aspirateur. Enfermée dans le cadre et dans son quotidien morose et répétitif. Le dernier en est l’exact contraire. Entre ces deux plans, grâce au puzzle et à la rencontre d’un homme aussi ouvert sur les vicissitudes du monde (et bien que ne quittant pas une grande maison vide !) qu’elle est enfermée dans le sien, Agnès va prendre en douceur le pouvoir sur son existence -parfaits Kelly MacDonald et la star du cinéma indien Irrfan Khan dans ces rôles respectifs- . Et c’est absolument jubilatoire du début à la fin. Plutôt que d’en faire un personnage mièvre qui découvre naïvement la vie, une écriture sensible transforme la vertueuse épouse catholique pratiquante en femme combattive, rebelle et indépendante. Nancy, dans le film éponyme, quant à elle, trente-cinq ans, engluée dans un quotidien aussi sinistre, va se faire passer pour la fille de parents dont l’enfant a disparu trente ans plus tôt. L’une et l’autre, enfermées dans un rôle, vont redevenir elles-mêmes et s’émanciper grâce à des rencontres qui vont élargir leurs horizons mais surtout grâce à elles-mêmes. Ces femmes vont en effet prendre un nouveau départ, au sens propre comme au sens figuré. Les plans de début et de fin des deux films se répondent d’ailleurs. Il n’est pas surprenant de découvrir que Puzzle a été réalisé par le producteur de Little Miss Sunshine car, comme ce film récompensé du Grand Prix à Deauville en 2006, c’est un « feel good movie » intelligent et réjouissant. En plus de montrer des femmes qui n’ont plus tout à fait vingt ans mais encore l’âge de tous les possibles, ces deux films dressent les portraits de personnages féminins qui s’emparent de leurs destins sans l’aide de quiconque, nous enjoignant à faire de même. Mais aussi à savourer l’existence et à « contrôler le chaos » comme Agnès avec ses puzzles. La fin évite en plus brillamment l’écueil des comédies romantiques (je vous laisse découvrir lequel) et nous procure un immense souffle de liberté alors souhaitons à Puzzle le même destin qu’à Little miss sunshine, au box-office…

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    WE THE ANIMALS de Jeremiah Zagar

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    Le jury de la révélation a récompensé ce film « audacieux, poétique et inventif « selon son président Cédric Kahn. Audacieux, poétique, inventif, We the animals l’est indéniablement.

    we the animals

    Synopsis : Manny, Joel et Jonah s'extirpent de l'enfance, devant s'émanciper de l'amour volatile de leurs parents. Alors que Manny et Joel semblent suivre le chemin de leur père et que leur mère rêve d'aller vivre ailleurs, Jonah, le benjamin, préfère s'échapper dans un monde imaginaire qu'il a créé de toute pièce...

    « Nous sommes trois, nous sommes frères, nous sommes des rois » scande le jeune Jonah à travers le regard duquel nous est racontée l’histoire de We the animals. Jonah est le benjamin d’une famille américano-portoricaine composée de trois jeunes frères et de leurs parents. Ils vivent dans une maison perdue au milieu d’une nature chatoyante, au fond de la forêt, à la lisière du monde, dans leur monde, une maison qui pourrait être celle d’une fable. Les trois jeunes frères y ont construit leur royaume, sauvage. Seulement la vie des trois enfants n’a rien d’un conte de fée. Adapté du roman semi-autobiographique de Justin Torres, ce récit initiatique marie et manie les contrastes avec beaucoup de talent. Entre la musique, lyrique, les esquisses que dessine le jeune Jonah. Et la dureté de leur quotidien. Entre les scènes comme celle pleine de tendresse, où le père danse avec ses enfants au rythme entraînant et jovial de la musique. Et celle qui lui succède où le père pour apprendre à son fils à nager le jette brusquement dans l’eau, dans un silence fracassant. Le cinéma c’est la vitalité disait Truffaut. Ici, elle est présente dans chaque plan qui exhale le bouillonnement et le fracas de la vie. La caméra de Jeremiah Zagar se met à hauteur d’enfant et caresse de son œil attendri l’envol de l’innocence, s’attardant souvent sur leurs yeux pour mieux nous signifier que leur regard sur le monde change. La poésie et la douceur avec lesquelles ils sont filmés contrebalancent constamment la rudesse de leur quotidien. Et les dessins, mots et illustrations du jeune Jonah qui parsèment le film sont comme une invitation à l’évasion. C’est d’ailleurs par les mots qu’il s’échappera. We the animals est en effet une ode à la fraternité mais aussi et surtout au pouvoir salvateur de l’écriture qui permet au jeune Jonah d’accéder à la liberté et dans un sublime plan de s’envoler au-dessus de la forêt, de la réalité, et de se réapproprier son destin par le pouvoir magique et inestimable de l’imaginaire.

    LEAVE NO TRACE de DEBRA GRANIK

    leave no trace affiche

    Synopsis : Tom a 15 ans. Elle habite clandestinement avec son père dans la forêt qui borde Portland, Oregon. Limitant au maximum leurs contacts avec le monde moderne, ils forment une famille atypique et fusionnelle. Expulsés soudainement de leur refuge, les deux solitaires se voient offrir un toit, une scolarité et un travail. Alors que son père éprouve des difficultés à s'adapter, Tom découvre avec curiosité cette nouvelle vie. Le temps est-il venu pour elle de choisir entre l’amour filial et ce monde qui l'appelle ?

    Leave No Trace est inspiré d’une histoire vraie. A Portland, une fille et son père ont été découverts alors qu’ils vivaient depuis 4 ans dans la réserve naturelle à la lisière la banlieue de la ville. Cette histoire vraie avait elle-même inspiré le roman de Peter Rock, L’Abandon, qui, fasciné par ce fait divers, a écrit un roman inspiré de celui-ci. Evidemment, ce nouveau long-métrage n’est pas sans rappeler l’univers de Winter’s Bone (également présenté en compétition à Deauville, en 2010, et qui reçut même une nomination aux Oscars pour le scénario), quête (initiatique et d’un père) d’une jeune fille au cœur d’une forêt isolée. On pense aussi bien sûr au Captain Fantastic de Matt Ross, également primé à Deauville, même si à la fantaisie de ce dernier Debra Granik a préféré le réalisme. On y retrouve le même combat entre une vie contemporaine et une vie plus "ancestrale" au contact de la nature. La jeune fille est écartelée entre son amour pour son père (traumatisé par son passé de militaire et incapable de s’adapter à une vie plus citadine) et cette envie d’une vie moins marginale. Le film est baigné d’une splendide lumière et du regard bienveillant que la réalisatrice porte sur ses personnages incarnés par deux comédiens exceptionnels : Ben Foster et une jeune actrice australienne, Thomasin McKenzie. Et là encore, après ce parcours initiatique, le personnage féminin décide courageusement de prendre son destin en main lors d’un dénouement sublime et poignant. Trois magnifiques personnages : un père et sa fille qui, chacun à leur manière, exercent leur liberté de penser et la nature, sublimée, à la fois hostile et protectrice. Une magnifique histoire d’amour entre un père et sa fille.

    THUNDER ROAD de Jim Cummings

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 91

    C’est à ce film atypique que le jury a choisi de décerner le grand prix, « un film insolite et si inventif, écrit, joué, produit et réalisé par un jeune homme à part », « quelle joie et quelle émotion d’assister à la naissance d’un artiste, à l’arrivée d’une comète qui suscite le rire et les pleurs avec une singularité qui nous bluffe, un film qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre » a ainsi souligné la présidente du jury, Sandrine Kiberlain.

    thunder road

    Synopsis : L'histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d'élever sa fille. Le portrait tragi-comique d'une figure d'une Amérique vacillante.

    Thunder road est un film très différent des autres longs métrages de la compétition de ce 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. Très différent en apparence seulement. Comme les autres, il dépeint en effet un personnage englué dans une quotidienneté étouffante. Comme les autres, il appelle à une nécessaire évasion. La comparaison s’arrête là car en effet, Jim Cummings est « une comète » qui a débarqué sur la planète cinéma et risque de ne pas en partir de sitôt tant son talent (de cinéaste, d’auteur et d’acteur) crève l’écran. Tout commence par un sidérant plan-séquence de plus de dix minutes qui était au départ le sujet d’un court-métrage de Jim Cummings qui lui valut une récompense à Sundance en 2016. La caméra passe fugacement sur l’assemblée d’un enterrement avant de s’attarder sur le fils de la défunte vêtu de son uniforme de policier. Il commence alors un long monologue tandis qu’un lent travelling avant nous rapproche doucement comme pour mieux débusquer les fêlures de plus en plus apparentes au fur et à mesure que le discours fantasque se déroule. Et comme tout le reste du film, autant dans son montage que dans les réactions de son personnage, Thunder road nous embarque toujours là où on ne l’attend pas. Ainsi, nous n’entendrons jamais la chanson de Bruce Springsteen qui donne son nom au film (le radio cassette enfantin qui aurait dû le diffuser pendant l’enterrement ne démarrera jamais). Ce discours d’ouverture totalement décalé, entre digressions, larmes, et pas de danse totalement improbables, nous place d’emblée en empathie avec le personnage principal, totalement démuni face à ce deuil. Tenter de danser devant un cercueil, quelle belle et déchirante métaphore de l'existence, non ? Il sera d’ailleurs de tous les plans. Et les réactions à ses fantaisies burlesques sont toujours ou presque hors champ. Il semble tenter en vain et seul contre tous de sortir de ce cadre (de cinéma et de vie) qui l’étouffe, ne lui laisse pas de répit, comme une distorsion de la réalité. Sa vie est en effet devenue un cauchemar. Dans ce cauchemar qui l’emprisonne, la folie n’est pas bien loin, qui guette. Son univers s’est écroulé avec la mort de sa mère et il ne sait plus comment gérer ses émotions dévastatrices que son éducation lui a probablement appris à masquer et qui le submergent. « On fait tous son deuil différemment on est tous uniques, il n'y a pas de bonne façon ou de mauvaise façon», entend-on dans la première partie du film qui est aussi la démonstration de cette impossibilité de faire face quand on est confronté à l’impensable. Thunder road, la chanson de Springsteen invite à découvrir le monde et à quitter la petite ville dont il est question comme un écho à ce « tu veux qu’on s’évade ? » de Jimmy Arnaud à sa fille. Certains spectateurs ou commentateurs y ont vu une farce tragi-comique. J’y ai surtout vu le bouleversant (et certes fantasque) portrait d’un homme désorienté et, au-delà, d’une Amérique déboussolée de laquelle une évasion semble possible, ou en tout cas un lendemain plus joyeux comme nous le dit cet ultime scène et ce regard final dans lequel passe une multitude d’émotions, nous étreignant nous aussi d’émotions. En plus de toutes les casquettes évoquées par Sandrine Kiberlain, Jim Cummings est aussi le musicien de son film…le tout pour un budget de 180000 euros. N’attendez pas pour découvrir ce film singulier (encore à l’affiche). Je vous le garantis, vous serez à votre tour charmé par ce personnage aussi excessif que fragile, dérouté que déroutant, interprété par un artiste plein d’énergie et de fantaisie dont, sans aucun doute, ce film signe la prometteuse éclosion.

    PRIX D’ORNANO-VALENTI : LES CHATOUILLES d’ Andrea Bescond et Antoine Metailler

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 83

    Le prix d’Ornano-Valenti, chaque année, promet de belles découvertes et c’est une projection que je ne manque jamais tant ce prix est toujours gage de talent. Créé en 1991 par les compagnies membres de la Motion Picture Association (MPA) – association regroupant six studios de production et de distribution de films américains –, le Prix Michel d’Ornano – dédié à la mémoire de l’ancien ministre, maire de Deauville et cofondateur du Festival du Cinéma Américain – récompense un premier film français, dans le but d’aider à sa reconnaissance, sa promotion et son exportation. En 2015, le Prix est rebaptisé Prix d’Ornano-Valenti en hommage conjoint à Jack Valenti, initiateur du Prix, et à l’amitié qui unit en son temps les deux hommes et leurs familles, tous très attachés au Festival du Cinéma Américain de Deauville. Parmi les lauréats : Stéphane Brizé, Thomas Bidegain et Guillaume Gallienne…!

    affiche les chatouilles

    Synopsis : Odette a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie…

    Ce film, à l’image de son titre qui illustre normalement un jeu enfantin, « joue » constamment avec le dispositif cinématographique recourant au théâtre et à la danse pour exprimer l’indicible. Les Chatouilles est l’adaptation cinématographique du spectacle de théâtre et de danse imaginé par la chorégraphe et comédienne Andréa Bescond avec le metteur en scène Eric Métayer, d’après sa propre histoire. Celle d’une petite fille de huit ans qui joue dans sa chambre, insouciante et tranquille, quand un ami de la famille, celui que tout le monde trouve si affable, lui demande si elle veut « des chatouilles ». Ainsi nomme-t-il ce qui sera le début de viols répétés et réguliers. Malgré la poésie et l’humour qui jalonnent ce film, le spectateur devient un témoin révolté et silencieux espérant qu’un jour un adulte découvrira l’horrible vérité. Mais la petite fille devra attendre d’être devenue une adulte pour que la vérité soit révélée, lorsqu’elle parviendra enfin à parler grâce à une psy avec laquelle elle rembobine le fil de sa vie, et de cette tragédie qui l’a brisée, de ce traumatisme enfoui, qu’elle tentera d’abord de noyer dans la drogue, l’alcool et les rencontres d’un soir. De belles idées de mise en scène permettent d’insuffler de la fantaisie dans la noirceur, le récit n’en est pas moins fort et bouleversant. Au contraire. Quand les mots rendent impossible l’expression de l’horreur, de l’impensable, reste la danse (dont elle fera son métier), salutaire, qui permet d’exprimer la détresse et la rage contenues, les soubresauts de ce corps meurtri. Autour d’elle, outre le violeur (incarné par Deladonchamps tétanisant avec sa fausse bonhomie), le père aimant et bienveillant (Clovis Cornillac), le seul qui demandera pardon, la mère cassante et glaçante ( incarnée par Karin Viard, toujours aussi remarquable, sur les épaules de laquelle on imagine aussi peser un lourd passé) qui, même une fois la vérité révélée, au lieu de se révolter contre l’agresseur et d’entourer sa fille d’amour préfèrera lui reprocher, obsédée par ce que « diront les gens », l’ami (Gringe), et l’amoureux Lenny (remarquable Grégory Montel). Ce film est aussi lumineux et solaire que la réalité de l’héroïne est sombre et brutale. La fin est bouleversante parce qu’elle montre que la lumière peut se trouver au bout du tunnel. Si cela a autant bouleversé les festivaliers qui ont réservé une retentissante standing ovation à l’équipe, c’est sans doute aussi parce que cette possibilité d’une résilience touche les victimes de toutes sortes de blessures intimes et de traumatismes.

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    A noter : sur me même thème en compétition était projeté THE TALE de Jennifer Fox, un film là aussi très personnel sur un traumatisme subi par la réalisatrice pendant son adolescence. Jennifer Fox, elle-même documentariste comme son héroïne, réalise son premier long métrage en s’inspirant de sa propre histoire. Son personnage se nomme ainsi Jenny Fox. The Tale évoque là aussi les effets d’un viol, 35 ans après (tellement violent qu’il lui faudra toutes ces années pour comprendre que sa mémoire l’a transformé en conte pour édulcorer la terrible réalité).

    LES PREMIERES

    LE SECRET DES KENNEDY de John Curran (film d’ouverture) et hommage à Jason Clarke

    Le secret des kennedy

    C’est Le secret des Kennedy de Jason Clarke qui a ouvert le festival et le bal des premières.

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    Synopsis officiel : Le 18 juillet 1969, la jeune Mary Jo Kopechne, directrice de campagne du sénateur Ted Kennedy, meurt noyée après que ce dernier eut perdu le contrôle de sa voiture en tentant de traverser le tristement célèbre pont Dike, sur l’île de Chappaquiddick dans l’État du Massachusetts. Cet événement a non seulement coûté la vie à une future stratège politique proche des Kennedy, mais il a intrinsèquement changé le cours de l'histoire présidentielle, en mettant au grand jour les rouages intimes du pouvoir politique, l'influence de la plus célèbre famille des États-Unis, ainsi que la fragilité de Ted Kennedy, le fils cadet accusé d'avoir laissé mourir Mary Jo Kopechne, dans l'ombre de son héritage familial.

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    Chappaquiddick : derrière ce nom qui semble tout droit sorti d’une fable se cache un lieu qui lui-même dissimule une histoire tragique. 1969. Ted Kennedy est le dernier survivant, le dernier des célèbres frères Kennedy. Ce film, à la réalisation et au scénario malheureusement trop classiques, nous fait pourtant découvrir une histoire passionnante et qui l’est a fortiori à son dénouement. Comment Ted Kennedy va-t-il vivre avec son terrible secret, cette mort sur la conscience ? Il aurait été très intéressant de se pencher sur cette question. « Je ne serai jamais président », dit-il lorsqu’il revient au milieu de ses amis après l’accident. Cette phrase seule illustre le personnage prêt à tout par ambition, guidée avant tout par la volonté d’être estimé par son père, une volojnté qui balaie tout sur son passage, y compris sa propre personnalité et ses propres désirs. Seul cet objectif et sa lâcheté semblent déterminer sa conduite. Conditionné pour devenir président, pour remplacer les frères tous tragiquement disparus, il est le dernier espoir de son père, patriarche irascible en fauteuil roulant qui ne s’exprime plus que douloureusement en regards et formules foudroyants. Pour les conseillers convoqués par le père, la mort de la jeune femme est une simple crise de plus. Armstrong s’apprête à marcher sur la Lune et tout le monde espère que ce pas historique détournera l’attention de ce drame qui implique Ted. Jason Clarke, est impeccable dans le rôle de ce personnage dominé par la lâcheté qu’on peine à trouver sympathique. Il a été honoré par le festival d’un Deauville Talent Award.

    Critique de EVEREST de Baltasar Kormakur

    Dans le cadre du festival et de la rétrospective consacrée à Jason Clarke a également été projeté Everest de Baltasar Kormakur. Comme s’en enorgueillit son affiche, le film projeté en 3 D en ouverture du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2015 a été écrit « d’après une histoire vraie », voilà qui récuse d’emblée toute accusation éventuelle d’invraisemblance. Le film de Baltasar Kormákur est en effet une adaptation du livre autobiographique Tragédie à l’Everest écrit par l’écrivain, journaliste et alpiniste Jon Krakauer. Le livre raconte, comment, en 1996, huit alpinistes réputés ont péri dans une redoutable tempête alors qu’ils effectuaient l’ascension de l’Everest. Krakauer avait ainsi été envoyé par le magazine Outside' pour participer à cette expédition. Inspiré d’une désastreuse tentative d’ascension de la plus haute montagne du monde, Everest suit deux expéditions distinctes confrontées aux plus violentes tempêtes de neige que l’homme ait connues. Luttant contre l’extrême sévérité des éléments, le courage des grimpeurs est mis à l’épreuve par des obstacles toujours plus difficiles à surmonter alors que leur rêve de toute une vie se transforme en un combat acharné pour leur salut. Si l’effet est indéniablement réussi au point de nous faire éprouver le vertige et une véritable sensation de peur et la conscience de notre petitesse face à la force redoutable, irréfragable, destructrice des éléments, si le film est incontestablement spectaculaire, il souffre en revanche d’un scénario conventionnel et convenu et/ou d’un montage qui sacrifie les personnages les plus intéressants et qui, surtout, en oublie certains en cours de route à commencer par Krakauer lui-même qui pose la question la plus intéressante aux alpinistes (pourquoi faites-vous cela?) à laquelle le film, ne voulant pas heurter la sensibilité des familles des victimes et des survivants, ne répond jamais vraiment. C’est pourtant l’aspect le plus intéressant du film: pourquoi ces hommes et ces femmes ont-ils besoin d’affronter et même de défier la mort? Eprouver leurs limites? Se sentir vivants? Il passe aussi à côté d’une réflexion sur l’exploitation de la nature par l’homme que laissait d’ailleurs présager ce choix symptomatique de la 3D (tout comme les alpinistes veulent éprouver toujours plus de sensation, le spectateur devient un consommateur à qui il en faut toujours plus pour ressentir des émotions que les mots et les images devraient suffire à susciter). Un bon divertissement qui passe néanmoins à côté de la passionnante réflexion à laquelle il aurait pu donner lieu, en raison d’une volonté délibérée d’absence de point de vue. Mais si vous voulez faire un voyage éprouvant et vertigineux sur le plus haut sommet du monde alors ce voyage est fait pour vous…

    LES FRERES SISTERS de Jacques Audiard – 4 septembre

    Le film le plus attendu, l’évènement de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018, était indéniablement Les Frères Sisters de Jacques Audiard.

    Les frères sisters 2

    Jacques Audiard, Joaquin Phoenix, John C.Reilly, Alexandre Desplat et Thomas Bidegain ont en effet reçu pour ce film le Prix du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, un prix décerné à ce film « pour les qualités de sa mise en scène, pour la force de l’interprétation de quatre acteurs majeurs du cinéma américain contemporain - John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, et Riz Ahmed - pour saluer les producteurs, grâce à qui un projet si noble a pu naître. Pour, enfin, célébrer une œuvre qui porte l’espoir d’un monde meilleur, d’une résipiscence possible. Pour toutes ces raisons, il nous a paru naturel qu’un tel travail soit récompensé d’une manière inhabituelle, originale et exceptionnelle » a déclaré Bruno Barde, le Directeur du Festival. Les Frères Sisters est le premier film tourné intégralement en langue anglaise (et avec des acteurs majoritairement américains) de Jacques Audiard. Ce sont John C. Reilly et Alison Dickey ( productrice et épouse du comédien) qui ont demandé au réalisateur de lire le roman de Patrick deWitt dont ils détenaient les droits.

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    Synopsis : Les Sisters, ce sont Charlie et Elie. Deux frères qui évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d'innocents... Ils n'éprouvent aucun état d'âme à tuer. C'est leur métier. Charlie, le cadet ( Joaquin Phoenix), est né pour ça. Elie (John C.Reilly), lui, ne rêve que d'une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l'Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?

    Après sa palme d'or à Cannes en 2015 pour Dheepan, le cinéaste français n’a pourtant pas «choisi » la Croisette pour présenter son nouveau film. Lui qui a déjà exploré différents genres avec talent s’attaque cette fois à un style de film auquel il ne s’était pas encore attelé: le western. Un western qui, fort probablement, aurait figuré au palmarès cannois s’il avait été en lice. Lors de la conférence de presse du film dans le cadre du festival, Jacques Audiard a expliqué qu’il n’avait pas forcément le fantasme du western mais qu’il avait surtout envie de travailler avec des acteurs américains car « ils ont constitué un savoir du jeu cinématographique et ils ont une très grande conscience d'eux-mêmes quand ils jouent » a-t-il précisé. Ce film l’a également intéressé en raison de son « thème de la fraternité » et « l’héritage de la sauvagerie » qu’il dépeint.

    Les ingrédients du western sont pourtant là, en apparence du moins : les grandes étendues, les chevauchées fantastiques, le Far West, les personnages aux physiques patibulaires, la violence fulgurante, la menace latente. Et pourtant Les frères Sisters, à l’image de ce titre, est un film constitué de contrastes et de dualités qui détournent les codes du western. « La nuit du chasseur a été une vraie référence pour ce film» a ainsi expliqué Thomas Bidegain lors de la conférence de presse. Alors, en effet, certes il y a ici les grandes étendues et le Far West mais le film a été tourné en Espagne et en Roumanie et l’atmosphère ne ressemble ainsi à celle d’aucun autre western. Certes, il y a là les personnages aux physiques patibulaires mais ici pas de héros qui chevauchent fièrement leurs montures mais des méchants qui vont évoluer après ce parcours initiatique parsemé de violence. Alors, certes la violence justement est là, parfois suffocante, mais elle laissera finalement place à une douceur et une paix inattendues.

    Les premières images nous éblouissent d’emblée par leur beauté macabre: des coups de feu et des flammes qui luisent dans la nuit. Des granges brûlées. Des innocents et criminels tués froidement et impitoyablement. L’œuvre de deux tueurs à gages. Les frères Sisters.

    Loin des héros ou antihéros mutiques des westerns, les deux frères Sisters (les si bien et malicieusement nommés) débattent de leurs rêves et de leurs états d’âme, comme deux grands enfants. «Ce sang, c'est grâce à lui qu'on est bons dans ce qu'on fait » selon l’un des deux frères. Ce sang, c’est celui de leur père, violent et alcoolique. Leur vie n’a jamais été constituée que de violence. Ce duo improbable est constitué d’un tireur fou, le cadet, et de l’aîné, plus sage, plus raisonnable, plus émotif et même sentimental, ce qui donne parfois lieu à des scènes humoristiques tant le contraste est saisissant entre les tueurs sanglants qu’ils sont aussi et l’émotion qui étreint parfois le cadet, qui par exemple pleure lorsqu'il perd son cheval.

    A ce duo improbable s’oppose un autre duo (que je vous laisse découvrir car il fait prendre une autre tournure à l’histoire qui ne cesse d’ailleurs de nous emmener là où on ne l’attend pas, là où le western ne nous a pas habitués à aller) notamment constitué d’ un prospecteur qui détient une mystérieuse formule chimique qui permet de trouver de l’or. Incarné par Riz Ahmed, cet homme rêve d’utopies socialistes, une société de justice dans lequel l’homme serait libre, vraiment libre. Audiard détourne aussi les codes du western en ce que son film présente plusieurs degrés de lecture. La violence héritée de leur père que manifestent les deux frères, c’est aussi celle de cette Amérique héritée des pères fondateurs. Pour trouver de l’or et donc s’enrichir, les compères vont polluer la rivière sans souci des conséquences sur l’environnement et sur leur propre vie. Des drames vont pourtant découler de cet acte métaphorique d’un capitalisme carnassier et impitoyable.

    Mais les frères Sisters est aussi un conte à la fois cruel et doux. Lr dénouement est ainsi aussi paisible que le début du film était brutal. Comme la plupart des films de cette sélection, il s’achève sur une note d’espoir. L’espoir d’une Amérique qui ouvre enfin les yeux, se montre apaisée et fraternelle. Si les frères Sisters, ces tueurs à gages sans états d’âme ont changé, qui ne le pourrait pas ? Tout est possible…Ajoutez à cela la photographie sublime de Benoît Debie, la musique d’Alexandre Desplat et vous obtiendrez un western à la fois sombre et flamboyant. Et d’une originalité incontestable.

    GALVESTON de Mélanie Laurent

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 18

    Synopsis : 1988. Les temps sont durs pour Roy, petit gangster de la Nouvelle-Orléans. La maladie le ronge. Son boss lui tend un guet-apens auquel il échappe de justesse. Une seule issue : la fuite, en compagnie de Rocky, une jeune prostituée. Deux êtres que la vie n’a pas épargné. En cavale vers la ville de Galveston, ils n’ont plus rien à perdre…

    Galveston 2

    Quatre cinéastes français avaient cette année leurs films (américains) projetés à Deauville parmi lesquels la talentueuse Mélanie Laurent. Mélanie Laurent fait partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente, déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer. Avec Respire, elle signait un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec la victime dans cet abyme mental en apparence inextricable. Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin et dont les personnages continuaient à m’accompagner bien après celui-ci. Si je vous parle de Respire aujourd’hui, c’est d’une part pour vous inciter à voir ce film remarquable et d’autre part parce que ce fut avec Galveston comme avec Respire. Les personnages m’ont en effet accompagnée bien après le générique de fin. Mélanie Laurent est une directrice d’acteurs de grand talent. Avec ce premier film américain de sa carrière de réalisatrice, une adaptation du roman de Nick Pizzolatto (créateur de la série True detective), elle tire le meilleur de ses interprètes principaux Elle Fanning et Ben Foster. L’histoire se déroule en 1987, à la Nouvelle-Orléans. Ce film qui sortira le 10 octobre prochain en France, est un thriller sombre et ensorcelant. Les lieux, amoureusement filmés, évoquent la mythologie américaine et constituent un personnage à part entière, notamment cette Nouvelle Orléans écrasée de chaleur. Elle regarde ses personnages, ces deux âmes blessées, avec tant de bienveillance que la fin, aussi d’une effroyable cruauté, n’en est que plus bouleversante.

    ET EN BREF :

    LINE OF FIRE de Joseph Kosinski

    line of fire

    Synopsis : Tous les hommes naissent égaux… Puis, quelques-uns deviennent pompiers. Inspiré de faits réels, voici l'histoire héroïque des pompiers de l'unité locale Granite Mountain Hotshots basée en Arizona. Une fraternité véritable développée entre eux, mais aussi l'espoir, la détermination, le sacrifice et la volonté de protéger les habitants de la région et leur pays leur ont permis de devenir une équipe d'élite dans la lutte contre les incendies aux États-Unis.

    Au-delà de son impressionnant casting (Josh Brolin, Miles Teller, Jeff Bridges, Jennifer Connelly, Andie McDowell ou encore Taylor Kitsch) ce film sorti en e-cinema vaut avant tout par le vibrant hommage qu’il rend aux soldats du feu qu’il met en scène et dont il raconte la poignante et tragique destinée. Une de ces histoires vraies qu’affectionne le cinéma américain qui sait si bien honorer ses héros et nous en émouvoir. Difficile de ne pas l’être même si la réalisation n’a rien d’exceptionnel, l’histoire et le drame qu’elle relate, incontestablement, le sont et nous cueillent par le brusque dénouement.

    A LA DERIVE de Baltasar Kormákur

    A la dérive

    Synopsis : Tami Oldham et Richard Sharp décident de convoyer un bateau à travers le Pacifique et se retrouvent pris au piège dans un terrible ouragan. Après le passage dévastateur de la tempête, Tami se réveille et découvre leur bateau complètement détruit et Richard gravement blessé. À la dérive, sans espoir d’être secouru, Tami ne pourra compter que sur elle-même pour survivre et sauver celui qu’elle aime.

    Projeté après la remise du prix du Nouvel Hollywood à Shailene Woodley qui incarne l’héroïne, et même si ce film n’a rien de commun avec le chef-d’œuvre du genre (All is lost de J.C Chandor, voir ma critique ici), les scènes en mer et en pleine tempête n’en sont pas moins réussies et surtout plus intéressantes que celles de la romance, plus convenue et à la frontière de la mièvrerie. Le twist final apporte un éclairage intéressant à l’ensemble de ce bon divertissement à condition de ne pas l’avoir vu venir…

    HERE AND NOW de Fabien Constant

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    C’était aussi un des évènements de cette édition : la venue de Sarah Jessica Parker et la remise à celle-ci d’un Deauville Talent awards. A cette occasion était projeté le film réalisé par le français Fabien Constant. En plus de jouer le rôle principal, l’actrice le produit également. Elle incarne ici, Vivienne, une chanteuse new-yorkaise, qui ne vit que pour son art et n'aime dépendre de personne. Les résultats d'un examen médical qui la condamnent vont remettre en question le fondement de son être. On pense évidemment au chef-d’œuvre de Varda, Cléo de 5 à 7. Ici le verdict a déjà été énoncé mais l’annonce de l’imminence de l’inéluctable donne là aussi plus de saveur et de gravité à chaque instant et chaque rencontre qui suspendent le vol du temps. Fabien Constant a bénéficié d’un infime budget et de 16 jours de tournage à peine. Le film est sorti en DVD en France le 22 août dernier. Cette errance poétique et mélancolique dans New York dans laquelle l’actrice (qui jamais ne quitte ses talons vertigineux) est de chaque plan nous donne envie d’étreindre furieusement le présent, et d'en étirer chaque seconde. N’est-ce pas là l’un des plus beaux pouvoirs du cinéma ?

    OPERATION FINALE de Chris Weitz (film de clôture)

    opération finale 2

    Synopsis : Quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les agences de renseignement et de sécurité intérieure israéliennes, le Mossad et le Shin Bet, dirigées par le courageux et déterminé agent Peter Malkin, échafaudent une mission secrète afin de capturer le tristement célèbre Adolph Eichmann. Déclaré mort lors du chaos qui a suivi la chute de l'Allemagne nazie, il vit et travaille désormais sous une nouvelle identité dans la banlieue de Buenos Aires en Argentine avec sa femme et ses deux fils…

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 102

    C’est Ben Kingsley à qui incombe la douloureuse responsabilité d’incarner Adolf Eichmann. Si à l’image du film d’ouverture, le sujet de ce film de clôture est passionnant, ce qui aurait pu être un thriller historique palpitant ne parvient jamais à nous captiver entièrement malgré son excellent casting. Le rappel des atrocités commises par le régime nazi et en particulier celles dont Eichmann fut responsable justifie pourtant à lui seul la nécessité d’un tel film, d’autant plus ces derniers temps où les ignominies du passé s’évanouissent dans les méandres du temps ou, au contraire, inspirent de sinistres individus. Ce film sera disponible sur Netflix le mercredi 3 octobre 2018.

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 145

    OPHELIA de Claire Mccarthy

    En bref, je termine avec Ophelia de Claire Mccarthy, un film à l’image de cette sélection de cette 44ème édition : réalisé par une femme et consacré au destin d’une femme forte et courageuse ici incarnée par Daisy Ridley.

    Synopsis : Ophelia devient la dame d'honneur de confiance de la reine Gertrude. À la fois belle et intelligente, elle attire rapidement l'attention du jeune prince Hamlet et un amour réciproque prend racine malgré les interdits de la cour. Alors qu'une guerre se prépare, les alliances se font et se défont au sein du royaume et les trahisons guettent au château d'Elsinore. Ophelia doit également faire des choix : préserver son grand amour ou protéger sa vie afin que son lourd secret ne soit dévoilé…

    Cette romance historique a pour premier mérite de vulgariser Shakespeare et, je l’espère, de donner une irrésistible envie de le (re)lire tant elle démontre à quel point ses personnages, leurs forces et faiblesses, sont intemporels. Les décors grandioses, la dimension tragique et épique de l’histoire emporteront les plus sceptiques dans cette épopée palpitante qui mêle influences de contes et œuvre shakespearienne.

    HOMMAGE A MORGAN FREEMAN

    Un mot à transmettre à Donald Trump ? La réaction de l’acteur.

    Ce que fait Morgan Freeman lorsqu'il ne tourne pas.

    Les réalisateurs français selon Morgan Freeman.

    Morgan Freeman évoque son amour de la France.

    Les films préférés de Morgan Freeman.

    Ce qu'a ressenti Morgan Freeman en allant sur les plages du débarquement et au cimetière militaire.

    Les films dont Morgan Freeman est le plus fier.

    Un Deauville Talent Awards a également été attribué à Kate Beckinsale.

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    DEDICACE

    Quelques photos souvenirs de ma rencontre dédicace autour de mon premier roman L’amor dans l’âme et de mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma (qui comprend deux nouvelles qui se déroulent dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville), Les illusions parallèles. Pour en savoir plus : la page de L’amor dans l’âme et celle du recueil Les illusions parallèles sur le site de mon éditeur Les Editions du 38. Un grand merci à Caroline de la librairie Jusqu’aux lueurs de l’aube pour avoir proposé cette dédicace et pour son chaleureux accueil (si vous ne connaissez pas sa librairie, je vous invite vraiment à la découvrir, vous y trouverez toujours de bons conseils de lectures). Merci aussi à ceux qui sont venus, amis ou inconnus, et un merci particulier à Camille et à Julie. Merci aussi à Julien Sartkis (auteur des splendides Parasols de Deauville qui ont notamment orné le CID, cf photo ci-dessous) et Véronique Maurey (ne manquez pas son exposition Le livre à deux places à Pont-l'Evêque, vous pouvez encore la découvrir jusqu'au 29 septembre, infos ici) pour leur présence. Et merci au photographe Dominique Saint pour le reportage photos (vous en trouverez d'autres de cette série sur mon compte instagram @sandra_meziere). Les livres sont bien sûr toujours disponibles à la librairie au 88 rue Eugène Colas à Deauville.

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    avis critique Les illusions parallèles de Sandra Mézière Editions du 38

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    REMERCIEMENTS

    Merci à Radio Sensations pour cette interview au Yacht club de Deauville.

    Merci à Bleu Normandie pour l’interview en direct du Normandy.

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    Merci au CID et en particulier à Marie-Anne pour les invitations et pass pour les gagnants (et pour la bonne humeur).

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    Merci au photographe Dominique Saint -en photo avec moi ci-dessous- pour les photos sur le tapis rouge et le reportage photos lors de la dédicace (je vous recommande également de suivre Dominique sur instagram @dominique.saint, il est aussi l'auteur des photos sur les quatrièmes de couverture de mes livres.)

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    Merci à  Alice Garmond et au groupe Barrière pour l'invitation au dîner de clôture. (Retrouvez, ici, mon article de l'an passé consacré au Royal Barrière).

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    Merci à ma « cantine » et à sa joyeuse équipe. Mon article complet sur ce restaurant de Deauville (La Cantine de Deauville) à lire ici.

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    …et merci à Deauville d’avoir changé ma vie (article ci-dessous publié par Paris Normandie avant le festival, merci au passage à ceux qui ont suivi mes articles quotidiens dans ce journal pendant le festival).

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    PALMARES

    Le Jury de la 44e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Sandrine Kiberlain, entourée de Sabine Azéma, Alex Beaupain, Leïla Bekhti, Stéphane Brizé, Sara Giraudeau, Xavier Legrand, Pierre Salvadori et Leïla Slimani a décerné les prix suivants :

    Grand Prix

    THUNDER ROAD de Jim Cummings

    Deux PRIX DU JURY ont été attribués

    Prix du Jury

    AMERICAN ANIMALS de Bart Layton

    Prix du Jury

    NIGHT COMES ON deJordana Spiro

    Le Jury de la Révélation de la 44e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Cédric Kahn, entouré de Hubert Charuel, François Civil, Karim Leklou et Kate Moran a décerné son Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation :

    WE THE ANIMALS de Jeremiah Zagar

    Le Jury de la Critique, composé de 5 journalistes, a décerné le prix suivant :

    Prix de la Critique

    BLINDSPOTTING de Carlos López Estrada

    Le Prix du Public de la ville de Deauville a été remis au film suivant :

    Prix du Public de la Ville de Deauville

    PUZZLE de Marc Turtletaub

    Prix Littéraire Lucien Barrière

    John Grisham pour son roman Le Cas Fitzgerald

    Prix d’Ornano-Valenti

    LES CHATOUILLES de/by Andréa Bescond & Eric Métayer

    Le 45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville aura lieu du 6 au 15 septembre 2019. L'édition 2018 a attiré plus de 60000 spectateurs.

    Les photos ci-dessous sont extraites de mon compte instagram @Sandra_Meziere (vous en trouverez de nombreuses autres sur le festival sur celui-ci ) comme toutes celles de cet article à l'exception de celles sur lesquelles je figure prises par le photographe Dominique Saint.

    44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 34 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 70 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018 14 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 3 IMG_0317 IMG_0175 Ci-dessus, photo de la boutique Lollipop's Deauville magnifiquement décorée aux couleurs du festival par la charmante Sandrine que vous pouvez suivre sur ses réseaux sociaux notamment sur son excellent compte instagram @mybagmyshoesanddeauville. Allez-y de ma part ! IMG_0168 IMG_0003 IMG_9997 IMG_9539 IMG_9383 IMG_9473 IMG_9429 Prochain festival, en attendant le Festival du Cinéma Américain de Deauville 2019, le Dinard British Film Festival en direct duquel je vous donne rendez-vous dès ce jeudi !

  • Les hommages du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2017 à Laura Dern, Michelle Rodriguez et Jeff Goldblum

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    Nous savions déjà que le 43ème Festival du Cinéma Américain de Deauville aurait lieu du 1er au 10 septembre, que ses jurys seraient présidés par Michel Hazanavicius et Emmanuelle Bercot.  Viennent d'être annoncés trois hommages qui illumineront la programmation du festival et notamment un hommage à une actrice que le festival avait révélé en 2000 et aujourd'hui mondialement connue, nous rappelant que si le festival de Deauville sait mettre à l'honneur les acteurs d'hier, il sait aussi révéler de nouveaux talents par le truchement de sa compétition depuis 1995. J'en profite également pour vous rappeler que je vous fais actuellement gagner vos pass pour le festival, ici, et prochainement des invitations pour la clôture.

    Le festival rendra hommage à LAURA DERN en sa présence.

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     Voici le communiqué de presse du festival :"Muse lynchéenne par excellence, Laura Dern éclaire par son charisme empreint de mystère les œuvres du cinéaste : Blue Velvet en 1986, Sailor et Lula – Palme d'or au Festival de Cannes en 1990, Inland Empire en 2006, et très récemment la série Twin Peaks.

    Avec plus de soixante films à son actif, Laura Dern a illuminé les œuvres de réalisateurs tels qu'Arthur Hiller, Steven Spielberg, Peter Bogdanovich ou Robert Altman. Sublime dans Un monde parfait de Clint Eastwood, elle a récemment joué dans The Master de Paul Thomas Anderson, ou encore dans la série Big Little Lies. Elle sera prochainement à l'affiche de Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi. "

    Le festival rendra hommage à Jeff Goldblum en sa présence.

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    Voici le communiqué de presse du festival à ce sujet : "Figure iconique des succès planétaires que furent La Mouche de David Cronenberg, Jurassic Park de Steven Spielberg, Independance Day de Roland Emmerich, ou Annie Hall de Woody Allen, Jeff Goldblum démarre sa carrière sous l'égide de réalisateurs tels que Robert Altman, Philip Kaufman, John Landis, ou encore Lawrence Kasdan, avec qui il fera deux de ses plus beaux films. Son élégance et sa photogénie accrochent le regard des metteurs en scène, qui ont su capter l'émotion de ses performances.

    Prochainement, il retrouvera le cinéaste Wes Anderson, en prêtant sa voix au film d'animation Isle of Dogs, et sera à l'affiche du nouveau volet de la saga Jurassic World.  "

    Le Festival rendra hommage à Michelle Rodriguez en sa  présence.

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    Voici le communiqué de presse du festival : "Révélée par le Festival de Deauville en 2000, Michelle Rodriguez crève l'écran dans son rôle de boxeuse dans Girlfight de Karyn Kusama. Sa performance, et la sincérité de son interprétation, contribuent grandement à l'attribution du Grand Prix, décerné cette année-là au film de Karyn Kusama.  Le film et son actrice incarnent toute une génération en quête d'émancipation, et en deviennent le symbole. Michelle Rodriguez n'aura de cesse de se tourner vers des rôles de femmes indépendantes et fortes, véritables héroïnes de cinéma : dans Fast and Furious de Rob Cohen, S.W.A.T de Clark Johnson, Resident Evil de Paul W.S. Anderson et Avatar de James Cameron.

    Prochainement, elle sera à l'affiche de Widows, le nouveau film du réalisateur oscarisé Steve McQueen. "

     

  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2017 : premières informations (jurys, affiche, informations pratiques...)

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    Retrouvez ce même article sur Inthemoodforcinema.com et Inthemoodforfilmfestivals.com.

    De cette édition 2017 du Festival du Cinéma Américain de Deauville​ 2017, nous connaissons déjà l'affiche, somptueuse, hommage à "La La Land" (dont vous pouvez au passage retrouver ma critique ci-dessous) de Damien Chazelle qui avait obtenu le grand prix à Deauville en 2014 avec "Whiplash".

    Cette année, le festival aura lieu du 1er au 10 septembre 2017 au Centre International de Deauville.

    Nous connaissons déjà les noms des présidents de jurys de cette 43ème édition.

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    La réalisatrice, scénariste et comédienne Emmanuelle Bercot sera ainsi la présidente du Jury de la Révélation. « Fervente américanophile, je me réjouis et m’estime honorée d’être appelée à présider le Jury de la Révélation du 43e Festival du Cinéma Américain de Deauville. Dans mon imaginaire, depuis toujours, Amérique et Cinéma ne font qu’un. Ces dix jours feront de moi, avant toute chose, la plus heureuse des spectatrices » a-t-elle ainsi déclaré. L'occasion pour moi de vous recommander "Elle s'en va" et "La tête haute" dont vous pouvez retrouver mes critiques ci-dessous.

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    Le réalisateur, scénariste et producteur Michel Hazanavicius sera le président du Jury. « Je suis extrêmement touché et honoré de présider cette année le Jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville. J'ai, comme la moitié de la planète, été en partie élevé par le cinéma américain et je me réjouis de passer ces dix jours à m'en nourrir à haute dose. In Cinema we trust! » a-t-il ainsi déclaré. Retrouvez ma critique de "The Artist" en bas de cet article.

    Comme chaque année pour mon 25ème Festival de Deauville, vous pourrez me retrouver en direct du festival sur mes différents blogs Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcinema.com et Inthemoodforfilmfestivals.com mais aussi sur twitter (@Sandra_Meziere et @moodfdeauville) et Instagram (@sandra_meziere). Vous retrouverez également le programme commenté ici au fur et à mesure des annonces.

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    Je vous réserve également quelques belles surprises en plus du concours habituel vous permettant de remporter vos pass. Un dîner sera également à gagner mais aussi des invitations pour la cérémonie de clôture. Et un bel évènement autour de mon premier roman "L'amor dans l'âme" (dont un chapitre se déroule dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville) et de mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles" (dont deux se déroulent dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville). Une photo ci-dessous en guise de teaser en attendant de vous en dire plus...

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    Vous  pouvez déjà réserver vos pass, journaliers ou permanents, sur le site internet du CID, ici.

    Vous pouvez également réserver vos pass VIP pour le festival, auprès du CID, là.

    Pour en savoir plus : le site officiel du Festival du Cinéma Americain de Deauville, le site du CID et celui de la Mairie de Deauville.

    Retrouvez également toutes mes bonnes adresses à Deauville pour préparer au mieux votre séjour, en cliquant ici.

    Retrouvez tous mes articles sur les éditions précédentes du Festival du Cinéma Américain de Deauville sur mon blog Inthemoodfordeauville.com.

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    Ci-dessus, photo du nouvel office de tourisme de Deauville

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    Critique de LA LA LAND de Damien Chazelle

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    Le synopsis d’abord. «La La Land » nous emmène au cœur de Los Angeles, et suit deux personnages : une actrice en devenir prénommée Mia (Emma Stone) qui, entre deux  castings, sert des boissons à des actrices dans la cafétéria où elle travaille, située dans les célèbres studios de la vil et Sebastian (Ryan Gosling), passionné de jazz et talentueux musicien, qui est contraint de jouer la musique d’ascenseur qu’il déteste pour assurer sa subsistance. Elle rêve de rôles sur grand écran. Lui de posséder son propre club de jazz. Elle aime le cinéma d’hier, lui le jazz qui, par certains, est considérée comme une musique surannée.  Ces deux rêveurs mènent pourtant une existence bien loin de la vie d’artistes à laquelle ils aspirent… Le hasard les fait se rencontrer sans cesse, dans un embouteillage d’abord, dans un bar, et enfin dans une fête. Ces deux idéalistes tombent amoureux…

    Le film débute par un plan séquence virevoltant, jubilatoire, visuellement éblouissant. Sur une bretelle d’autoroute de Los Angeles, dans un embouteillage qui paralyse la circulation, une musique jazzy s’échappe des véhicules. Des automobilistes en route vers Hollywood sortent alors de leurs voitures, soudain éperdument joyeux, débordants d’espoir et d’enthousiasme, dansant et chantant leurs rêves de gloire.  La vue sur Los Angeles est à couper le souffle, la chorégraphie millimétrée est impressionnante et d’emblée nous avons envie de nous joindre à eux, de tourbillonner, et de plonger dans ce film qui débute par ces réjouissantes promesses. A ma grande déception, rien n’égalera ensuite cette scène époustouflante.

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    Après ses 7 récompenses aux Golden Globes,   « La La Land » totalise 14 nominations aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, meilleure chanson... Deux films seulement avaient auparavant atteint un tel nombre de nominations, « Titanic » de James Cameron en 1997 et « Eve » de Joseph L. Mankiewicz  en 1951, un chef-d’œuvre passionnant,  tableau  cruel et lucide de la vie d’actrice. Décidément, les Oscars affectionnent les films sur le cinéma.

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    Le cinéma affectionne la mise en abyme, ce qui a d’ailleurs souvent produit des chefs d’œuvre. Il y a évidemment « La comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz, « Etreintes brisées » de Pedro Almodovar « La Nuit américaine de Truffaut », « Sunset Boulevard » de Billy Wilder, « Une étoile est née » de George Cukor et encore « Chantons sous la pluie » de Stanley Donen et Gene Kelly, deux films auxquels « The Artist » de Michel Hazanivicius se référait également. Le film de Stanley Donen et Gene Kelly (comme beaucoup d’autres et comme le cinéma de Demy) est aussi largement cité dans « La la land » (comme dans la photo ci-dessous). Les points communs sont également nombreux entre La la land et « The Artist ».

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    « The Artist » raconte ainsi l’histoire de George Valentin (Jean Dujardin), une vedette du cinéma muet qui connait un succès retentissant…mais l’arrivée des films parlants va le faire passer de la lumière à l’ombre et le plonger dans l’oubli. Pendant ce temps, une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo) qu’il aura au départ involontairement  placée dans la lumière, va voir sa carrière débuter de manière éblouissante. Le film raconte l’histoire de leurs destins croisés.  Comme « La la land », « The Artist » est un hommage permanent et éclatant au cinéma. Hommage à ceux qui ont jalonné et construit son histoire, d’abord, évidemment. De Murnau à Welles, en passant par Borzage, Hazanavicius cite brillamment ceux qui l’ont ostensiblement inspiré. Hommage au burlesque aussi, avec son mélange de tendresse et de gravité, et évidemment, même s’il s’en défend, à Chaplin qui, lui aussi,  lui surtout, dans « Les feux de la rampe », avait réalisé un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage, lorsque le public, si versatile, devient amnésique, lorsque le talent se tarit, lorsqu’il faut passer de la lumière éblouissante à l’ombre dévastatrice. Le personnage de Jean Dujardin est aussi un hommage au cinéma d’hier : un mélange de Douglas Fairbanks, Clark Gable, Rudolph Valentino, et du personnage de Charles Foster Kane (magnifiques citations de « Citizen Kane ») et Bérénice Béjo, avec le personnage de Peppy Miller est, quant à elle, un mélange de Louise Brooks, Marlène Dietrich, Joan Crawford…et nombreuses autres inoubliables stars du muet. Michel Hazanavicius  signe là un hommage au cinéma, à sa magie étincelante, à son histoire, mais aussi et avant tout aux artistes, à leur orgueil doublé de solitude, parfois destructrice. Des artistes qu’il sublime, mais dont il montre aussi les troublantes fêlures et la noble fragilité. Parce qu’il est burlesque, inventif, malin, poétique, et touchant.  Parce qu’il montre les artistes dans leurs belles et poignantes contradictions et fêlures. Rarement un film aura aussi bien su en concentrer la beauté simple et magique, poignante et foudroyante. Foudroyante comme la découverte  de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable, omniprésente ici.

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    Malheureusement je n’ai pas été foudroyée par « La La Land ». Bien sûr, les hommages à l’âge d’or de la comédie musicale se multiplient. Sebastian tournoie admirablement autour d’un lampadaire, référence revendiquée à « Singing in the rain ». Et les deux amoureux s’envolent dans les airs comme dans « Moulin rouge ». Deux exemples parmi tant d’autres. Chazelle, au-delà de la comédie musicale, rend aussi hommage  à l’âge d’or hollywoodien tout entier notamment avec la scène de l’Observatoire Griffith, clin d’œil au chef-d’œuvre de Nicholas Ray, « La Fureur de vivre ». Et Mia cite « L’impossible Monsieur bébé », « Les Enchaînés », « Casablanca » sans parler de la réalisation qui rend elle aussi hommage au cinéma d’hier, fermeture à l’iris y comprise.

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    Si j’ai fait cette parenthèse, c’est en raison des nombreux points communs entre les deux films, deux films qui ont eu les honneurs des Oscars, et si le film de Michel Hazanavicius m’a transportée, emportée, enthousiasmée, même après de nombreux visionnages, celui de Damien Chazelle m’a souvent laissée au bord de l’autoroute…au point même (ce qui ne m’arrive quasiment jamais au cinéma) de parfois m’ennuyer. Paradoxalement, le film en noir et blanc de Michel Hazanavicius m’aura semblé plus étincelant que le film si coloré de Damien Chazelle. J’avais pourtant sacrément envie de les aimer ces deux rêveurs idéalistes, guidés par un amour et des aspirations intemporels.

    C'est la troisième fois que Ryan Gosling et Emma Stone sont partenaires de jeu au cinéma après « Crazy, Stupid, Love » et « Gangster Squad ». Ici, c’est Emma Stone qui crève littéralement l’écran comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans les films de Woody Allen « Magic in the moonlight » et « L’homme irrationnel ». Ici, elle est remarquable, notamment dans les scènes de casting, lorsqu’elle est écoutée d’une oreille distraite alors que le « casteur » regarde un assistant lui faire des signes derrière la porte tandis que face caméra elle passe d’une émotion à l’autre, et montre toute l’étendue de son talent, indéniable. Une des très belles scènes du film, d’ailleurs. Ryan Gosling réalise lui aussi une performance impressionnante ayant appris tous les morceaux de piano du film.

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    Damien Chazelle montre et transmet une nouvelle fois sa fascination pour le jazz, mais aussi pour les artistes qui endurent souffrances et humiliations pour tenter de réaliser leurs rêves.   « Whiplash », le film précédent de Damien Chazelle, notamment couronné au Festival du Cinéma Américain de Deauville, est ainsi exemplaire dans sa précision et l’exigence à l’image de la musique qu’il exalte et sublime. Comme son personnage,  Andrew Nieman (à une lettre près Niemand, personne en Allemand) qui semble avoir une seule obsession, devenir quelqu’un par la musique. Assouvir sa soif de réussite tout comme le personnage interprété par J.K Simmons souhaite assouvir sa soif d’autorité. Une confrontation explosive entre deux desseins, deux ambitions irrépressibles, deux folies.   La réalisation s’empare du rythme fougueux, fiévreux, animal de la musique, grisante et grisée par la folie du rythme et de l’ambition, dévastatrice, et joue judicieusement et avec manichéisme sur les couleurs sombres, jusque dans les vêtements: Fletcher habillé en noir comme s’il s’agissait d’un costume de scène à l’exception du moment où il donne l’impression de se mettre à nu et de baisser la garde, Andrew habillé de blanc quand il incarne encore l’innocence puis de noir à son tour et omniprésence du rouge (du sang, de la viande, du tshirt d’un des « adversaires » d’Andrew) et des gros plans lorsque l’étau se resserre, lorsque le duel devient un combat impitoyable, suffocant. Le face à face final est un véritable combat de boxe (et filmé comme tel) où l’immoralité sortira gagnante : la dictature et l’autorité permettent à l’homme de se surpasser… La scène n’en est pas moins magnifiquement filmée  transcendée par le jeu enfiévré et exalté des deux combattants.

    Etrange critique me direz-vous que la mienne qui consiste à parler d’autres films pour donner mon opinion sur celui-ci. Peut-être, justement, parce que de là provient ma déception, après l’électrique et captivant « Whiplash » qui déjà évoquait -magnifiquement- les ambitions artistiques de ses personnages, et malgré tous les chefs-d’œuvre auxquels il se réfère ce « La La Land » ne m’a pas projetée dans les étoiles malgré la caméra virevoltante qui, constamment, cherche à nous étourdir et à nous embarquer dans sa chorégraphie.  

    Les personnages secondaires, comme le scénario, manquent à mes yeux de consistance pour être totalement convaincants. Sans doute me rétorquera-t-on que Mia et Sebastian sont tout l’un pour l’autre, et que le reste du monde n’existe pas pour eux et n’existe donc pas pour le spectateur. Si j’ai cru à l’amour de l’art de ces deux-là, je n’ai pas réussi à croire en leur histoire d’amour. Certes la sympathique mélodie  composée par Justin Hurwitz nous trotte dans la tête longtemps après la projection. Certes le travail sur le son est intéressant et les transitions sont habiles (comme ce bruit de klaxon qui succède à celui du four qui siffle à nous percer les tympans). Certes certaines scènes sont particulièrement réussies (la scène d’ouverture, les castings de Mia, les plans de Sebastian jouant dans un halo de lumière, ou encore cet échange de regards chargés de regrets et, peut-être, de possibles).

    Le film devient d’ailleurs intéressant vers la fin quand il évoque cette dichotomie entre les rêves et la réalité,  les idéaux et les concessions à son idéalisme que nécessite souvent la concrétisation de ses rêves (dont on réalise alors qu’ils n’étaient qu’illusion d’un bonheur dont la réalisation des rêves en question a nécessité l’abandon comme le montre la séquence - déjà vue ailleurs mais efficace- de ce qu’aurait été la vie si…).

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    Sans doute la nostalgie d’une époque insouciante, l’utopie de revivre une période révolue où les spectateurs allaient au cinéma pour voir des "vedettes" glamours interprétant des personnages sans aspérités (dont les noms sur l’affiche suffisaient à inciter les spectateurs à découvrir le film en salles), évoluant dans un monde enchanté et enchanteur à la Demy (sans les nuances de ses personnages, plus complexes), sans doute le besoin de légèreté (dans les deux sens du terme), sans doute la rencontre entre une époque troublée, sombre, cynique, et un mélo coloré, léger, lumineux expliquent-ils le succès retentissant de ce film aussi bien en salles qu’aux Golden Globes et dans ses nominations aux Oscars. Comme un feu d'artifice qui nous éblouirait et, un temps, occulterait la réalité. Je n’ai pas succombé au charme, pourtant certain, de "La la land", peut-être  parce que, à la joie feinte et illusoire, je préfère la mélancolie (qui y  affleure un peu tard), mais ce n’est pas une raison suffisante pour vous dissuader d'aller le voir...

    CRITIQUE - ELLE S'EN VA d'Emmanuelle Bercot

     

    Un film avec Catherine Deneuve est en soi déjà toujours une belle promesse, une promesse d’autant plus alléchante quand le film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là, l’histoire poignante et  délicate (et délicatement traitée) de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mûr (d’ailleurs interprétée avec beaucoup de justesse par Emmanuelle Bercot). Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de la ferveur amoureuse qui unissait les deux protagonistes. Puis, il y a eu « Backstage », et l’excellent scénario de « Polisse » dont elle était coscénariste.

    L’idée du road movie avec Catherine Deneuve m’a tout d’abord fait penser au magistral « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel le dernier regard de Catherine Deneuve à la fois décontenancé et ébloui puis passionné, troublé, troublant est un des plus beaux plans qu’il me soit arrivé de voir au cinéma contenant une multitude de possibles et toute la richesse de jeu de l’actrice.  « Elle s’en va » est un road movie centré certes aussi sur Catherine Deneuve mais très différent et né du désir « viscéral » de la filmer (elle n’est sans doute pas la seule mais nous comprenons rapidement pourquoi l’actrice a accepté ici) comme l’a précisé la réalisatrice avant la projection.

    L’actrice incarne ici Bettie (et non Betty comme celle de Chabrol), restauratrice à Concarneau, veuve (je vous laisse découvrir comment…), vivant avec sa mère (Claude Gensac !) qui la traite encore comme une adolescente. L’amant de Bettie vient de  quitter sa femme… pour une autre qu’elle. Sa mère envahissante, son chagrin d’amour, son restaurant au bord de la faillite vont la faire quitter son restaurant, en plein service du midi, pour aller « faire un tour » en voiture, puis pour acheter des cigarettes. Le tour du pâté de maisons se transforme bientôt en échappée belle. Elle va alors partir sur les routes de France, et rencontrer toute une galerie de personnages dans une France qui pourrait être celle des « sous-préfectures » du « Journal de France » de Depardon. Et surtout, son voyage va la mener sur une voie inattendue…et nous aussi tant ce film est une surprise constante.

    Après un premier plan sur Catherine Deneuve, au bord de la mer, éblouissante dans la lumière du soleil, et dont on se demande si elle va se « jeter à l’eau » (oui, d’ailleurs, d’une certaine manière), se succèdent  des plans montrant des commerces fermées et des rues vides d’une ville de province, un chien à la fenêtre, une poésie décalée du quotidien aux accents de Depardon. Puis Bettie apparaît dans son restaurant. Elle s’affaire, tourbillonne, la caméra ne la lâche pas…comme sa mère, sans cesse après elle. Bettie va ensuite quitter le restaurant pour ne plus y revenir. Sa mère va la lâcher, la caméra aussi, de temps en temps : Emmanuelle Bercot la filme sous tous les angles et dans tous les sens ( sa nuque, sa chevelure lumineuse, même ses pieds, en plongée, en contre-plongée, de dos, de face, et même à l’envers) mais alterne aussi dans des plans plus larges qui la placent dans des situations inattendues dans de « drôle[s] d’endroit[s] pour une rencontre », y compris une aire d’autoroute comme dans le film éponyme.

    Si l’admiration de la réalisatrice pour l’actrice transpire dans chaque plan, en revanche « Elle s’en va » n’est pas un film nostalgique sur le « mythe » Deneuve mais au contraire ancré dans son âge, le présent, sa féminité, la réalité. Emmanuelle Bercot n’a pas signé un hommage empesé mais au contraire un hymne à l’actrice et à la vie. Avec son jogging rouge dans « Potiche », elle avait prouvé (à ceux qui en doutaient encore) qu’elle pouvait tout oser, et surtout jouer avec son image d’icône.  « Elle s’en va » comme aurait pu le faire craindre son titre (le titre anglais est « On my way ») ne signifie ainsi ni une révérence de l’actrice au cinéma (au contraire, ce film montre qu’elle a encore plein de choses à jouer et qu’elle peut encore nous surprendre) ni un film révérencieux, mais au contraire le film d’une femme libre sur une autre femme libre. Porter une perruque improbable, se montrer dure puis attendrissante et s’entendre dire qu’elle a dû être belle quand elle était jeune » (dans une scène qui aurait pu être glauque et triste mais que la subtilité de l’écriture et de l’interprétation rendent attendrissante )…mais plus tard qu’elle sera « toujours belle même dans la tombe. » : elle semble prendre un malin plaisir à jouer avec son image.

    Elle incarne ici un personnage qui est une fille avant d’être une mère et une grand-mère, et surtout une femme libre, une éternelle amoureuse.  Au cours de son périple, elle va notamment rencontrer un vieil agriculteur (scène absolument irrésistible tout comme sa rencontre d’une nuit, belle découverte que Paul Hamy qui incarne l’heureux élu). Sa confrontation avec cette galerie de personnages incarnés par des non professionnels pourrait à chaque fois donner lieu à un court-métrage tant ce sont de savoureux moments de cinéma, mais une histoire et un portrait se construisent bel et bien au fil de la route. Le film va ensuite prendre une autre tournure lorsque son petit-fils l’accompagnera dans son périple. En découvrant la vie des autres, et en croyant fuir la sienne, elle va au contraire lui trouver un nouveau chemin, un nouveau sens, être libérée  du poids du passé.

    Si le film est essentiellement interprété par des non professionnels (qui apportent là aussi un naturel et un décalage judicieux), nous croisons aussi Mylène Demongeot (trop rare), le peintre  Gérard Garouste et la chanteuse Camille (d’ailleurs l’interprète d’une chanson qui s’intitule « Elle s’en va » mais qui n’est pas présente dans le film) dans le rôle de la fille cyclothymique de Bettie  et enfin  Nemo Schiffman, irréprochable dans le rôle du petit-fils. Ajoutez à cela une remarquable BO et vous obtiendrez un des meilleurs films de l’année 2013.

    Présenté en compétition officielle de la Berlinale 2013 et en compétition du Champs-Elysées Film Festival 20013, « Elle s’en va » a permis à Catherine Deneuve de recevoir le prix coup de cœur du Festival de Cabourg 2013.

    « Elle s’en va » est d’abord un magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout.  C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va »  montre que , à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour.  « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie . Un bonheur ! Et un bonheur rare.

    Critique - LA TÊTE HAUTE d'Emmanuelle Bercot

    La tête haute, Emmanuelle Bercot, cinéma, film,

    "La tête haute" était le film d'ouverture du 68ème Festival de Cannes. C'est la séance coup de cœur sur Canal plus ce mois-ci et ce fut aussi le mien l'an passé à Cannes. Le temps de débarrasser la scène du Grand Théâtre Lumière des apparats de l’ouverture de ce 68ème Festival de Cannes, et nous voilà plongés dans un tout autre univers : le bureau d’une juge pour enfants (Catherine Deneuve), à Dunkerque. La tension est palpable. Le ton monte. Les éclats de voix fusent. Une femme hurle et pleure. Nous ne voyons pas les visages. Seulement celui d’un enfant, Malony, perdu au milieu de ce vacarme qui assiste, silencieux, à cette scène terrible et déroutante dont la caméra frénétique accompagne l’urgence, la violence, les heurts. Un bébé crie dans les bras de sa mère qui finalement conclut à propos de Malony qu’il est « un boulet pour tout le monde ». Et elle s’en va, laissant là : un sac avec les affaires de l’enfant, et l’enfant, toujours silencieux sur la joue duquel coule une larme, suscitant les nôtres déjà, par la force de la mise en scène et l’énergie de cette première scène, implacable. Dix ans plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes dans le même bureau …

    Ce film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma et l’univers si fort et singulier avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là. Depuis, je suis ses films avec une grande attention jusqu’à « Elle s’en va », en 2013, un très grand film, un road movie centré sur Catherine Deneuve, « né du désir viscéral de la filmer ». Avant d’en revenir à « La tête haute », je ne peux pas ne pas vous parler à nouveau de ce magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que, à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie. ( Retrouvez ma critique complète de ELLE S'EN VA en cliquant ici.)

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    Et contre toute attente, c’est aussi l’effet produit par « La tête haute » où il est aussi question de départ, de nouveau départ, de nouvelle chance. Avec beaucoup de subtilité, plutôt que d’imprégner visuellement le film de noirceur, Emmanuelle Bercot a choisi la luminosité, parfois le lyrisme même, apportant ainsi du romanesque à cette histoire par ailleurs particulièrement documentée, tout comme elle l’avait fait pour « Polisse » de Maïwenn dont elle avait coécrit le scénario. Le film est riche de ce travail en amont et d’une excellente idée, celle d' avoir toujours filmé les personnages dans un cadre judiciaire : le bureau de la juge, des centres divers… comme si toute leur vie était suspendue à ces instants.

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    Le grand atout du film : son énergie et celle de ses personnages attachants interprétés par des acteurs judicieusement choisis. Le jeune Rod Paradot d’abord, l’inconnu du casting qui ne le restera certainement pas longtemps et qui a charmé l’assistance lors de la conférence de presse cannoise du film, avec son sens indéniable de la répartie (« la tête haute mais la tête froide »…), tête baissée, recroquevillé, tout de colère rentrée parfois hurlée, dont la présence dévore littéralement l’écran et qui incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes du film. Catherine Deneuve, ensuite, une nouvelle fois parfaite dans ce rôle de juge qui marie et manie autorité et empathie. L’éducateur qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant qui réveille ses propres failles incarné par Benoît Magimel d’une justesse sidérante. La mère (Sara Forestier) qui est finalement l’enfant irresponsable du film, d’ailleurs filmée comme telle, en position fœtale, dans une très belle scène où les rôles s’inversent. Dommage (et c’est mon seul bémol concernant le film) que Sara Forestier ait été affublé de fausses dents (était-ce nécessaire ?) et qu’elle surjoue là où les autres sont dans la nuance, a fortiori les comédiens non professionnels, excellents, dans les seconds rôles.

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    Ajoutez à cela des idées brillantes et des moments qui vous cueillent quand vous vous y attendez le moins : une main tendue, un « je t’aime »furtif et poignant, une fenêtre qui soudain s’est ouverte sur « Le Monde » (littéralement, si vous regardez bien…) comme ce film s’ouvre sur un espoir.

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    Après « Clément », « Backstage », «  Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice (et actrice comme l'a prouvé son prix d'interprétation cannois) avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde, un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix d'ouverture du 68ème Festival de Cannes et de lui donner cette visibilité.

    Critique de "The Artist" de Michel Hazanavicius (film de clôture du 37ème Festival du Cinéma Américain de Deauville)

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse des lauréats du Festival de Cannes 2011.

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse des lauréats du Festival de Cannes 2011.

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse du Festival de Cannes 2011 du film "The Artist".

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    Photo ci-dessus : crédits inthemoodforcinema.com . Conférence de presse du Festival de Cannes 2011 du film "The Artist".

    C’était un dimanche matin de mai 2011, le début du Festival de Cannes encore, en projection presse. Pas encore vraiment l’effervescence pour le film qui obtint la palme d’or mais un joli bruissement d’impatience parmi les regards déjà las, ou obstinément sceptiques. 1H40 plus tard, la salle résonnait d’applaudissements, pendant dix minutes, fait rare en projection presse. Le soir même, je suis retournée le voir en projection officielle. L’émotion fut la même, redoublée par la présence de l’équipe du film, terriblement émue elle aussi par les réactions enthousiastes du public, par les rires tendres, par cette cavalcade d’applaudissements qui a commencé lors de la dernière scène et ne s’est plus arrêtée pour continuer pendant un temps qui m’a paru délicieusement long. Un beau, rare et grand moment du Festival de Cannes.

    Le pari était pourtant loin d’être gagné d’avance. Un film muet (ou quasiment puisqu’il y a quelques bruitages). En noir et blanc. Tourné à Hollywood. En 35 jours. Par un réalisateur qui jusque là avait excellé dans son genre, celui de la brillante reconstitution parodique, mais très éloigné de l’univers dans lequel ce film nous plonge. Il fallait beaucoup d’audace, de détermination, de patience, de passion, de confiance, et un peu de chance sans doute aussi, sans oublier le courage -et l’intuition- d’un producteur (Thomas Langmann) pour arriver à bout d’un tel projet. Le pari était déjà gagné quand le Festival de Cannes l’a sélectionné d’abord hors compétition pour le faire passer ensuite en compétition, là encore fait exceptionnel.

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    Le film débute à Hollywood, en 1927, date fatidique pour le cinéma puisque c’est celle de l’arrivée du parlant. George Valentin (Jean Dujardin) est une vedette du cinéma muet qui connait un succès retentissant…mais l’arrivée des films parlants va le faire passer de la lumière à l’ombre et le plonger dans l’oubli. Pendant ce temps, une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo) qu’il aura au départ involontairement  placée dans la lumière, va voir sa carrière débuter de manière éblouissante. Le film raconte l’histoire de leurs destins croisés.

    Qui aime sincèrement le cinéma ne peut pas ne pas aimer ce film qui y est un hommage permanent et éclatant. Hommage à ceux qui ont jalonné et construit son histoire, d’abord, évidemment. De Murnau à Welles, en passant par Borzage, Hazanavicius cite brillamment ceux qui l’ont ostensiblement inspiré. Hommage au burlesque aussi, avec son mélange de tendresse et de gravité, et évidemment, même s’il s’en défend, à Chaplin qui, lui aussi,  lui surtout, dans « Les feux de la rampe », avait réalisé un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage, lorsque le public, si versatile, devient amnésique, lorsque le talent se tarit, lorsqu’il faut passer de la lumière éblouissante à l’ombre dévastatrice. Le personnage de Jean Dujardin est aussi un hommage au cinéma d’hier : un mélange de Douglas Fairbanks, Clark Gable, Rudolph Valentino, et du personnage de Charles Foster Kane (magnifiques citations de « Citizen Kane ») et Bérénice Béjo, avec le personnage de Peppy Miller est, quant à elle, un mélange de Louise Brooks, Marlène Dietrich, Joan Crawford…et nombreuses autres inoubliables stars du muet.

    Le cinéma a souvent parlé de lui-même… ce qui a d’ailleurs souvent produit des chefs d’œuvre. Il y a évidemment « La comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz, « La Nuit américaine de Truffaut », « Sunset Boulevard » de Billy Wilder, enfin « Une étoile est née » de George Cukor et encore « Chantons sous la pluie » de Stanley Donen et Gene Kelly auxquels « The Artist », de par son sujet, fait évidemment penser. Désormais, parmi ces classiques, il faudra citer « The Artist » de Michel Hazanavicius. Ses précèdents films étaient d'ailleurs déjà des hommages au cinéma. On se souvient ainsi des références à "Sueurs froides" ou "La Mort aux trousses" d'Hitchcock dans "OSS 117 : Rio ne répond plus".

    Hazanavicius joue ainsi constamment et doublement la mise en abyme : un film muet en noir et blanc qui nous parle du cinéma muet en noir et blanc mais aussi qui est un écho à une autre révolution que connaît actuellement le cinéma, celle du Numérique.

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    Le mot jubilatoire semble avoir été inventé pour ce film, constamment réjouissant, vous faisant passer du rire aux larmes, ou parfois vous faisant rire et pleurer en même temps. Le scénario et la réalisation y sont pour beaucoup mais aussi la photographie (formidable travail du chef opérateur Guillaume Schiffman qui, par des nuances de gris, traduit les états d’âme de Georges Valentin), la musique envoûtante (signée Ludovic Bource, qui porte l’émotion à son paroxysme, avec quelques emprunts assumés là aussi, notamment à Bernard Herrmann) et évidemment les acteurs au premier rang desquels Jean Dujardin qui méritait amplement son prix d’interprétation (même si Sean Penn l’aurait également mérité pour « This must be the place »).

    Flamboyant puis sombre et poignant, parfois les trois en même temps, il fait passer dans son regard (et par conséquent dans celui du spectateur), une foule d’émotions, de la fierté aux regrets,  de l’orgueil à la tendresse, de la gaieté à la cruelle amertume de la déchéance.  Il faut sans doute beaucoup de sensibilité, de recul, de lucidité et évidemment de travail et de talent pour parvenir à autant de nuances dans un même personnage (sans compter qu’il incarne aussi George Valentin à l’écran, un George Valentin volubile, excessif, démontrant le pathétique et non moins émouvant enthousiasme d’un monde qui se meurt). Il avait déjà prouvé dans « Un balcon sur la mer » de Nicole Garcia qu’il pouvait nous faire pleurer.  Il confirme ici l’impressionnant éclectisme de sa palette de jeu et d'expressions de son visage.

     Une des plus belles et significatives scènes est sans doute celle où il croise Peppy Miller dans un escalier, le jour  du Krach de 1929. Elle monte, lui descend. A l’image de leurs carrières. Lui masque son désarroi. Elle, sa conscience de celui-ci, sans pour autant dissimuler son enthousiasme lié à sa propre réussite. Dujardin y est d’une fierté, d’une mélancolie, et d’une gaieté feinte bouleversantes, comme à bien d’autres moments du film. Et je ne prends guère de risques en lui prédisant un Oscar pour son interprétation, ou en tout cas un Oscar du meilleur film étranger pour Hazanavicius.  Bérénice Béjo ne démérite pas non plus dans ce nouveau rôle de « meilleur espoir féminin » à la personnalité étincelante et généreuse, malgré un bref sursaut de vanité de son personnage. Il ne faudrait pas non plus oublier les comédiens anglo-saxons : John Goodman, Malcolm McDowell et John Cromwell (formidablement touchant dans le rôle du fidèle Clifton).

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    Il y aura bien quelques cyniques pour dire que ce mélodrame  est plein de bons sentiments, mais Hazanicius assume justement ce mélodrame. « The Artist » est en effet aussi une très belle histoire d’amour simple et émouvante, entre Peppy et Georges mais aussi entre Georges et son cabot-in Uggy : leur duo donne lieu à des scènes tantôt drôles, tantôt poétiques, tantôt touchantes, et là encore parfois au trois en même temps. Hommage aussi à ce pouvoir magique du cinéma que de susciter des émotions si diverses et parfois contradictoires.

    Michel Hazanavicius  évite tous les écueils et signe là un hommage au cinéma, à sa magie étincelante, à son histoire, mais aussi et avant tout aux artistes, à leur orgueil doublé de solitude, parfois destructrice. Des artistes qu’il sublime, mais dont il montre aussi les troublantes fêlures et la noble fragilité.

    Ce film m’a éblouie, amusée, émue. Parce qu’il convoque de nombreux souvenirs de cinéma. Parce qu’il est une déclaration d’amour follement belle au cinéma. Parce qu’il ressemble à tant de films du passé et à aucun autre film contemporain. Parce qu’il m’a fait ressentir cette même émotion que ces films des années 20 et 30 auxquels il rend un vibrant hommage. Parce que la réalisation est étonnamment inspirée (dans les deux sens du terme d’ailleurs puisque, en conférence de presse, Michel Hazanavicius a revendiqué son inspiration et même avoir « volé » certains cinéastes). Parce qu’il est burlesque, inventif, malin, poétique, et touchant.  Parce qu’il montre les artistes dans leurs belles et poignantes contradictions et fêlures.

    Il ne se rapproche d’aucun autre film primé jusqu’à présent à Cannes…et en sélectionnant cet hymne au cinéma en compétition puis en le  primant,  le Festival de  Cannes a prouvé qu’il était avant tout le festival qui aime le cinéma, tous les cinémas, loin de la caricature d’une compétition de films d’auteurs représentant toujours le même petit cercle d’habitués dans laquelle on tend parfois à l’enfermer.

     « The Artist » fait partie de ces films qui ont fait de cette édition cannoise 2011 une des meilleures de celles auxquelles j’ai assisté, pour ne pas dire la meilleure…avec des films  aussi différents et marquants que  « This must be the place » de Paolo Sorrentino, « Melancholia » de Lars von Trier, « La piel que habito » de Pedro Almodovar.

     Un film à ne manquer sous aucun prétexte si, comme moi, vous aimez passionnément et même à la folie, le cinéma. Rarement un film aura aussi bien su en concentrer la beauté simple et magique, poignante et foudroyante. Oui, foudroyante comme la découverte  de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable, omniprésente ici.

     

  • Rétrospective 2012 en attendant le Festival du Film Asiatique de Deauville 2013

    En attendant les premières informations sur le Festival du Film Asiatique de Deauville 2013, retrouvez, ci-dessous, mon bilan de l'année 2012.

    Mon bilan cinématographique, festivalier, culturel et bloguesque de l’année 2012 et mon top cinéma (les 15 meilleurs films de 2012)

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    A quelques jours du dénouement de 2012, l’heure est venue de faire le bilan de cette année culturelle (essentiellement cinématographique mais pas seulement, vous trouverez aussi un peu de théâtre et de musique), festivalière et bloguesque pour ma 9ème année de blog(s), une nouvelle année personnellement tumultueuse mais illuminée par de multiples pérégrinations festivalières, des découvertes cinématographiques, de beaux projets et par la passion du cinéma plus que jamais là, plus que jamais exaltante, plus que jamais la source de magnifiques rencontres sur l’écran et en dehors. J'espère vraiment avoir réussi à vous la faire partager. Vous êtes de plus en plus nombreux à suivre mes différents blogs et j'en suis flattée et vous en remercie. Vous êtes ainsi également désormais plus de 3100 à suivre mon compte twitter principal (@moodforcinema).

    Je vous propose donc, ci-dessous un retour en mots, en photos et en vidéos sur les meilleurs moments de cette année 2012, une année encore une fois très « in the mood for cinema » avant de vous livrer, à la fin de cet article, mon top 15 de l’année cinéma dont je réalise qu’il est très français ou en tout cas francophone, la preuve que si le cinéma français n’a pas fait des miracles en terme d’entrées en salles cette année, il a proposé un cinéma audacieux et particulièrement enthousiasmant, avec de belles révélations puisque dans ce top figurent 4 premiers films (dont trois français). N’hésitez pas à laisser votre top dans les commentaires !

    «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse dans « Amour » de Michael Haneke, la palme d’or du Festival de Cannes 2012. Les films qui sont dans ce top, même si un jour je les oublie, j’en suis certaine, m’auront laissé des sentiments forts et indélébiles. Je vous les recommande.

    J'en profite pour vous souhaiter à tous une très joyeuse année 2013 riches de rêves et de passions... et bon courage à ceux qui vont s'atteler à la lecture de ma logorrhée en espérant qu'elle n'en sera néanmoins pas tout à fait une...

    UNE ANNEE DE FESTIVALS ET D’EVENEMENTS CINEMATOGRAPHIQUES

    Les festivals ont plus que jamais jalonné cette année. C’est là que tout a commencé pour moi, il y a une bonne dizaine d’années. Jamais alors je n’aurais imaginé continuer à les parcourir tant d’années après et surtout à y être ainsi immergée.

    Outre les rendez-vous habituels, j’aurais eu le plaisir de faire partie de deux jurys cette année, celui de la critique internationale du Festival du Film Asiatique de Deauville, en mars 2012, et celui du Festival International du Film de Boulogne Billancourt, en avril 2012 et je peux d’ores et déjà vous annoncer que je ferai partie de deux autres jurys pour lesquels j’ai été sollicitée l’an prochain, notamment le jury du Festival du Film Merveilleux en juin 2013.

    Ces festivals auront été l’occasion de belles découvertes cinématographiques. Un bon festival c’est ainsi souvent comme un grand film, il vous laisse heureux et exténué, joyeusement nostalgique et doucement mélancolique, riche d’émotions et de réflexions, souvent contradictoires, et il faut souvent un peu de recul pour appréhender ces multiples réflexions et émotions qu’il a suscitées, pour découvrir quelles images auront résisté à l’écoulement du temps, aux caprices de la mémoire, à ce flux et flot d’informations ininterrompues.

    En cliquant sur leurs intitulés, vous pourrez accéder aux comptes-rendus complets des différents festivals et évènements auxquels j’ai assisté cette année et dont vous ne trouverez qu’un bref extrait ou résumé ci-dessous.

    FESTIVAL DU FILM ASIATIQUE DE DEAUVILLE 2012

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    © Copyright Sandra Mézière

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    La mélancolie douce, la beauté presque réfractaire de Deauville en mars, d’une violence et d’un charme mêlés et subreptices, m’a comme chaque année envoûtée même si les thèmes du festival étaient particulièrement sombres pour cette 14ème édition du Festival du Film Asiatique de Deauville qui fut pour moi la 11ème.

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    Deuil (surtout), fuite inexorable et vaine, quête d’identité, perte d’innocence : les thèmes des films de la compétition de cette édition 2012 ont pourtant brossé le portrait de sociétés et d’êtres étouffés par le malheur, la pauvreté, en quête d’un ailleurs et d’espérance bien souvent inaccessibles.

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    Etait ainsi projeté à Deauville « Himizu » du japonais Sono Sion, adaptation du manga éponyme. Coup de cœur (et de poing) de ce festival, d’une rageuse, fascinante, exaspérante et terrifiante beauté. Ce film, d’une folie inventive et désenchantée, d’un romantisme désespéré, d’un lyrisme tragique et parfois grandiloquent, est porté par l’énergie du désespoir. Il s’achève sur un cri d’espoir vibrant et déchirant. Sublime. Ravageur. La possibilité d’un rêve. Ce film a remporté le prix de la critique internationale auquel je me réjouis de n’être pas tout à fait étrangère.

     

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    © Copyright Sandra Mézière

    Voix étouffées, cris d’espoir ou de douleur, parole tue, condamnée ou jaillissante : tout en faisant souvent preuve d’une économie de mots, cette compétition 2012 a traduit avec beaucoup de subtilité le désarroi de personnages enfermés, étouffés, le plus souvent par la misère sociale, qu’elle soit fruit de la dictature ou de catastrophes personnelles ou naturelles. Un cinéma de contrastes, d’oxymores même : de douce violence et de silences bavards. Un cinéma de qualité en tout cas, malgré sa noirceur qui laissait parfois filtrer une lueur d’espoir d’autant plus belle et éclatante et ravageuse, à l’image de celle de la fin de « Himizu », sans aucun doute l’image qui restera de cette compétition cinématographiquement réjouissante.

    Cliquez ici pour lire le compte-rendu complet du Festival du Film Asiatique de Deauville 2012.

    FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE BOULOGNE BILLANCOURT

    « La Philosophie de ce Festival est de privilégier tout ce qui fait aimer la vie » avait ainsi déclaré Claude Pinoteau, le Président d’honneur de ce festival, dans son édito. Mais Boulogne-Billancourt c’est avant tout et surtout une compétition, cinq films très différents avec pour point commun de « souffler positif », cinq films parmi lesquels le jury dont j'ai eu le plaisir de faire partie avait la lourde et passionnante tâche de décerner les prix du meilleur réalisateur, du meilleur acteur et de la meilleure actrice. Si les sujets étaient parfois sombres : maladie d’Alzheimer, solitude, perte de l’innocence, conflit-israélo palestinien en arrière-plan, ou même invasion nazie, les cinéastes en compétition, par la légèreté, la folie poétique, la lumière, la musique cherchaient avant tout à donner de l’espoir. Cinq histoires dans lesquelles les personnages partaient en quête d’un autre ou d’eux-mêmes.

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    Ci-dessus, le jury du Festival du Film de Boulogne-Billancourt 2012: Thomas Clément, Didier Allouch et moi-même.

    Nous avons attribué le prix de la meilleure actrice à la jeune comédienne Lou de Laâge pour le film « Nino, une adolescence imaginaire de Nino Ferrer » de Thomas Bardinet, ce dont je me réjouis d’autant plus qu’elle irradiait déjà dans le très beau premier film de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles» dont je vous ai parlé à maintes reprises. Dans ce film, elle interprète Natacha, comédienne au théâtre comme dans la vie. Ce film possède toute la fraîcheur, l’innocence et la violence mêlées de l’adolescence, toute la fragilité aussi. Le réalisateur Thomas Bardinet a fait de ce qui aurait pu être un défaut une force : du manque de moyens (il occupe tous les postes du film et a tourné sans équipe technique), de la photographie parfois très sombre émane la sensation de voir une adolescence telle qu’elle est dans le souvenir, au milieu d’une sorte de brouillard qui, à la fois, l’idéalise et la radicalise, comme dans un conte. Le décor est parfois inexistant tout comme les parents le sont d’ailleurs (nous ne voyons jamais leurs visages) pour laisser la part belle au jeu, aux visages des jeunes interprètes qui interprètent un texte volontairement très écrit, de manière un peu théâtrale, comme dans les films de Rohmer, référence assumée, le ton rappelant fortement ses contes moraux. Si toute la distribution est remarquable, Lou de Laâge est indéniablement au-dessus du lot et confirme la révélation de «J’aime regarder les filles » tant elle dévore l’écran. Située dans les années 50 l’intrigue a un caractère intemporel, presque anachronique. Les métaphores parfois un peu simplistes comme le papillon de la fin pour signifier le passage à l’âge adulte, au lieu de faire tomber le film dans la mièvrerie lui donne une jolie candeur parfaitement assumée, mélange de gravité et de légèreté propre à cet âge. Un réalisateur à suivre qui a su sublimer ses jeunes interprètes et tirer profit des limites budgétaires. Pour moi, la plus belle et rafraîchissante surprise de ce festival…

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    Les lauréats du Festival International du Film de Boulogne-Billancourt 2012 et notamment Mehdi Dehbi et Jules Sitruk à qui j'ai eu le plaisir de remettre leurs prix.

     

    Pour le prix du meilleur acteur, il nous a été impossible de départager Mehdi Dehbi et Jules Sitruk dans «Le Fils de l’autre » de Lorraine Lévy. Si, comme moi, vous avez vu « La folle histoire de Simon Eskenazy », certainement n’avez-vous pas pu oublier Mehdi Dehbi qui y interprétait avec pudeur et nuance un jeune travesti alors que son rôle aurait pu facilement tomber dans la caricature et la vulgarité. Dans «Le fils de l’autre », il porte un message plein d’espoir, celui d’une réconciliation a priori impossible que sa personnalité faîte de deux identités réunit. Son jeu est d’une sensibilité, d’une justesse, d’un magnétisme tellement éclatants, au-delà du message, qu’il nous était impossible de ne pas le primer.

     

    Face à lui, Jules Sitruk fait également preuve d’une belle maturité et présence et d’une émotion communicative. Ce film efficace et émouvant plein de bienveillance sur la quête d’identité et de la réconciliation avec soi et « l’autre » que Lorraine Lévy revendique comme « idéologique » et non «politique» a également reçu le prix du public.

    C’est à un film espagnol que nous avons choisi d’attribuer le prix du meilleur film: «Crebinsky » de Enrique Otero. Si ce film a remporté les suffrages des deux jurys, c’est notamment parce que c’est celui qui possède l’univers le plus marqué, et qui témoigne le plus d’un vrai parti pris, d’un point de vue et d’un regard de cinéaste. Enrique Otero assume ses multiples références : à Chaplin, Jeunet, Kusturica…des références à la hauteur desquels il est évidemment difficile d’arriver mais de ce film se dégage un charme burlesque, une folie poétique, une singularité loufoques incontestables… Un cinéaste à suivre !

    Enfin, nous avons choisi d’attribuer une mention spéciale au film australien « Lou » de Belinda Cheyko (ce film a également reçu le prix du meilleur film du jury jeunes). D’un sujet qui aurait pu être scabreux, Belinda Cheyko, par une mise en scène d’une étonnante maîtrise et sensibilité pour un premier film, signe un film lumineux, tendre, plein de délicatesse, un nouveau départ plein d’espoir porté également par la jeune Lily Bell-Tindley parfaitement dirigée à l’image des autres enfants du film.

    Ce festival possède décidément tous les pouvoirs et en plus de « souffler » positif, souffle aussi un peu de magie puisque, comme Woody Allen dans « La rose pourpre du Caire », il permet aux acteurs de sortir de l’écran et nous rejoindre. J’ai donc eu le plaisir de remettre leurs prix sur scène à Jules Sitruk et Mehdi Dehbi…

    Cliquez ici pour lire mon compte-rendu complet du Festival International du Film de Boulogne Billancourt 2012.

    Et puis il y a eu les rendez-vous habituels : le Festival de Cannes, le Festival du Cinéma Américain de Deauville, le Festival du Film Asiatique de Deauville, le Festival Paris Cinéma, le Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz. La découverte d’un nouveau festival aussi : le Champs-Elysées Film Festival. Cette année, j’ai délaissé les festivals de Cabourg et Dinard mais j’ai également été fidèle à deux rendez-vous incontournables que sont désormais LES PRIX LUMIERES et les CESAR.

     

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    FESTIVAL DE CANNES

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    Cannes, c’est la vie en concentré. Plus belle et plus violente. Plus déconcertante et exaltante. Plus dérisoire et urgente. Comme sur l’écran, tout y est plus triste, plus tragique, plus intense, tellement excessif. Chacun se pare d’un masque, souvent de vanité, parfois d’hypocrisie, me faisant songer à cette citation de Molière tellement à propos à Cannes « L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertu ». Cannes, « c’est une joie et une souffrance », pourrais-je dire en paraphrasant Truffaut. La joie de vivre au rythme de sa passion. La souffrance de voir des passions moins nobles l’emporter. La joie de faire taire la réalité. La joie de voir la vie ressembler à du cinéma. La joie d’être immergée dans un monde de cinéma et de se plonger dans des regards et des univers de cinéastes captivants, dérangeants, en tout cas éminemment talentueux. La joie de partager sa passion, de passer ses journées au rythme du cinéma. Oui, la joie l’emporte forcément.

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    Une certitude subsiste : que j’aime Cannes et le cinéma à la folie, toujours et encore et malgré tout, ce vertige émotionnel et cinématographique qui vous enivre, mais beaucoup moins ceux qui font le leur et le prennent pour prétexte à l’expression de leurs frustrations, beaucoup moins ceux qui se gavent et se grisent, beaucoup moins ceux qui piétinent les autres et leur orgueil pas même pour un quart d’heure cher à Warhol.

    C’est ainsi pourtant pour mon 12ème Festival de Cannes, avec la même émotion que les autres fois, comme une réminiscence de la première que je suis entrée à nouveau dans le célèbre Grand Théâtre Lumière ( la première fois, c’était en 2001, c’était pour « Marie-Jo et ses deux amours » de Guédiguian, cette année-là un certain Nanni Moretti avait obtenu la palme d’or pour « La chambre du fils ») songeant à tous les films qui y ont été présentés, à tous les cinéastes qui ont émergé aux yeux du monde, à toute l’émotion contenue ou déployée dans cette salle depuis tant d’années, à tant d’applaudissements qui si souvent m’ont donnée la chair de poule, la réalité rejoignant le cinéma, se confondant presque avec celui-ci lorsque la lumière se rallume et que l’écran laisse entrevoir les visages qui y figuraient quelque secondes plus tôt, dans une autre réalité.

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    Résonnent encore en moi : cette phrase de Bérénice Béjo à l’ouverture : «Tais-toi, toi qui dis à ton enfant qu’il ne faut pas rêver, que ce n’est pas possible» ou encore la voix assurée de Beth Ditto rendant hommage à Marilyn (égérie de l’affiche 2012 , Marilyn ; un mélange de force et de fragilité, d’ombre et de lumière, de glamour masquant la mélancolie, finalement à l’image du festival) en reprenant la chanson d’Elton John.

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    Ce furent 11 jours de chocs et d’éblouissements cinématographiques, d’exquise et troublante confusion entre fiction et réalité enlacées en un tango langoureux annihilant frontières et repères, où la vie fut alors exaltante, palpitante, grisante. Comme au cinéma…

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    Comme chaque année, j’ai frissonné en entendant pour la première fois, la musique de Saint-Saëns, le cœur battant, comme pour un rendez-vous amoureux, à la fois doucement inquiète, et exaltée à l’idée de cet état second dans lequel je savais déjà que cette immersion cinématographique me plongerait. 11 jours à être déroutée, aimantée inexorablement vers ce Grand Théâtre Lumière, cette « bulle au milieu du monde dans laquelle on se réfugie, on se cache blottie contre un siège rouge dans le noir d’une grande salle » comme l’a si bien dit Bérénice Béjo. Une bulle qui nous isole du monde (quoi, il existerait un monde en dehors de Cannes ?), bulle délicieusement égocentrique, bulle qui paradoxalement nous éloigne du monde même si les films, justement, nous en rappellent l’état, cette année souvent désorienté, sur fond de crise, en quête d’un amour désespéré. Une parenthèse enchantée qui nous plonge pourtant dans un monde désenchanté.

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    « Amour », la palme d’or 2012 signée Michael Haneke est un film tragique, bouleversant, universel qui nous ravage, un film lucide, d’une justesse et d’une simplicité remarquables, tout en retenue. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse dans le film, comme je vous le rappelais en introduction de ce bilan de l'année. C’est aussi ce qu’il nous reste de ce film, l’essentiel, l’Amour avec un grand A, pas le vain, le futile, l’éphémère mais l’absolu, l’infini. Un film éprouvant et sublime, d’une beauté tragique et ravageuse que vous hante et vous habite longtemps après la projection, après ce dernier plan d’une femme seule dans un appartement douloureusement vide. Un film d’Amour absolu, ultime. Et puis il y a la musique de Schubert, cet Impromptu que j’ai si souvent écouté et que je n’entendrai sans doute plus jamais de la même manière. L’Amour absolu, un cri d’amour ultime et désespéré qui montre ce qui est « caché » avec une infinie pudeur et délicatesse alors que tant, à Cannes, s’enivrent de rencontres et plaisirs éphémères.

    A Cannes comme ailleurs, ce fut un cinéma particulièrement morose et pessimiste cette année mais aussi des œuvres exprimant une quête d’amour(s) effrénée et souvent désespérée. Le festival fut, comme chaque année, le révélateur ou la confirmation de grands films et auteurs et le reflet clairvoyant et souvent terrible de la société, une société en perte et quête de repères.

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    Si je devais moi aussi m’attarder sur la géographie des visages comme le fit Gilles Jacob dans son documentaire que je vous recommande vivement «Une journée particulière » (que je remercie au passage de m’avoir fait vivre parmi les plus beaux moments de cette année cinématographique 2012 s’il me fait à nouveau l’honneur de me lire), je retiendrais pêle-mêle : celui de William Hurt dans le film de Sandrine Bonnaire, enragé de douleur indicible, d’amour massacré, de folie désespérée ; le beau visage de Raphaël Personnaz, ravagé par la culpabilité dans « Trois mondes » ; celui d’Isabelle Huppert, fantaisiste et mélancolique à souhait dans le film ludique et rohmerien de Hong Sang-Soo. Celui de Robert Pattinson, judicieusement cynique et sinistre, présent dans tous les plans de « Cosmopolis », une vraie révélation. Celui de Mahmoud, le cavalier de la place Tahrir, dans le sublime et significatif dernier plan de « Après la bataille » ; ceux d’Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant douloureusement enlacés dans leur tendre et ultime amour jusqu’au dernier souffle dans le film d’Haneke. Celui d’Emilie Dequenne sur la musique de Julien Clerc, saisissant de douleur et d’émotion dans "A perdre la raison" (au passage, signalons que face à elle une autre révélation de Cannes, Tahar Rahim est sidérant de justesse et Niels Arestrup plus inquiétant que jamais). Le regard attendrissant, opiniâtre et frondeur de Hushpuppy (incroyable présence et maturité de la jeune Quvenzhané Wallis) qui lutte, et s’invente un univers magique, imprégnant tout le film de son riche imaginaire. Si je devais retenir une musique, ce serait un Impromptu de Schubert que j’aimais déjà tant désormais indissociable du film d’Haneke, infiniment triste et beau. La voix puissante de Beth Ditto à l’ouverture. La musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante dans « Vous n’avez encore rien vu».

    Cliquez ici pour lire mon bilan du Festival de Cannes 2012

    FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

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    Pour la 19ème année consécutive, Deauville fut pour moi un rendez-vous incontournable et cette année une douce parenthèse enchantée. Le tableau de la société américaine dressé par les films en compétition était pourtant souvent sombre là aussi, évoquant la plupart du temps une société qui se déshumanise, aux frontières de l’absurde, une société de solitude(s), parfois même au milieu de la multitude, de personnages en détresse avec, néanmoins, au contraire des films de ces deux dernières années, en commun, une note d’espoir, à leur dénouement… Une édition en tout cas très réussie. Il m’en reste les souvenirs des planches sous un soleil étincelant, presque irréel, toujours auréolées de leur douce mélancolie ; des visages radieux honorés de l’hommage que le festival leur a rendu (Harvey Keitel, William Friedkin, Salma Hayek, Liam Neeson) ; des images de films aussi ( comme celles des excellents « Una noche », « Les bêtes du sud sauvage », « Elle s’appelle Ruby », « The we and the I ») .

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    Malgré tant d’années de festivals, à Deauville et ailleurs, je crois que j’avais oublié à quel point un festival, et celui-ci en particulier, vous éloigne du tumulte de l’existence et du monde, et vous plonge dans un doux cocon d’irréalité qui vous donne l’impression que tout devient possible, y compris que que cinéma et existence s’entrelacent et vous plongent dans un exquis chaos. Cela tombe bien : mon autre coup de cœur de ce festival 2012 (avec « Les Bêtes du Sud sauvage » de Benh Zeitlin, le grand lauréat de cette édition 2012) évoquait les « rêves qui deviennent réalité» et cette danse troublante et périlleuse entre le créateur et sa création, le rêve et la réalité. Il s’agit de « Elle s’appelle Ruby » qui reste d’ailleurs dans mon top 15 de cette année.

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    Cliquez ici pour lire mon bilan du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2012.

    CHAMPS-ELYSEES FILM FESTIVAL

     

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    Cette année 2012 aura aussi vu naître un nouveau festival de cinéma : le Champs-Elysées Film Festival. Rappelons brièvement le principe du Champs-Elysées Film Festival (et rappelons aussi qu’il n’a rien à voir avec l’autre festival de cinéma parisien, LE FESTIVAL PARIS CINEMA qui a fêté cette année ses 10 ans) dont le principe est de proposer des projections dans les salles de cinéma de la plus belle avenue du monde, au total plus de 150, et notamment une sélection de films indépendants américains mais aussi de films sélectionnés aux Oscars ou encore de films sélectionnés par le président d’honneur du Festival, Lambert Wilson. Ce festival a donné lieu à de belles master class et notamment celles de Donald Sutherland ou M.Madsen.

    FESTIVAL INTERNATIONAL DES JEUNES REALISATEURS DE ST-JEAN-DE-LUZ

     

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    Pour la 2ème année consécutive, j’ai ainsi eu le plaisir d’être invitée à Saint-Jean-de-Luz pour le Festival International des Jeunes Réalisateurs qui, comme son nom l’indique (partiellement), a pour (réjouissant) principe de projeter des premiers et deuxièmes films de jeunes (du moins dans leurs carrières) cinéastes. Les 10 films en compétition étaient particulièrement divers dans leurs styles même si s’en dégageaient des thématiques communes : le poids de la religion et des traditions, parfois leurs contradictions, la maladie (physique ou mentale), le deuil, et souvent une forme d’enfermement (dans la religion, la prison, la guerre, la solitude). Des sujets lourds certes mais traités souvent avec dérision, par l’absurde, la poésie et en tout cas la plupart du temps avec beaucoup de sensibilité.

    Le palmarès a couronné les meilleurs films de cette édition avec, néanmoins, un oublié : « Le voyage de Monsieur Crulic » de la cinéaste Roumaine Anca Damian, un film atypique qui mêle fiction, animation, documentaire et qui a d’ailleurs récolté de nombreux prix en festivals de cinéma.

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    LA révélation de cette édition 2012, c’est le film de Sandrine Bonnaire « J’enrage de son absence » (que j’avais vu à Cannes et que j’ai revu avec autant de plaisir et d’émotion). Pour son premier film, dès la première seconde, elle fait preuve d’une maitrise étonnante, d’une manière de nous « impliquer » dans son drame, avec intensité et empathie. La tension est croissante. Le regard à la fois doux et perdu, un peu fou mais surtout fou d’amour et de la rage de l’absence de William Hurt (prix d’interprétation du festival) auquel sa caméra s’accroche souvent, y est pour beaucoup. Sa prestation est une des plus magistrales qu’il m’ait été donné de voir. Son personnage un des plus bouleversants de tendresse, de détresse, d’humanité, aux portes de la folie. Il va peu à peu s’enterrer, se recroqueviller au propre comme au figuré, pour aller au bout de cette détresse. En plus d’être une grande comédienne, Sandrine Bonnaire s’affirme donc ici comme une grande cinéaste en devenir. Elle filme la violence de la douleur avec une rage à la fois douce et âpre, sans jamais lâcher ses personnages tout comme cette douleur absolue ne les lâche jamais. Paradoxalement, un film qui fera du bien à tous ceux qui ont connu ou connaissent la douleur ineffable, étouffante et destructrice du deuil malgré un dernier plan d’une tristesse déchirante.

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    C’est aussi de quête de liberté dont il était question dans le très beau « Syngue Sabour, pierre de patience», réalisation franco-afghane d’Atiq Rahimi (primé en 2004 à Saint-Jean-de-Luz pour « Terres et cendres ») qui a reçu le Chistera du meilleur film avec cette adaptation de son roman.

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    UN NOUVEAU BLOG : INTHEMOODFORFILMFESTIVALS.COM

     

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    Après tant de festivals parcourus, après tant d’années à vivre au rythme de ma passion (et j’espère bien que ce n’est qu’un début), après tant de participations à des jurys de festivals de cinéma (14, désormais, 10 suite à des concours d'écriture et 4 en tant que blogueuse), je crois commencer à bien connaître le sujet des festivals de cinéma et il m’est apparu comme une évidence que je devais créer ce blog pour vous faire partager ces informations et cette passion.

    Je vous invite donc à découvrir ce blog créé en juillet 2012 : In the mood for film festivals ( http://inthemoodforfilmfestivals.com ). Vous y trouverez de nombreux articles mais aussi des bons plans sur tous les festivals de cinéma.

    Ce nouveau blog sera consacré entièrement au Festival de Cannes à partir de la fin mars jusqu’à fin Mai 2013. Ce nouveau blog possède également son compte twitter @moodforfilmfest même si mon compte twitter principal reste @moodforcinema.

    Je vous rappelle aussi que mon blog principal est désormais http://inthemoodlemag.com .

    DE BELLES RENCONTRES, CONFERENCES, INTERVIEWS, MASTER CLASS

     

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    Cette année, j’ai eu le plaisir d’assister à de nombreuses conférences de presse (à Paris, Cannes, Deauville), master class, et de réaliser quelques interviews mais aussi de faire de très belles rencontres (pas forcément évoquées sur le blog). Les plus beaux moments furent sans doute : l’interview de John Malkovich, d’Anthony Delon, la conférence de presse en petit comité de Woody Allen, celle de Michel Bouquet (article à venir concernant cette dernière), et quelques conférences du Festival de Cannes dont celle des lauréats.

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    © Copyright Sandra Mézière (La seule "photo" qui me reste de ma rencontre avec Woody Allen...)

    JOHN MALKOVICH

     

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    Vingt-quatre ans après avoir interprété Valmont dans le magnifique film de Stephen Frears « Les Liaisons dangereuses », adapté du chef d’œuvre éponyme de Choderlos de Laclos, John Malkovich l’a mis cette année en scène au Théâtre de l’Atelier. Une idée qu’il a eue avant même de jouer Valmont dans le film de Stephen Frears, rôle auquel il doit sa notoriété et une interprétation à laquelle les futurs Valmont lui doivent d’être condamnés à une cruelle comparaison tant il est indissociable de ce rôle dans lequel il était aussi époustouflant, charismatique que machiavélique. J’ai eu le plaisir de découvrir la pièce lors de sa répétition générale puis de pouvoir interviewer John Malkovich, après la représentation.

    Ah, ce texte ! Le vertige sensuel, cruel, intemporel des mots, de l’œuvre, sa clairvoyance sur la duplicité des apparences. Un texte bouleversant de lucidité, de beauté, de cruauté, que cette mise en scène singulière, surprenante, a donné, je l’espère, envie de découvrir à ceux qui ne le connaissaient pas encore et qui, peut-être, mésestiment le pouvoir de l’écriture et des mots, peut-être, finalement, les seuls vainqueurs.

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    Cliquez ici pour lire ma critique intégrale de la pièce et le compte-rendu de cette rencontre.

    ANTHONY DELON

     

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    C’est pour la pièce « Panik » que j’ai réalisé une interview impromptue d’Anthony Delon. L’histoire de trois personnages démunis, dans l’air du temps qui vous font oublier celui qui passe et vous interroger sur une époque vorace, cynique, mais surtout sur ce que ces caractéristiques masquent. Une comédie qui vaut surtout par ses trois comédiens particulièrement impliqués et une mise en scène remarquable. Après la représentation, on m’a proposé d’interviewer Anthony Delon. Perfectionniste, j’étais partagée entre l’envie de refuser pour n’avoir pas eu la possibilité de préparer cette interview en raison de son caractère impromptu (et dire qu’il y a tant de questions que, avec le recul, j’aurais aimé lui poser…) et l’envie d’interviewer ce remarquable comédien que l’on réduit encore trop à son nom mais qui a bel et bien une identité et un talent singuliers. Cette interview aura au moins eu le mérite de la spontanéité de l’instant (malgré mes onomatopées redondantes, mes digressions et interventions parfois superflues).

    Cliquez ici pour lire le compte-rendu complet de la pièce et de l'interview.

    THEATRE ENCORE…

    LA COMPAGNIE DES SPECTRES

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    Je tenais à reprendre ici quelques lignes de mon article sur cette pièce en espérant que cela vous incitera à la voir. Jamais larmoyante, la pièce est caustique, tendre parfois, cruelle, lucide, drôle, poignante, et nous emporte dans son tourbillon pour nous laisser bouleversés, songeant à nos propres spectres, à la nécessité, parfois, de laisser ou faire tomber les masques et surtout, malgré leur poids, à la nécessité de « se souvenir des terribles choses », nous laissant aussi avec en tête, le souvenir de cette interprétation exceptionnelle et bouleversante de Zabou Breitman (et qui m’a éblouie et terrassée), ce tourbillon de colère, de vie, de folie, de révolte et, enfin, avec le souvenir d’une citation comme une note d’espoir désenchantée : «Vous pouvez tout emporter, vous n’emporterez jamais nos désirs ! ».

    Cliquez ici pour lire ma critique complète de la pièce

    UN CHAPEAU DE PAILLE D’ITALIE

     

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    C’est mon troisième coup de cœur théâtral de l’année avec « Les Liaisons dangereuses » et « La Compagnie des spectres ».

    2H30 incroyables (presque trop courtes !), une satire burlesque et enchantée, extravagante, poétique comme un film de Kaurismäki, délirante, déjantée et musicale comme un film de Kusturica, d’une absurdité irrésistible comme un film de Tati mais une absurdité signifiante comme un livre de Ionesco, qui vous fera faire un tour de manège étourdissant, avec de formidables comédiens dont l’étendue du talent a rarement été aussi bien exploitée grâce à une mise en scène qui transcende un texte intemporel et une confirmation, une révélation pour certains : Pierre Niney,Impressionnant. Epoustouflant. « Prodigieux » comme je l’ai entendu à l’entracte. Les adjectifs me manquent. Comme si De Funès avait rencontré Belmondo et comme s’ils avaient créé ce talent unique qui ne ressemble d’ailleurs ni à l’un ni à l’autre mais rappelle le premier par une mécanique de drôlerie très particulière, et le second par l’énergie et la modernité singulières de son jeu…et avec un zeste de Buster Keaton pour le mélange de burlesque et poésie. Oui, rien que ça. J’ai rarement vu une telle performance qui est d’autant plus impressionnante qu’elle semble être réalisée avec une facilité déconcertante. Il chante, danse, saute, s’énerve, minaude, charme, s’échappe, revient, fait des sauts insensés…le tout avec une ingénuité remarquable. Ce n’est évidemment pas seulement une performance physique mais ça l’est aussi. La vivacité et la précision de son jeu, et de ses gestes, renforcent la modernité et le caractère intemporel de la pièce. Ne serait-ce que pour dire deux fois de manières très différentes et tout aussi irrésistibles, « Le dévouement est la plus belle coiffure d’une femme », réplique déjà drôle en elle-même, il montre l’étendue de son jeu. Le rôle nécessite déjà une énergie débordante mais la mise en scène ne lui facilite vraiment pas la tâche se terminant par des obstacles infranchissables pour le commun des mortels. Si vous voulez le voir au cinéma, il est actuellement à l’affiche dans l’excellent « Comme des frères » et prénommé aux César comme meilleur espoir après une nomination pour « J’aime regarder les filles » l’an dernier, et également nommé aux prix Lumières 2013 et parmi les trois nommés au prix Patrick Dewaere 2013. C’est beaucoup me direz-vous mais c’est mérité, à le voir dans ce rôle qu’il sublime réellement, auquel il apporte modernité, ingénuité et énergie doucement folles. Chaque comédien apporte néanmoins sa pièce à cet édifice respectant ainsi la devise latine de la Comédie Française « Simul et singulis » (« Ensemble et singuliers »). . J’ai passé un moment magique qui m’a fait oublier les vicissitudes de l’existence et qui m’a en même temps rappelé mon amour immodéré du théâtre, et son pouvoir magique, justement, qui consiste notamment à nous permettre d’être ainsi en même temps magnifiquement là et sublimement ailleurs. Vraiment. Alors, ne laissez pas passer cette chance de le vivre vous aussi puisque la pièce est à l’affiche jusqu’en janvier.

    Cliquez ici pour accéder à ma critique complète de la pièce.

    UN PEU DE MUSIQUE

    Si je ne devais que garder 5 musiques pour faire la bande-son de cette année, ce serait :

    -You and You (découvert au Mathurin Live Contest)

    -Archimède (Les Lavallois qui prennent leur envol et à qui j’ai consacré un article ici )

    -Revolver (pas seulement parce qu’ils signent la bo d’un de mes coups de coeur cinématographique de l’année précité)

    - La BO des Bêtes du Sud sauvage (une musique qui exacerbe la force lyrique et poétique de ce sublime film, également dans mon top 15 de l'année)

    -Lou Doillon (la découverte 2012)

    EN ROUTE POUR 2013

    2013 sera plus que jamais pour moi une année cinématographique, je compte en tout cas tout faire pour.. De nouvelles voies professionnelles s’ouvrent à moi et d'enthousiasmantes sollicitations dont j'espère qu'elles aboutiront même si je ne peux vous en parler pour l’instant.

    J’ai par ailleurs désormais un agent .

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    Mon recueil en ligne sur MyMajorCompany est toujours ouvert à l’édition participative et que ce projet puisse voir le jour ou non, cela ne m’empêchera pas de continuer à me consacrer à ma passion dévorante pour l’écriture.

    Quelques textes seront d’ailleurs mis en ligne ailleurs (je vous en dirai plus prochainement) notamment ceux avec lesquels j'ai remporté des concours de nouvelles, comme celui-ci en début d'année. En attendant, vous pouvez toujours soutenir mon projet sur MyMajorCompany.

    Je compte aussi développer un concept en lien avec mon site Inthemoodforluxe.com (mais pour l'instant, je suis encore en quête de financements) parce que c’est grâce à ce site que je peux rester libre, et continuer à faire de mon mieux pour vous livrer un contenu de qualité (ou du moins que j'espère tel) sur mes 5 blogs cinéma. Au passage, sachez que vous pouvez actuellement y gagner deux séjours vip dans des hôtels "in the mood for luxe" et des cocktails à l'hôtel Scribe.

    J’en profite d’ailleurs pour lancer un appel puisque je recherche des partenariats notamment pour le Festival de Cannes 2013.

    En 2013, plus que jamais, j'espère donc continuer à vivre de mes passions pour le cinéma et l'écriture, avec le même enthousiasme et la même liberté, ici ou ailleurs, de continuer à pouvoir raconter des histoires réelles ou fictives.

    TOP 15 de l’année cinéma 2012

     

     

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    Dans ce top 15, je réalise que trois films exploitent et exaltent le pouvoir de l’art, des mots et de l’écriture : « Vous n’avez encore rien vu », « Elle s’appelle Ruby », « Dans la maison ». Un classement que j'ai eu beaucoup de mal à mettre dans un ordre particulier et qui pourrait s'inverser demain parce qu’il m’est impossible de choisir entre des films si différents, en revanche si je devais choisir le film de l’année, celui qui m’a le plus transportée, émue, éblouie, ce serait sans doute « Vous n’avez encore rien vu » d’Alain Resnais.

    Plusieurs premiers films dans ce classement : « Louise Wimmer », « J’enrage de son absence », « Les Bêtes du Sud sauvage » et « Comme des frères », quatre révélations dans des genres très différents mais trois films coups de cœur et de poing à leur manière.

    Il n’y a pas de critères objectifs qui ont guidé le choix de ces 15 films si ce ne sont ceux de l’empreinte laissée, de l’émotion sur le moment et/ou de la réflexion, des qualités de réalisation, de scénario, de jeu… et parfois tout cela à la fois pour certains. J’espère qu’une sélection aux César permettra à certains de connaître le succès qu’ils auraient mérité et à côté duquel ils sont passés. Je pense notamment à « Une bouteille à la mer » et "Louise Wimmer". Retrouvez mon top 15 ci-dessous avec les critiques des films et vos commentaires et classements sont les bienvenus dans les commentaires.

     

    1. « Vous n’avez encore rien vu » d’Alain Resnais

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    Disons-le d’emblée, le film d’Alain Resnais était mon énorme coup de cœur de cette édition 2012 du Festival de Cannes avec « A perdre la raison » de Joachim Lafosse (section Un Certain Regard) et « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire (Semaine de la Critique). Bien sûr, il est difficile d’évincer (et de comparer) avec « Amour » et « De rouille et d’os » qui m’ont également enthousiasmée mais ce film a (et a suscité) ce quelque chose en plus, cet indicible, cet inexplicable que l’on pourrait nommer coup de foudre.

    Après tant de grands films, des chefs d’œuvres souvent même, Alain Resnais prouve une nouvelle fois qu’il peut réinventer encore et encore le dispositif cinématographique, nous embarquer là où on ne l’attendait pas, jouer comme un enfant avec la caméra pour nous donner à notre tour ce regard d’enfant émerveillé dont il semble ne s’être jamais départi. A bientôt 90 ans, il prouve que la jeunesse, l’inventivité, la folie bienheureuse ne sont pas questions d’âge.

    Antoine, homme de théâtre, convoque après sa mort, ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’Eurydice, pièce qu’il a écrite. Il a enregistré, avant de mourir, une déclaration dans laquelle il leur demande de visionner une captation des répétitions de cette pièce: une jeune troupe lui a en effet demandé l’autorisation de la monter et il a besoin de leur avis.

    Dès le début, la mise en abyme s’installe. Les comédiens appelés par leurs véritables noms reçoivent un coup de fil leur annonçant la mort de leur ami metteur en scène. Première répétition avant une succession d’autres. Puis, ils se retrouvent tous dans cette demeure étrange, presque inquiétante, tel un gouffre un peu morbide où leur a donné rendez-vous Antoine. Cela pourrait être le début d’un film policier : tous ces comédiens réunis pour découvrir une vérité. Mais la vérité qu’ils vont découvrir est toute autre. C’est celle des mots, du pouvoir et de la magie de la fiction.

    Puis, se passe ce qui arrive parfois au théâtre, lorsqu’il y a ce supplément d’âme, de magie (terme que j’ai également employé pour « Les bêtes du sud sauvage« , autre coup de coeur de 2012, mais aussi différents soient-ils, ces deux films ont cet élément rare en commun), lorsque ce pouvoir des mots vous embarque ailleurs, vous hypnotise, vous fait oublier la réalité, tout en vous ancrant plus que jamais dans la réalité, vous faisant ressentir les palpitations de la vie.

    En 1942, Alain Resnais avait ainsi assisté à une représentation d’ « Eurydice » de Jean Anouilh de laquelle il était sorti bouleversé à tel point qu’il avait fait deux fois le tour de Paris à bicyclette. C’est aussi la sensation exaltante que m’a donné ce film!

    Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Mais surtout Alain Resnais nous livre ici un film inventif et ludique. Il joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace (usant parfois aussi du splitscreen entre autres « artifices »). Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Rarement, je crois, j’aurais ainsi été émue et admirative devant chaque phrase prononcée quel que soit le comédien. A chaque fois, elle semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Au premier rang de cette distribution (remarquable dans sa totalité), je citerai Pierre Arditi, Lambert Wilson, Anne Consigny, Sabine Azéma mais en réalité tous sont extraordinaires, aussi extraordinairement dirigés.

    C’est une des plus belles déclarations d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Contrairement à ce qui a pu être écrit ce n’est pas une œuvre posthume mais au contraire une mise en abyme déroutante, exaltante d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est de toutes façons transcendée. C’est aussi la confrontation entre deux générations ou plutôt leur union par la force des mots. Ajoutez à cela la musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante et vous obtiendrez un film inclassable et si séduisant (n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur).

    Ce film m’a enchantée, bouleversée, m’a rappelé pourquoi j’aimais follement le cinéma et le théâtre, et les mots. Ce film est d’ailleurs au-delà des mots auquel il rend pourtant un si bel hommage. Ce film aurait mérité un prix d’interprétation collectif, un prix de la mise en scène…et pourquoi pas une palme d’or (il est malheureusement reparti bredouille du palmarès de ce Festival de Cannes 2012) ! Ces quelques mots sont bien entendu réducteurs pour vous parler de ce grand film, captivant, déroutant, envoûtant, singulier. Malgré tout ce que je viens de vous en dire, dîtes-vous que de toutes façons, « Vous n’avez encore rien vu ». C’est bien au-delà des mots. Et espérons que nous aussi nous n’avons encore rien vu et qu’Alain Resnais continuera encore très longtemps à nous surprendre et enchanter ainsi. Magistralement.

    2. « A perdre la raison » de Joachim Lafosse

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    Présenté au Festival de Cannes 2012 dans la sélection Un Certain Regard dans le cadre de laquelle je l’ai découvert, puis en avant-première au Festival Paris Cinéma où je l’ai revu (avec la même émotion), « A perdre la raison » est un des grands chocs cinématographiques de cette année 2012, et même sans doute le seul film de cette année auquel sied le substantif « choc ». Peut-être équivalent à celui éprouvé à la fin de « Melancholia « , l’année précédente. C’est dire ! Même si le film de Joachim Lafosse ne va pas jusqu’à relever de l’expérience comme celui de Lars Von Trier, il vous laisse avec une émotion dévastatrice et brutale, une réflexion aussi, qui vont bien au-delà de la salle de cinéma.

     

    Murielle (Emilie Dequenne) et Mounir (Tahar Rahim) s’aiment passionnément. Elle est belle, féminine, joyeuse, lumineuse. Il est incontestablement charmant. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget (Niels Arestrup), qui lui assure une vie matérielle aisée après s’être marié avec la sœur marocaine de celui-ci, pour lui permettre d’avoir des papiers. Murielle et Mounir décident de se marier. D’abord, réticent, le Docteur accueille la jeune femme chez lui. Le jeune couple n’en déménagera jamais, pas plus à la suite des 4 grossesses de la jeune femme. Une dépendance s’installe. Le climat affectif devient irrespirable. L’issue tragique est alors inéluctable…

     

    Joachim Lafosse ne laisse d’ailleurs planer aucun doute sur celle-ci. Dès les premiers plans, Murielle est à l’hôpital et demande à ce qu’ils soient « enterrés au Maroc ». Puis, 4 petits cercueils descendent d’un avion sur le territoire marocain. Entre ces deux plans, Mounir et le Docteur Pinget s’étreignent chaleureusement. La succession de ces trois scènes est d’autant plus cruelle, terrible et bouleversante, a posteriori.

     

    Le film, lui aussi, vous étreint dès ces premiers plans pour ne plus vous lâcher, pourtant Joachim Lafosse ne recourt à aucune facilité pour cela : aucun sensationnalisme, pas plus qu’une photographie sombre annonciatrice du drame à venir. Non, il a eu l’intelligence de recourir à une mise en scène sobre, baignée d’une lumière crue, parfois éblouissante, qui rend d’autant plus terrible la noirceur dans laquelle se retrouve plongée Murielle, et celle du geste qu’elle accomplira. Seul le cadre légèrement chancelant (avec ces plans de portes en amorce, comme si quelqu’un, constamment, dominait, surveillait, instillant une impression malsaine mais impalpable), les gros plans qui enserrent les personnages, les plans séquences qui suggèrent le temps qui s’étire, et quelques plans significatifs comme celui de Murielle en Djellaba, hagarde, à l’extérieur mais filmée derrière une fenêtre à barreaux, laissent entendre qu’elle est emmurée, oppressée, que l’étau se resserre.

     

    Il en fallait du talent, de la délicatesse, pour réussir un film, sur un tel sujet, rendre envisageable l’impensable, sans doute le crime le plus terrible qui soit : l’infanticide. Nous faire comprendre comment cette femme va perdre sa liberté, une raison d’être, et la raison. Du talent dans l’écriture d’abord : le scénario de Joachim Lafosse, Matthieu Reynaert et Thomas Bidegain qui avait nécessité 2 ans et demi d’écriture pour adapter très librement ce fait divers survenu en Belgique en 2007, l’affaire Geneviève Lhermitte, est particulièrement habile, maniant les ellipses et se centrant sur ses trois personnages principaux, aussi passionnants que, chacun à leur manière, terrifiants. Les dialogues sont concis et précis, comme les phrases assénées par Pinget à Murielle qui peuvent sembler tendrement réprobatrices ou terriblement injustes et cruelles selon la perception de la jeune femme. Tout est question de point de vue, de perception, et la nôtre est subtilement amenée à être celle de Murielle, ce qui rend la scène finale (judicieusement hors-champ) d’autant plus brutale. Dans la réalisation évidemment, évoquée précédemment. Dans le choix de la musique qui intervient à chaque transgression.

     

    Dans l’interprétation enfin. Et quelle(s) interprétation(s) ! D’abord, le duo Arestrup- Rahim reformé trois ans après un « Prophète », et leurs prix d’interprétation respectifs. Niels Arestrup est parfait en père de substitution à la présence envahissante, à la générosité encombrante, d’une perversité insidieuse, sachant obtenir tout ce qu’il veut, comme un enfant capricieux et colérique.

     

    Face à lui, Tahar Rahim prouve une nouvelle fois que ses deux prix aux César (meilleur acteur, meilleur espoir) n’étaient nullement usurpés, toujours ici d’une justesse remarquable; il prouve aussi une nouvelle fois l’intelligence de ses choix artistiques. D’abord charmant, puis irascible, un peu lâche, velléitaire, sans être vraiment antipathique, il est lui aussi emmuré dans la protection et le paternalisme ambigu de Pinget, ne voyant pas ou préférant ne pas voir la détresse dans laquelle s’enferme sa femme. (cf aussi ma critique de « Or noir » et celle du film « Les hommes libres »).

     

    Que dire d’Emilie Dequenne ? Elle est sidérante, époustouflante, bouleversante en Médée moderne. Il faudrait inventer des adjectifs pour faire l’éloge de sa prestation. D’abord si lumineuse, elle se rembrunit, s’enlaidit, s’assombrit, se renferme sur elle-même pour plonger dans la folie. Ce n’est pas seulement une affaire de maquillage comme cette scène où elle est à un spectacle de sa fille, outrageusement maquillée, et où ses réactions sont excessives. Non, tout en elle incarne sa désincarnation progressive, cette raison qui s’égare : sa démarche qui en devient presque fantomatique, son regard hagard, ses gestes hâtifs ou au contraire si lents, en tout cas désordonnés. Elle parvient à nous faire croire à l’incroyable, l’impensable ; comment ce personnage lumineux peut s’aliéner et accomplir un acte aussi obscur. Et puis il y a cette scène dont tout le monde vous parlera, mais comment ne pas en parler, tant elle y est saisissante d’émotion : ce plan-séquence où elle chante et pleure en silence, dans sa voiture sur la musique de Julien Clerc. Elle a reçu le prix d’interprétation Un Certain Regard pour ce film. Gageons que ce ne sera pas le dernier.

     

    Lafosse dissèque les rapports de pouvoir entre ces trois êtres, fascinants et terrifiants, métaphore d’un colonialisme dont l’aide est encombrante, oppressante, rendant impossible l’émancipation. La famille devient un Etat dictatorial si bien que le Maroc dont ont voulu absolument fuir Mounir et sa famille apparaît comme le paradis pour Murielle, et ressemble à un Eden onirique dans la perception qui nous est donnée, la sienne. Il y a un soupçon de Dardenne dans cette empathie pour les personnages dont Lafosse tente de comprendre et d’expliquer tous les actes, même les inexplicables, même le pire, même l’ignominie. Du Chabrol aussi dans cette plongée dans les travers de la bourgeoisie, ses perversions, sa fausse affabilité. Et même du Clouzot dans ce diabolisme insidieux. Mais surtout une singularité qui fait que Joachim Lafosse, aucunement moralisateur, est un vrai cinéaste avec son univers et son point de vue propres.

     

    Si vous ne deviez voir que trois films cette année, celui-ci devrait sans aucun doute en faire partie. Bouleversant, il vous hantera et questionnera longtemps après cette plongée étouffante, palpitante et brillante dans cette cellule familiale (la bien nommée) et dans la complexité des tourments de l’âme humaine et vous laissera avec le choc de ce dénouement annoncé mais non moins terrassant.

    3. Les Bêtes du sud sauvage" de Benh Zeitlin

     

    « Quand le cinéma est beau comme le vôtre, quand les films sont beaux comme le vôtre, cela rassemble », avait déclaré la présidente du jury Sandrine Bonnaire lors de la cérémonie du palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2012 lors de laquelle le film avait été couronné du Grand Prix et du prix de la révélation Cartier. C'est en effet un des pouvoirs magiques du cinéma que de pouvoir rassembler ainsi des spectateurs différents dans un tourbillon d'émotions agréablement dévastateur.

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    Ci-dessus, Benh Zeitlin, lors de la cérémonie du palmarès de Deauville (photo inthemoodfordeauville.com )

    A Cannes, déjà, où je l'avais manqué et où le film a notamment été couronné de la caméra d’or, c’était une incessante litanie « il faut voir Les Bêtes du Sud sauvage ». Alors, ce film méritait-il autant de louanges et autant de prix ?

    « Les Bêtes du Sud sauvage » est le premier long-métrage de Benh Zeitlin adapté de « Juicy and Delicious», une pièce écrite par Lucy Alibar, une amie de Benh Zeitlin qui a coécrit le scénario avec lui. Il se déroule dans le Sud de la Louisiane, dans le bayou, «le « bathtub », une terre sauvage et âpre où vit Hushpuppy (Quvenzhané Wallis), une petite fille de 6 ans et son père Wink (Dwight Henry). Soudain cette nature rebelle s’emballe, les glaciers fondent, des aurochs apparaissent, le monde s’effondre pour Hushpuppy (la nature qui l’environne mais aussi le sien, son monde, puisque la santé de son père décline) ; elle va alors partir à la recherche de sa mère.

    Ne vous fiez pas à mon synopsis réducteur car ce film possède tout ce qu’un synopsis ou une critique ne pourront jamais refléter. Il en va ainsi de certains films, rares, comme de certaines personnes qui possèdent ce charme indescriptible, cette grâce ineffable, ce supplément d’âme que rien ni personne ne pourront décrire ni construire car, justement, il n’est pas le fruit d’un calcul mais une sorte de magie qui surgit presque par miracle (et sans doute grâce à la bienveillance et la sensibilité du regard du cinéaste) comme celle qui peuple les rêves de Hushpuppy.

    Dès les premières secondes, malgré la rudesse de la vie qu’il décrit, malgré l’âpreté de cette terre et celle du père de Hushpuppy, ce film vous séduit et vous emporte pour ne plus vous lâcher. C’est à travers les yeux innocents et l’imagination débordante de Hushpuppy que nous sommes embarqués dans cette histoire guidés par sa voix qui nous berce comme un poème envoûtant.

    La vie grouille, palpite, dans chaque seconde du film, dans cet endroit où elle est (et parce qu'elle est) si fragile, son cœur bat et résonne comme celui de ces animaux qu’écoute Hushpuppy pour, finalement, faire chavirer le vôtre. Un monde qu'il donne envie de préserver avant que les marées noires ne le ravagent et que la magie n'en disparaisse à jamais.

    Son monde est condamné mais Hushpuppy (incroyable présence et maturité de la jeune Quvenzhané Wallis) , avec son regard attendrissant, opiniâtre et frondeur résiste, lutte, et s’invente un univers magique où le feu s’allume au passage d’une belle femme, où elle résiste aux aurochs du haut de ses 6 ans. Benh Zeitlin filme à hauteur d'enfant et du regard d'Hushpuppy imprégnant tout le film de son riche imaginaire.

    Film inclassable : autant une histoire d’amour ( d’un réalisateur pour une terre sauvage et noble qui se confond avec la mer dans un tumulte tourmenté que pour ses habitants, fiers et courageux viscéralement attachés à leur terre mais aussi d’une fille pour son père et réciproquement dont les relations sont faites de dureté attendrissante), fantastique ou fantasmagorique que conte philosophique et initiatique, « Les bêtes du sud sauvage » est aussi un poème onirique qui mêle majestueusement tendresse et rudesse (des êtres, de la terre), réalité et imaginaire, violence (des éléments) et douceur (d’une voix), dureté et flamboyance (comme lors de ce défilé d'une gaieté triste pour célébrer la mort). Voilà, ce film est beau et contrasté comme un oxymore.

    Un film d'une beauté indescriptible, celle des êtres libres, des êtres qui résistent, des êtres qui rêvent, envers et contre tout, tous et cela s’applique aussi bien au film qu’à celui qui l’a réalisé avec un petit budget et des acteurs non professionnels sans parler des conditions de tournage puisque l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP s’est produite le premier jour du tournage le 20 avril 2010.

    Un film universel, audacieux et dense, un hymne à la vie et l’espoir, au doux refuge de l'imaginaire aussi quand la réalité devient trop violente, un film d’une beauté âpre et flamboyante qui vous emmènera loin et vous accompagnera longtemps comme cette voix (texte de la voix off dit par Hushpuppy magnifiquement écrit), ce regard et cette musique qui reflètent ce mélange de force et de magie, de grâce et de détermination ( une musique dont Benh Zeitlin est le coauteur, elle fut même utilisée pour la campagne d’Obama) et, à l'image de son affiche, un feu d'artifices d'émotions. Un film rare qui méritait indéniablement son avalanche de récompenses.

    4. Une bouteille à la mer » de Thierry Binisti

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    J’ai découvert ce film lors du dernier Festival des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean de Luz dans le cadre duquel il était présenté en compétition et où il a d’ailleurs remporté le prix du meilleur film (Chistera d’or). Un vrai coup de cœur. Un coup de foudre, même. Malheureusement, je n’avais pas rédigé de critique à l’époque ou quelques lignes trop brèves. Je n’ai pas la possibilité de le revoir cette semaine mais je vous livrerai une critique plus longue dès que je pourrai retourner le voir. En attendant, ci-dessous, quelques mots qui, je l’espère, vous inciteront à découvrir ce film magnifique et rare.

     

    Adapté du roman de Valérie Zenatti « Une bouteille à la mer de Gaza », c’est l’histoire de Tal (Agathe Bonitzer), une jeune Française installée à Jérusalem avec sa famille. A dix-sept ans, elle a l’âge des premières fois : premier amour, première cigarette, premier piercing. Et premier attentat, aussi. Après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, elle écrit une lettre à un Palestinien imaginaire où elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine peut régner entre les deux peuples. Elle glisse la lettre dans une bouteille qu’elle confie à son frère pour qu’il la jette à la mer, près de Gaza, où il fait son service militaire.

     

    « Je m’appelle Tal Lévine, j’ai bientôt 17 ans et j’habite Jérusalem.

     

    Hier soir, il y a eu un attentat près de chez moi […]

     

    Toi qui trouveras cette bouteille, réponds-moi.

     

    Dis-moi où tu l’as trouvée. Qui tu es. Parle-moi de toi. S’il te plaît. »

     

    Quelques semaines plus tard, Tal reçoit une réponse d’un mystérieux « Gazaman » (Mahmoud Shalaby)… Va alors débuter un échange épistolaire d’abord constitué de doutes, de reproches, d’incompréhension mais qui va finalement les mener sur le chemin d’une liberté et d’une réconciliation apriori impossibles.

     

    Je vous avais déjà parlé du travail de Thierry Binisti à l’occasion de la diffusion du docu-fiction « Louis XV, le soleil noir » qu’il avait réalisé pour France 2 et par lequel j’avais été très agréablement surprise et charmée : un divertissement pédagogique passionnant, de très grande qualité, aussi bien dans le fond que dans la forme, une immersion dans les allées tumultueuses de Versailles et dans les mystérieux murmures de l'Histoire, dans le bouillonnant siècle des Lumières et dans la personnalité tourmentée de Louis XV. Les similitudes entre ce téléfilm et « Une bouteille à la mer » sont d’ailleurs assez nombreuses, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer : Versailles, une prison (certes dorée) pour Louis XV comme peut l’être Gaza pour Naïm, un portrait nuancé de Louis XV comme le sont ceux de Naïm et Tal, une combinaison astucieuse entre fiction et documentaire ( Certaines séquences d’« Une bouteille à la mer » sont ainsi des images d’actualité provenant d’archives diffusées par les médias, comme celles sur la grande manifestation commémorant l’anniversaire de la mort de Yitzhak Rabin filmée sur la place des Rois, au milieu de milliers d’Israéliens manifestant leur désir de paix ) permettant d’explorer le politique et l’intime, l’importance du lieu qui cristallise les tensions et les émotions.

     

    Tout comme le docu-fiction évoqué ci-dessous, « Une bouteille à la mer » ne laisse pas place à l’approximation. Le sujet est ainsi particulièrement documenté, l’auteure Valérie Zenatti (auteure du roman éponyme et coauteure du scénario) a d’ailleurs passé son adolescence en Israël. Il faut d’ailleurs souligner le formidable travail d’adaptation de ce roman épistolaire, genre particulièrement périlleux à adapter. Valérie Zenatti et Thierry Binisti ont fait de ce qui aurait pu être un inconvénient un atout : ces deux voix qui se répondent, à la fois proches et parfois si lointaines, se font écho, s’entrechoquent, se confrontent et donnent un ton singulier au film, grâce à une écriture belle et précise, et sont ainsi le reflet de ces deux mondes si proches et si lointains qui se parlent, si rarement, sans s’entendre et se comprendre.

     

    Un autre grand atout du film est que Thierry Binisti ne tombe jamais dans l’angélisme ni la diabolisation de l’un ou l’autre côté du « mur ». Il montre au contraire Palestiniens et Israëliens, par les voix de Tal et Naïm, si différents mais si semblables dans leurs craintes et leurs aspirations, et dans l’absurdité de ce qu’ils vivent. Il nous fait tour à tour épouser le point de vue de l’un puis de l’autre, leurs révoltes, leurs peurs, leurs désirs finalement communs, au-delà de leurs différences, si bien que nous leur donnons tour à tour raison. Leurs conflits intérieurs mais aussi au sein de leurs propres familles sont alors la métaphore des conflits extérieurs qui, paradoxalement, les rapprochent.

     

    Agathe Bonitzer, grave et candide, épouse parfaitement la belle maturité de son jeune personnage et, face à elle, Mahmoud Shalaby est bouleversant de douceur et de rage mêlées (vous aviez pu le découvrir dans « Les Hommes libres » d'Ismaël Ferroukhi).

     

    La sensibilité avec laquelle ce sujet justement sensible est évoqué rend probable une histoire a priori impossible entre ces deux êtres que tout sépare, pour qui la vie tient à ça : « avoir envie d’aller ou pas au café d’en bas ». Une violence cruellement quotidienne, ce qui ne les empêche pas d’être épris de vie et de désirs, de rêves et d’aspirations, ce que montre très bien ce film à hauteur d’hommes qui, par la « petite » histoire permet d’appréhender la grande. La caméra est au plus près des êtres, de leurs émotions, de leur rage, leurs désirs, leurs douleurs, leur éveil (à la politique, à l’amour) et se fait « carcérale » pour suivre Naïm emprisonné dans les 370 km2 de Gaza (pour 1,6 millions d’habitants !).

     

    Cela commence par le fracas tétanisant d’une bombe et s’achève par une lumière d’espoir bouleversante, un dénouement fiévreux d’une tension palpitante.

     

    Ce dame cornélien, au sens littéral, concilie l’impossible, la douceur et l’âpreté, la modernité des emails et l’archaïsme romanesque de la bouteille à la mer, le romantisme (ou en tout cas le romanesque) et la politique, la raison et les sentiments. Des « liaisons dangereuses » qui possèdent la beauté tragique du roman éponyme de Laclos, outre le fait d’avoir en commun le style épistolaire.

     

    C’est un hymne à la paix et à la tolérance mais aussi au pouvoir et à la magie des mots qui peuvent unir, réunir ceux que tout oppose, si ce n’est leur aspiration à la liberté. Ce sont finalement leurs différences et leur jeunesse qui les réunissent. C’est d’ailleurs la langue, le Français, qui sert de terrain neutre, de pont entre eux. C’est ainsi au Centre Culturel Français de Gaza que s’évade Naïm et ose croire à la liberté, à un avenir meilleur.

     

    Ce film réunit tout ce que j’aime dans le cinéma : une histoire d’amour ou en tout cas d’amitié, apriori impossible, un propos engagé, une réalisation maîtrisée, des acteurs époustouflants, un style épistolaire que et qui sublime(nt) les mots. De l’émotion. De l’espoir. Sans mièvrerie, mais avec beaucoup de sensibilité et de pudeur (aucun cliché, aucune volonté de forcer l’émotion, pourtant ravageuse).

     

    Ce film m’a bouleversée comme je l’ai rarement été ces derniers temps au cinéma. Un film intense d’une douce gravité qui possède et concilie la fraîcheur et l'incandescence de ses jeunes interprètes. Une brillante métaphore d’un conflit a priori insoluble auquel il apporte un vibrant message d’espoir. Un film plus convaincant que n'importe quel discours politique. Deux personnages bouleversants que la réalisation et la direction d’acteurs nous font prendre en empathie ainsi que ceux qui subissent la même situation. Une bouteille à la mer qui nous fait croire à l’impossible. Que des bouteilles à la mer peuvent arriver à destination. Réunir ceux que tout oppose. Et que des milliers de bouteilles, un jour, peut-être, arriveront à faire entendre leurs voix pacifistes et arriveront à briser le fracassant et assourdissant silence après les tonitruantes explosions de terreur et de haine. Un film ensorcelant, poignant comme un poème entremêlant tragédie et espoir, et les réunissant par la beauté lumineuse et clairvoyante des mots. Mon coup de coeur de ce début d'année 2012.

     

    « Une bouteille à la mer » a également été récompensé dans d’autres festivals que celui de Saint-Jean de Luz et en particulier au Festival du film de La Réunion 2011 où il a reçu le Prix du Public ;le Prix Coup de cœur du Jury Jeune ;le Mascarin de la meilleure interprétation masculine à Mahmoud Shalaby.

    5. J'enrage de son absence" de Sandrine Bonnaire

     

    Sandrine Bonnaire nous avait déjà bouleversés avec son documentaire consacré à sa sœur autiste, « Elle s’appelle Sabine », un documentaire ni larmoyant ni complaisant, deux écueils dans lesquels il aurait été si facile de tomber. Il s’agissait alors d’un véritable plaidoyer pour la mise en place de structures d’accueil pour les handicapés, aussi un hommage à ceux qui les encadrent, c’était aussi une véritable déclaration d’amour de Sandrine Bonnaire à sa sœur, un cri du cœur déchirant pour celle que 5 années d’hôpital psychiatrique changèrent à jamais mais qui joue un prélude de Bach avec la même facilité sidérante que des années auparavant. Sandrine Bonnaire parvient à nouveau, magistralement, à nous bouleverser avec son premier long-métrage de fiction, en salles le 31 octobre.

     

    Je l’ai découvert dans le cadre de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2012 et revu la semaine dernière au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz où il était présenté en compétition et où William Hurt a reçu le prix d’interprétation masculine.

     

    Sandrine Bonnaire et Alexandra Lamy seront, ce soir, sur France 2, les invités de l’excellente émission « Grand Public » (l’émission sur la culture qui manquait jusqu’alors, à la fois grand public, documentée, distrayante et instructive), interviewées par Aïda Touihri. Retrouvez également ma critique du film ci-dessous ainsi que mes vidéos de présentation du film réalisées à Cannes et Saint-Jean-de-Luz.

    Ce film nous raconte l’histoire d’un couple, Jacques (William Hurt) et Mado (Alexandra Lamy), dont le fils est décédé accidentellement, quelques années auparavant. Lorsqu’ils se retrouvent, le père devient obsédé par le petit garçon de 7 ans que Mado a eu d’une autre union. Entre cet homme et ce petit garçon, un lien fort et inquiétant se crée dans le secret d’une cave.

     

    Sandrine Bonnaire, pour son premier film, dès la première seconde, fait preuve d’une maitrise étonnante, d’une manière de nous « impliquer » dans son drame, avec intensité et empathie.

     

    Le regard à la fois doux et perdu, un peu fou mais surtout fou d’amour et de la rage de l’absence, de William Hurt auquel sa caméra s’accroche souvent, y est pour beaucoup. Sa prestation (à juste titre récompensée à Saint-Jean-de-Luz) est une des plus magistrales qu’il m’ait été donné de voir et son personnage, aux portes de la folie, un des plus bouleversants de tendresse, de détresse, d’humanité. Il va peu à peu s’enterrer, se recroqueviller au propre comme au figuré, pour aller au bout de cette détresse. Quant à Augustin Legrand, il impose une belle et forte présence sans oublier le jeune Jalil Meheni, bouleversant dans la tendresse qu’il témoigne à ce deuxième père interprété par William Hurt.

     

    Jamais Sandrine Bonnaire ne tombe dans le pathos, toujours à hauteur de ses personnages, de leur cauchemar dans lequel elle nous enferme peu à peu, créant une tension croissante, bientôt suffocante. Elle ne juge jamais ses personnages mais les comprend, les suit pas à pas dans cette descente aux enfers.

     

    Ce sont aussi deux appréhensions du deuil. L’un qui tait sa douleur et l’autre qui la fait exploser, descend jusqu’au plus profond de celle-ci. Deux personnages abîmés par les terribles vicissitudes de l’existence et d’autant plus humains et touchants.

     

    Sandrine Bonnaire, si elle a certainement appris beaucoup avec tous les grands cinéastes avec lesquels elle a tournés (le prénom de Mado fait ainsi songer au film éponyme de Claude Sautet, d’ailleurs ce mélange des genres peut aussi faire penser à « Quelques jours avec moi » de ce même cinéaste, un film dans lequel Sandrine Bonnaire était d’ailleurs magistrale ; elle filme par ailleurs souvent la nuque et le dos d’Alexandra Lamy comme Claude Sautet avait coutume de le faire, notamment avec Romy Schneider), elle impose, dès son premier film, un style bien à elle, et surtout un regard et un univers, marques des grands cinéastes que d’imposer ainsi d’emblée leur style.

     

    En plus d’être une grande comédienne, Sandrine Bonnaire s’affirme donc ici comme une grande cinéaste en devenir. Elle filme la violence de la douleur avec une rage à la fois douce et âpre, sans jamais lâcher ses personnages tout comme cette douleur absolue ne les lâche jamais. Paradoxalement, un film qui fera du bien à tous ceux qui ont connu ou connaissent la douleur ineffable, étouffante et destructrice du deuil malgré un dernier plan d’une tristesse déchirante.

     

    Avec ce film dramatique, absolument bouleversant, entre drame familial et thriller, à la fois terriblement tendre et terriblement inquiétant, Sandrine Bonnaire met des images sur l’indicible douleur et donne à William Hurt et Alexandra Lamy leurs meilleurs rôles (un premier rôle et une nouvelle fois un beau personnage de mère qui montre toute l’étendue de l’immense talent de cette dernière, à la fois ici sensuelle et terrienne) et signe une première fiction sobre, palpitante, poignante, d’une maîtrise étonnante qui vous fera chavirer d’émotion pour ces beaux personnages enragés de douleur.

    6. "Louise Wimmer" de Cyril Mennegun

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    Je vous avais parlé de mon enthousiasme pour ce film, « Louise Wimmer » de Cyril Mennegun, suite au Festival international des jeunes réalisateurs de Saint-Jean de Luz 2011 dans le cadre duquel il était sélectionné en compétition. Depuis, le film a obtenu pas mal de récompenses. Il reste pour moi un des meilleurs films de l'année .

    Synopsis « officiel » : "Après une séparation douloureuse, Louise Wimmer a laissé sa vie d’avant loin derrière elle. A la veille de ses cinquante ans, elle vit dans sa voiture et a pour seul but de trouver un appartement et de repartir de zéro. Armée de sa voiture et de la voix de Nina Simone, elle veut tout faire pour reconquérir sa vie."-

    Louise Wimmer c’est une femme comme il y en a tant d’autres, que nous croisons sans le savoir, qui se drapent dans leur fierté pour dissimuler leurs malheurs. Son histoire se déroule par bribes, de judicieuses ellipses qui renforcent le caractère universel du sujet, dramatiquement actuel.

    Nous devinons qu’elle s’est retrouvée à la rue suite à une séparation, ce que tout son entourage ignore. Au lieu d’en faire une femme pitoyable, Cyril Mennegun dresse le portrait une femme noble et fière et même au départ un peu antipathique que le spectateur au fil du récit, l'accompagnant dans ses échecs révoltants, prend en empathie. Corinne Masiero incarne magistralement Louise Wimmer dont le visage âpre marqué par la vie en devient beau tant Cyril Mennegun la filme avec justesse, empathie, et dignité. Elle dévore l’écran, nous happe, tant elle donne corps et âme à cette femme qui ressemble à la fois à tant d’autres et aucune autre.

    Je partage l’émotion qui a submergé le délégué général du festival de Saint-Jean de Luz quand il a dû interviewer le réalisateur et son actrice juste après la projection. Une belle leçon d’humanité (mais qui, surtout ne se donne pas des airs de leçon). Sans oublier la musique de Nina Simone symbole de liberté et d’emprisonnement aussi puisque c’est la seule musique que Louise peut écouter et qui évoque la même beauté rude et douloureuse que celle de son personnage.

    Cyril Mennegun est avant tout réalisateur de documentaires et son expérience nourrit prodigieusement son film qui exhale de troublants accents de réalisme, sa caméra ne quittant pas cette femme. Un film plein de vie, de violence dramatiquement quotidienne aussi, empreint d’un regard jamais complaisant.

    Cyril Mennegun a ainsi raconté que c'est après avoir croisé, lors du tournage d'un documentaire, une femme qui s'appelait Corinne et vivait dans sa voiture, mais qu'il n'a "jamais pu filmer" et qu'il a "perdu assez vite", qu'est née l'idée du film, une histoire semble-t-il aussi proche de ce qu’a pu vivre la comédienne (que Cyril Mennegun dit avoir découverte dans un téléfilm diffusé un soir à la télévision). "Ce film est empreint de ce qu'elle est » a-t-il ainsi déclaré.

    Un film plein de vie et, comme elle et son incroyable interprète principale (Corinne Masiero), âpre et lumineux. Ce fut le premier grand choc cinématographique de cette année 2012, à découvrir absolument. La découverte d’un cinéaste qui rappelle les plus grands cinéastes du réalisme social britannique et d’une comédienne qui porte ce film magnifiquement bouleversant et tristement universel, et qui s’achève sur une note d’espoir d’une beauté aussi simple que ravageuse.

    7. "Les Adieux à la Reine" de Benoit Jacquot

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    Benoit Jacquot aime adapter des romans et mettre en scène des femmes comme protagonistes de ses films : Virginie Ledoyen dans « La Fille seule », Judith Godrèche dans » La Désenchantée » Isabelle Huppert dans « Villa Amalia », « L'École de la chair », « Les Ailes de la colombe », « Pas de scandale », Isabelle Adjani dans « Adolphe »…

    Son dernier film, « Les adieux à la reine », ne déroge pas à la règle puisqu’il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Chantal Thomas, et puisque c’est à travers le regard paradoxalement innocent et clairvoyant de la jeune Sidonie Laborde ( Léa Seydoux), jeune lectrice entièrement dévouée à la Reine (Diane Kruger) que nous voyons Versailles, en 1789, à l’aube de la révolution. L’insouciance et la désinvolture y règnent encore tandis que, à l’extérieur, la révolte gronde. Quand la nouvelle de la prise de la Bastille arrive jusqu’à la Cour, le château se vide. Nobles et serviteurs s’enfuient. Entièrement dévouée à la Reine par qui elle se croit protégée, Sidonie souhaite rester. Benoit Jacquot nous fait vivre à ses côtés ses trois derniers jours à Versailles, les 14,15, 16 juillet 1789 : la fin d’une époque.

    Comme souvent, Benoit Jacquot met en scène une réalité étouffante, la solitude de ses personnages et le désir de fuite mais quand cette réalité est celle de Versailles filmé avec une modernité et un réalisme étonnants, cela devient absolument passionnant.

    Dès les premiers plans, il capte ainsi notre intérêt et notre empathie en nous mettant à la place de Sidonie (souvent filmée de dos) qui, en trois jours, va grandir en découvrant toute la violence redoutable de Versailles, la lâcheté, la vanité, derrière les visages poudrées, derrière les masques qui tombent.

    Que vous aimiez ou pas les films historiques, celui-ci vous happera pour vous conduire dans les dédales mystérieux et inquiétants de Versailles pour ne plus vous lâcher jusqu’à la dernière seconde. D’abord parce que c’est un Versailles loin des clichés que nous fait ici découvrir Benoit Jacquot. Personnage à part entière, Versailles est filmé comme une prison dorée au vernis qui se craquèle, souvent moins clinquante que les fastes de la cour le laissent imaginer, et c’est à travers Versailles, lieu d’un huis-clos étouffant, que nous sont relatées ces trois journées historiques mais c’est aussi la brillante métaphore d’un monde qui se meurt, pourri de l’intérieur, tout comme cet étang apparemment impassible est gangréné par les rats, ou ces tenues dorées sous lesquelles sévissent les moustiques.

    A l’image de la monarchie et de la noblesse, Versailles se décompose et derrière l’étincelante galerie des glaces se cachent des couloirs étroits, sombres et humides filmés comme un gouffre obscur et menaçant, tout comme derrière les visages poudrés et les fastes de la cour se dévoile un monde en décomposition. La caméra frémissante de Benoît Jacquot épouse et métaphorise ces frémissements et est si précise qu’il nous donne l’impression de ressentir l’humidité glaçante des couloirs de Versailles où grouille toute cette vie souterraine et fourmillante d’une noblesse qui préfère rester tapie dans des appartements délabrés dans l’ombre du roi plutôt que de vivre à la lumière de ses châteaux, une noblesse qui se contente de cette vie obscure dans l’ombre du roi avec l’obsessionnel espoir de quérir un peu de sa lumière. Intemporelle valse des courtisans qui en plus de la fin d’un monde nous parle du nôtre grâce à la modernité de la mise en scène et du jeu des acteurs qui brouillent judicieusement les repères temporels…

    Ensuite, les relations troubles entre les trois femmes (la Reine, Sidonie et Madame de Polignac incarnée par Virginie Ledoyen) composées de domination, d’admiration, de manipulation, d’obsession sont absolument passionnantes car elles résument aussi toute la complexité de cet esprit de cour et des sentiments condamnés par l’intérêt et l’image, le souci des apparences là encore finalement très contemporain. Ces plans de courtisans qui courent pour apercevoir le Roi ou la Reine ou être aperçus d’eux rappellent une époque beaucoup moins lointaine avide d’images et qui s’aveugle dans l’admiration vaine et outrancière d’une autre royauté.

    Diane Kruger incarne cette reine frivole (qui pense à un nouveau motif pour ses vêtements quand le peuple meurt et gronde, quand son monde périclite) et capricieuse, prisonnière de Versailles comme de ses bracelets accrochés à ses poignets, qui passe d’un état à l’autre, tantôt horripilante, tantôt bouleversante, comme lorsqu’elle trône, terriblement seule et majestueuse, dans cette pièce soudain tristement luxueuse, illuminée par le feu d’une cheminée, déchirant des lettres, tandis que les vautours rôdent déjà. Symbole d’une époque et d’un monde qui chancèlent, image bouleversante de beauté, de mélancolie, de cruauté mêlées.

    Léa Seydoux, avec son visage diaphane, son regard déterminé, est absolument parfaite dans ce rôle de jeune lectrice qui, en trois jours, va vivre un parcours initiatique, passer de l’innocence à la conscience de la dure réalité, de quelqu’un à personne, et qui va fuir dans l’ombre d’une forêt, autant dire mourir puisqu’elle ne vivait que dans l’ombre lumineuse de la Reine et ces adieux à la Reine résonnent douloureusement comme des adieux à une époque, à un monde, à la vie.

    Une autre excellente idée est d’avoir concentré l’action sur trois jours, trois jours au cours desquels Versailles passe de la frivolité à la panique. La caméra frénétique de Benoit Jacquot renforce ce sentiment de tension palpable et crée un suspense captivant.

    Ajoutez à cela l’excellent scénario de Gilles Taurand, la musique de Bruno Coulais, la caméra vacillante de Benoit Jacquot à l’image de ce qu’elle enregistre, ce monde qui chancèle, et vous obtiendrez un des meilleurs films de cette année, passionnant du début à la fin, férocement moderne, cruellement réaliste, magnifiquement mélancolique, la brillante métaphore de la fin d’un monde, et de l’éternelle valse pathétique des courtisans qui, pour satisfaire leur orgueil et un peu de lumière ( celle de la richesse mais surtout de la célébrité) sont prêts à tout, au mépris des autres et parfois de leur propre dignité. Un tableau d’une tragique élégance aussi fascinant que terriblement cruel et mélancolique, historique et contemporain, instructif et intemporel.

    8. "Elle s'appelle Ruby" de J.Dayton et V.Faris

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    Avec « Little miss sunshine » (dans lequel jouait d’ailleurs également le comédien Paul Dano aussi très marquant dans « There will be blood »), les réalisateurs Jonathan Dayton et Valérie Faris avaient obtenu le Grand Prix du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2006. Six ans plus tard est présenté à Deauville « Elle s’appelle Ruby », un film écrit par Zoe Kazan (petite-fille d’Elia) qui interprète ici le rôle féminin principal.

    Calvin (Paul Dano) est un romancier à succès, qui peine à trouver un second souffle et se trouve confronté à la terrible angoisse de la page blanche. Encouragé par son psychiatre à écrire sur la fille de ses rêves, Calvin voit son univers bouleversé par l’apparition littérale de Ruby (Zoe Kazan) dans sa vie, amoureuse de lui et exactement comme il l’a écrite et imaginée.

    Comme dans le mythe de Pygmalion et Galathée, dans lequel le sculpteur tombe amoureux de sa statue d’ivoire, Calvin va tomber amoureux de Ruby, l’étonnamment vivante création de son esprit.

    « Little miss sunshine » possédait déjà ce supplément d’âme et ce ton particulier qui avaient fait d’une histoire a priori simple un film séduisant, enthousiasmant, duquel vous sortiez le sourire aux lèvres. Ces films sont rares et « Elle s’appelle Ruby » en fait également partie, d’abord parce que c’est presque une leçon d’écriture et par là une sorte de mise en abyme puisque le film tout entier est une métaphore de la création, Ruby étant la création de l’imagination débordante de Calvin, créature qu’il façonne selon ses rêves, qui prend vie puis lui échappe pour, peut-être, ne plus lui appartenir.

    Un personnage qui aime Scott Fitzgerald, qui possède autant d’accents « Woodyalleniens » (Calvin consulte un psy, est plutôt maladroit avec l’existence et va trouver refuge dans ses rêves qui vont devenir réalité comme dans « La Rose pourpre du Caire » ou « Minuit à Paris ») était condamné à me plaire. Quant au personnage féminin, soigneusement écrit par Zoe Kazan, il ne se contente pas d’être une potiche mièvre (comme trop souvent dans les comédies romantiques) mais une jeune femme terriblement vivante.

    « Elle s’appelle Ruby » n’est pas seulement une splendide métaphore de l’écriture, des vicissitudes des artistes et des rapports entre le créateur et sa création (Zoe est en effet une forme de projection de Calvin, une vision idéalisée et l’amour qu’elle lui inspire fait écho à l’état extatique dans lequel peut plonger l’écriture) c’est aussi un film magnifiquement écrit, qui vous emporte, vous déroute, assimile la magie de l’amour et de l’écriture qui possèdent ce pareil pouvoir de vous emmener ailleurs, de vous transporter, une magie que possède aussi ce film.

    Tour à tour bouleversant ( comme dans cette scène où Calvin « dicte » ses actes à sa créature, dans un tourbillon violent et déchainé, presque cruel, une sorte de danse endiablée), irrésistible ( la scène avec la mère et le beau-père de Calvin dont je vous laisse découvrir les interprètes), plein de fantaisie (dans les dialogues, les situations mais aussi la bo avec notamment « ça plane pour moi » de Plastic Bertrand), « Elle s’appelle Ruby » est un feel-good movie qui entrelace avec subtilité tragédie et comédie. Une comédie romantique atypique pleine de charme, de délicatesse, d’intelligence qui vous rappelle que aimer c’est laisser libre (comme créer consiste à libérer sa création) et que rêver, inventer est sans doute le plus magique des pouvoirs même s’il n’est pas sans périls. Un hymne poétique et sensible à la magie délicieusement périlleuse de l’amour et de l’écriture à découvrir absolument en salles le 3 octobre 2012.

    9.« Dans la maison » de François Ozon

     

    Comme je le fais avec certains de ses ainés (Resnais, Téchiné…) du cinéma français, je m’efforce (très doux effort, d’ailleurs) de ne manquer aucun film de François Ozon, promesse toujours d’une promenade dans les méandres de son imagination fertile servie, toujours aussi, par une réalisation maligne, complice ou traitre, qui nous conduit dans les secrets, souvent enfouis ou inavoués, de l’intérieur…des âmes et/ou des habitations. Et justement, ce nouveau long-métrage librement adapté de la pièce espagnole de Juan Mayorga intitulée « Le Garçon du dernier rang » s’intitule « Dans la maison ».

     

    Cette maison, c’est celle dans laquelle s’immisce un garçon de 16 ans, Claude (Ernst Umhauer), celle d’un élève de sa classe, Rapha(ël). C’est ce qu’il commence à raconter à son professeur de français, Germain Germain (incarné par Fabrice Luchini) dans une rédaction, un devoir donné par ce dernier demandant à ses élèves (pardon : ses apprenants) de raconter leur week end. Plus doué que les autres dont les rédactions ne sont qu’une suite de banalités désespérantes, l’élève attire son attention par son intelligence malgré (à cause de ?) son mépris de « l’odeur de la femme de la classe moyenne ». La rédaction se termine par « A suivre ». Et des suites, il y en aura beaucoup. Reprenant goût à l’enseignement, Germain le professeur aigri, écrivain raté, continue à donner des cours particuliers et à demander des rédactions à son brillant élève qui dénote parmi ses élèves à uniformes (et uniformisés) et qui continue ainsi à lui raconter et/ou inventer les suites de son aventure et de son intrusion dans la maison. Germain va alors devenir le complice, le manipulateur et la victime de cette brillante rédaction/manipulation à suivre encore et toujours…

     

    « Dans la maison » commence avec Germain, professeur sans histoire(s), dans le hall vide et austère du lycée, à l’image de son existence, un premier plan auquel le dernier très hitchcockien (je ne vous dirai évidemment pas en quoi il consiste), au contraire riche d’histoires, fait brillamment écho. Entre les deux, François Ozon, s’amuse avec les mots, rend hommage à leur prodigieux pouvoir, à leur troublante beauté, nous donne des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipule tout comme son élève manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme. Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités : Germain Germain, les deux jumelles (très courte mais irrésistible apparition de Yolande Moreau) et évidemment la plus maligne et féroce d’entre toutes, le spectateur et Germain pareillement manipulés, voyant leur curiosité aiguisée par un autre duo Claude/Ozon.

     

    Et c’est ce qu’est avant tout ce nouveau film de François Ozon : une brillante leçon de manipulation et (donc) surtout d’écriture et de scénario (de ce point de vue comme le prolongement de « Swimming pool » et, dans une moindre mesure, de « Sous le sable »). Tout comme Germain donne un cours d’écriture à Claude en lui parlant de personnages, d’objectifs et de conflits ou encore de ce en quoi consiste une bonne fin (« Quand le spectateur se dit Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement »), Ozon nous en donne une à nous aussi, en ne suivant justement pas ce schéma habituel, pour mieux nous dérouter, manipuler, et maintenir ainsi constamment le suspense, la surprise, voire l’emprise. Nous sommes sa marionnette consentante, dans la même situation que Germain, avides de connaître ce que cache ce « A suivre », Claude étant d’ailleurs, plus qu’un brillant écrivain, surtout très habile pour encourager la fibre voyeuriste de son lecteur (enfin, de ses lecteurs, puisque Germain lit tous ses textes à son épouse). Ce n’est évidemment pas un hasard si Germain et cette dernière vont au cinéma pour voir « Match point » de Woody Allen, la plus brillante des leçons de scénario et manipulation qui soit (critique en bonus à la fin de cet article, avec celle de « Potiche » également de François Ozon).

     

    Et puis, surtout, Ozon s’amuse. Avec les mots, faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Avec les noms propres (Germain Germain). Avec les codes de l’art : son absurdité, parfois (scènes irrésistibles dans la galerie de l’épouse de Germain interprétée par Kristin Scott Thomas) et sa beauté, souvent (« L’art nous éveille à la beauté des choses » ). Cela pourrait devenir un thriller mais Ozon se contente d’une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir dériver vers le drame, toujours latent, retenant ainsi constamment notre attention. Riche de ses influences et références : de Pasolini (« Théorème ») à Hitchcock (« Fenêtre sur cour »), ce nouveau film de François Ozon se situe quelque part entre Chabrol et Polanski mais surtout témoigne de son style bien à lui prouvant, si besoin en était, la vitalité du cinéma français qui compte parmi les meilleurs films de cette année ( dans des genres différents : « J’enrage de son absence », « Une bouteille à la mer », « Vous n’avez encore rien vu », « Les Adieux à la reine », « Comme des frères »… ).

     

    Le jeu trouble des acteurs, les angles changeants de la caméra (souvent trompeurs et doubles, eux aussi) permettent de brouiller les repères et de mêler les genres cinématographiques, les perceptions, la fiction et la réalité, de s’amuser avec ce jeu dangereux et délectable qu’est l’écriture, avec les clichés aussi. Clichés d’une famille qui semble tout droit sortie d’une sitcom avec sa maison à la décoration proprette, le père incarné par un Denis Ménochet moustachu et réjouissant (qui se prénomme Rapha comme le fils, brouillant là aussi d’autres repères) obsédé par la Chine et le basket, le fils totalement insipide, et la mère (Emmanuelle Seigner, parfaite dans ce contre-emploi de femme au foyer) constamment plongée dans ses magazines de décoration, caricatures de la classe moyenne vue par l’esprit arrogant de Claude.

     

    Puis il y a Luchini, plus juste que jamais, cet amoureux des mots, sublimes et périlleux, auxquels Ozon rend si bien hommage, citant justement les auteurs que l’acteur aime tant : La Fontaine, Flaubert, Céline, ou encore Dostoïevski (à qui Woody Allen faisait d’ailleurs largement référence dans « Match point ») qui transpose « des êtres pathétiques, nuls, en personnages inoubliables ». Je vous reparlerai de Luchini et de l’amour des mots demain avec mon compte-rendu de la Master class de Jean-Laurent Cochet, le maître de l’acteur qui continue d’ailleurs de le citer régulièrement.

     

    Un film particulièrement bien écrit (sans l’être trop, écueil particulièrement difficile à éviter avec un film sur l’écriture), brillant et ludique, un labyrinthe (avec et sans minotaure) joyeusement immoral, drôle et cruel, une comédie grinçante et un jeu délicieusement pervers, qui ne pourra que plaire aux amoureux de la littérature et de l’écriture qui sortiront de la salle heureux de voir que, toujours, le cinéma et l’écriture illuminent (ou, certes, dramatisent) l’existence et, en tout cas, sortent vainqueur, et peut-être sortiront-ils aussi en ressassant cette phrase : « Même pieds nus la pluie n’irait pas danser ». A suivre…

    10. "De rouille et d'os" de Jacques Audiard

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    Ali (Matthias Schoenaerts) se retrouve avec Sam, 5 ans son fils qu’il connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur (Corine Masiero) à Antibes. Elle les héberge dans le garage de son pavillon, elle s’occupe du petit. A la suite d’une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie (Marion Cotillard). Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone. Stéphanie est dresseuse d’orques au Marineland. Il faudra que le spectacle tourne au drame, que Stéphanie perde ses jambes, pour qu’un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau. Lors de la conférence de presse Jacques Audiard a ainsi évoqué des « destins simples magnifiés par les accidents », « une histoire d’amour des années de crise », « deux personnages qui tentent de s’extraire de leurs conditions. »

    Jacques Audiard revient ainsi sur la Croisette et en compétition officielle avec « De rouille et d'os », adapté d’une nouvelle de Craig Davidson après avoir remporté le prix du Meilleur Scénario pour « Un héros très discret » lors de l'édition 1996 du festival, et le Grand Prix du Jury pour « Un prophète », il y a 3 ans. Cette fois, il revient avec une histoire d’amour entre deux êtres blessés (mais les personnages d’Audiard le sont finalement toujours), et comme toujours chez Audiard, pas forcément immédiatement aimables mais emportant progressivement notre adhésion. Son cinéma est à l’image de ce film et de ces deux personnages : un mélange habile et poignant de rudesse et de délicatesse. C’est un film de sensations, de chair, de corps, de sang. Le corps meurtri de Stéphanie face à celui presque animal d’Ali. Le corps brutalisé et filmé avec délicatesse, caressé presque par la caméra de Jacques Audiard (comme par le regard de Stéphanie). La dureté sublimée par une douce lumière et une chaleureuse atmosphère qui atténuent la violence (sociale) ravageuse du film. « J’ai horreur de la violence. Curieux de dire que j’ai horreur de la violence et d’y revenir tout le temps » a ainsi déclaré Jacques Audiard, ce midi, en conférence de presse.

    Bien qu’ils soient très différents dans leurs manières de filmer, ce film d’Audiard en particulier m’a fait penser au cinéma des Dardenne qui, eux aussi, mettent en scène des êtres cabossés par la vie et la société (avec certes beaucoup plus de réalisme, évidemment), dont les enfants sont souvent les involontaires victimes, et ils ont bien sûr en commun une remarquable direction d’acteurs, et une force de la mise en scène, aussi différentes soient-elles.

    C’est un film de contrastes et d’évolutions. De l’arrogance, ou du moins du contrôle à l’abandon. De l’impossibilité de s’exprimer à la possibilité de dire les plus beaux mots qui soient. Et surtout de la solitude à la réconciliation avec leurs proches (sœur, enfant) et avec eux-mêmes.

    Un film âpre et plein d’espoir. De rouille et d’os. De chair et de sang. De rudesse et de délicatesse. De douceur et de violence. De troublants paradoxes pour un troublant film. Des contrastes à l’image de ceux de l’esthétique du film. Le (magnifique montage) met en exergue et oppose les sons, les silences, les corps, le contrôle, l’abandon. Ajoutez à cela une bande originale réussie, de la musique de Desplat à « Firework » de Katy Perry. Deux acteurs extraordinaires et extraordinairement dirigés. Comme dans « Bullhead », c’est l’animalité de son personnage que fait ressortir ici Matthias Schoenaerts, mais ici, au contraire de son personnage dans le film qui l’a révélé, il va aller vers la parole, l’humanité. Son personnage concentre aussi les contrastes du film, de même que celui de Marion Cotillard. Tous deux sont bouleversants de justesse, de dureté et de douceur, d’humanité et d’animalité, et en tout cas de fragilité masquée.

    Marion Cotillard était ainsi visiblement très heureuse d’être à Cannes. Lors de la conférence de presse, elle a ainsi déclaré : « C’est ma première fois dans un film en compétition officielle à Cannes. Je ne pensais pas que ça allait me rentre si joyeuse. C’est un festival mythique qui a vu tellement de grandes histoires, de grands acteurs, de grands artistes et je suis particulièrement heureuse d’y être avec le film de Jacques» tandis que Matthias Schoenaerts a déclaré à son propos « C’est une comédienne exceptionnelle. On va dans l’absolu ». Pour Jacques Audiard, « Marion est une actrice très virile et sensuelle en même temps. Elle a une autorité dans le jeu. Elle est capable de passer de l’autre côté du mur ». Signalons enfin la présence de Corinne Masiero (dans le rôle de la sœur d’Ali), révélée par le personnage de Louise Wimmer dans le film éponyme de Cyril Mennegin.

    Le Festival de Cannes commençait très fort avec ce film qui aurait pu prétendre à tous les prix, ou presque. Un film coup de poing qui fut aussi mon premier coup de cœur de cette édition 2012. Un film sensoriel magistralement monté, joué, pensé et mis en scène.

    11. "Amour" de Michael Haneke

     

     

     

    « Amour » de Michael Haneke présente plusieurs points communs avec mon autre coup de coeur du Festival de Cannes 2012 ( « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire, présenté à la Semaine de la Critique) malgré des différences formelles évidentes: d’abord leurs titres pourraient être interchangeables et ensuite parce que j’ai été submergée par l’émotion par ces deux films. Enfin, l’un et l’autre parlent d’amour inconditionnel et de la violence de l’absence, du départ, du silence. En bonus, retrouvez également, en bas de cet article, ma critique de l’autre palme d’or de Michael Haneke « Le ruban blanc ».

     

    Mais revenons à « Amour », film au titre à la fois sobre, sibyllin et prometteur dans lequel Isabelle Huppert interprète la fille de Georges (Jean-Louis Trintignant) et d’Anne (Emmanuelle Riva), deux octogénaires, des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Egalement musicienne, elle vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.

     

    Dès le début, la gravité, l’austérité, le dénouement inéluctable s’imposent. La caméra explore les pièces d’un appartement pour arriver dans une chambre où une femme âgée git, paisible, morte. Puis, flashback: le couple rentre d’un concert de musique classique dont on ne voit d’ailleurs que les spectateurs comme un miroir de ce que nous allons être pendant tout ce film, les spectateurs de l’envers du décor, de ce que la société préfère habituellement cacher, dissimuler. Lorsqu’ils rentrent, ils constatent que leur porte a été vraisemblablement forcée. Les prémisses d’une tragédie, d’un huis-clos dramatique. Un étranger s’est immiscé dans leur doux quotidien. La mort qui va peu à peu tisser sa toile.

     

    La tendresse de leurs gestes, la manière dont ils s’excusent constamment, se considèrent, se regardent, semblent se découvrir encore, ne s’être pas tout raconté, avoir encore des secrets et plus que jamais des égards l’un pour l’autre, tout dit un amour qui n’a pas pris une ride mais qui s’est renforcé face aux épreuves de la vie. Notre souffle est suspendu, notre attention est captée, capturée, par ces gestes a priori anodins qui témoignent de leur amour indéfectible et magnifique. Leurs visages rayonnent, nous font oublier le poids des ans.

     

    Cela pourrait être le couple d’ « Un homme et une femme », 46 ans plus tard (Emmanuelle Riva s’appelle d’ailleurs Anne comme Anouk Aimée dans le film de Claude Lelouch). Bien entendu, le cinéma d’Haneke, si épuré, est très différent de celui de Lelouch, si lyrique, mais ces détails qui disent tant et auxquels notre souffle est suspendu les rapprochent ici (au risque d’en heurter certains). L’opposé du couple du « Chat » de Granier-Deferre.

     

    Jusqu’où peut-on aller par amour ? L’amour, le vrai, ne consiste-t-il pas à tout accepter, même la déchéance, à aider l’être aimé jusqu’au dernier souffle ? Le sujet était ô combien périlleux. Si Haneke ne nous épargne rien de ces moments terribles comme lorsque cette femme belle et fière se transforme peu à peu en enfant sans défense, il place sa caméra toujours avec pudeur.

     

    Nous ne quitterons alors plus cet appartement pour un face à face douloureux, cette lente marche vers la déchéance puis la mort. Seules quelques visites comme celles de leur fille, d’un ancien élève, de voisins qui les aident, ou d’infirmières viennent ponctuer ces terribles instants, témoignant à chaque fois de maladresses, voire de cruauté involontaires. La scène de l’infirmière qui, avec une voix mielleuse, s’adresse à Anne comme à une enfant, la forçant avec une douce et d’autant plus terrible condescendance à se regarder dans le miroir est redoutablement juste et absolument terrible.

     

    Que dire de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva qui seraient à la hauteur de leurs bouleversantes prestations ? Le premier, qu’il raconte une anecdote sur son enfance, ou s’occupe d’Anne dans ses derniers instants avec une tendresse infinie (comment ne pas être bouleversé quand il lui raconte une histoire, lui caressant doucement la main, pour faire taire sa douleur, qu’elle hurle), est constamment juste, là, par un jeu d’une douce intensité. Ses gestes, sa voix, son regard, tout traduit et trahit son émotion mais aussi la digne beauté de son personnage qu’il dit être son dernier, ce qui rend ce rôle encore plus troublant et tragique. Quant à Emmanuelle Riva, elle fait passer dans son regard l’indicible de la douleur, de la détresse, après avoir fait passer la fierté et la force de cette femme debout, cette âme forte qui se transforme peu à peu en un corps inerte, pétri de douleurs.

     

    Un film tragique, bouleversant, universel qui nous ravage, un film lucide, d’une justesse et d’une simplicité remarquables, tout en retenue. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse. C’est aussi ce qu’il nous reste de ce film, l’essentiel, l’Amour avec un grand A, pas le vain, le futile, l’éphémère mais l’absolu, l’infini.

     

    Trois ans après sa palme d’or pour « Le ruban blanc », Michael Haneke méritait évidemment de l’obtenir à nouveau pour ce film éprouvant et sublime, d’une beauté tragique et ravageuse que vous hante et vous habite longtemps après la projection, après ce dernier plan d’une femme seule dans un appartement douloureusement vide. Un film d’Amour absolu, ultime. Et puis il y a la musique de Schubert, cet Impromptu que j’ai si souvent écouté et que je n’entendrai sans doute plus jamais de la même manière. Je crois qu’il me faudra un peu de temps encore pour appréhender pleinement ce film. Les mots me manquent encore.

    12. "Comme des frères" d'Hugo Gélin

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    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     

    « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

     

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d’ailleurs présentait aussi cette qualité: « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l’homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     

    Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     

    Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     

    Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     

    Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

     

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n’en savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu’une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

     

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie lumineuse, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d’ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et la comédie tendrement mélancolique de l’année qui, comme chez Claude Sautet, célèbre l’amitié, qu’elle soit amoureuse ou plus fraternelle et vous fait furieusement aimer la vie. Alors, n’attendez plus, allez voir sans hésiter Boris, Elie, Maxime et les autres!

     

    « Comme des frères » vient d’être récompensé aux festivals de cinéma de La Réunion et de Sarlat et Pierre Niney fait partie des révélations pour le César du meilleur espoir masculin 2013.

    13. « Au-delà des collines » de Cristian Mungiu

     

    « Alina (Cristina Flutur) revient d’Allemagne pour y emmener Voichita (Cosmina Stratan), la seule personne qu’elle ait jamais aimée et qui l’ait jamais imée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est difficile d’avoir Dieu comme rival. »

    Ce film s’inspire de deux livres de la journaliste Tatiana Niculescu qui traitaient de l’affaire dite de Tacanu, de 2005 : une jeune religieuse schizophrène avait été retrouvée morte après un exorcisme.

    Certaines des jurées du Prix Elle auquel ce film concourait et dans le cadre duquel je l'ai découvert l'ont trouvé lent et ennuyeux alors, que, au contraire, je n’ai pas vu passer ses 2H30 tant chaque plan d’une beauté –souvent sombre-picturale, trouve sa justification ultérieure, tant chaque seconde du film apporte un élément comme une preuve accablante, tant cette lenteur aussi concilie la forme et le fond, reflétant ainsi le rythme de vie au ralenti de ce couvent chrétien orthodoxe mais aussi cette forme de lancinante indifférence qui se révèlera meurtrière.

    La situation de l’intrigue dans ce couvent importe (presque) peu, le réalisateur ne condamne pas forcément plus la religion que tout autre groupe. Sa portée est beaucoup plus universelle et peut s’appliquer à n’importe quel groupe dans lequel l’indifférence peut tuer (une dictature comme celle qui exista en Roumanie), dans lequel le silence ou l’effet de groupe peuvent être meurtriers.

    Le souci du détail, la véracité qui en émane lui procurent un intérêt presque documentaire et les longs plans séquences parfois fixes sont d’une justesse et parfois d’une cruauté (non à cause de ce qui se passe mais plutôt à cause de ce qui ne se passe pas) terrifiantes. Le film fait aussi preuve d’un symbolisme appuyé qui se justifie ici entièrement par le fait que la religion est justement affaire de symboles.

    Une histoire de foi redoutablement universelle empreint de l’implacable douleur d’un meurtre commis par innocence. Un double prix d’interprétation à Cannes entièrement justifié tant les deux protagonistes semblent vivre et non jouer, que ce soit la retenue pour l’une, la fougue pour l’autre, avec des regards pareillement enflammés par une foi (en l’amour, en Dieu) différente pour chacune. Bouleversant. Cinq ans après la palme d’or, ce film coproduit par les Dardenne méritait aussi son prix du scénario pour sa justesse et tant chaque seconde du film semble être « utile » (j’oserais même le comparer à un film policier dans lequel les preuves s’accumulent) et justifier son terrible dénouement.

    14. "J.Edgar"de Clint Eastwood

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    Clint Eastwood fait partie de ces réalisateurs dont j’essaie de ne manquer aucun film (il faut dire que, depuis 2005, il est particulièrement prolifique), en particulier depuis « Sur la route de Madison », sans aucun doute un des plus beaux films d’amour de l’histoire du cinéma (auquel je suis beaucoup plus sensible qu’à « Million dollar baby », trop larmoyant à mon goût). En 2010, avec « Au-delà » il avait déçu beaucoup de spectateurs (une déception que je ne partageais pas) alors que, pourtant, ce film était aussi, à l’image de « Sur la route de Madison », un hymne à ces instants fugaces et intenses qui modifient le cours du destin, mais aussi le message d’un homme hanté par la mort comme en témoignait aussi déjà « Gran Torino ».

    «Au-delà » n’est certes certainement pas le film trépidant que certains attendaient mais au contraire un film à hauteur d’hommes qui tisse peu à peu sa toile d’émotions en même temps que les destins de ses personnages et qui laisse une trace d’autant plus profonde et aboutit à un final d’autant plus bouleversant que le cheminement pour l’atteindre a été subtil et délicat et que tout le justifiait. Une réflexion sur la mort mais surtout un hymne à la vie (au-delà de la douleur, au-delà de la perte), à l’espoir retrouvé (qui n’est pas dans l’au-delà mais dans le dépassement de son appréhension et donc bel et bien là), à la beauté troublante et surprenante du destin.

    D’une certaine manière, dans « J.Edgar », Clint Eastwood réunit les thématiques des trois films évoqués ci-dessus : Gran Torino (la hantise de la mort et de la trace laissée après celle-ci), « Sur la route de Madison » (une histoire d’amour condamnée à l’ombre) et « Au-delà » (les rouages du destin).

    « J.Edgar » (Leonardo DiCaprio), c’est Hoover, cet homme complexe qui fut directeur du FBI de 1924 à sa mort, en 1972, soit pendant 48 ans. 48 années pendant lesquelles il a vu se succéder pas moins de 8 présidents. L’action du film débute ainsi dans les années 70. Pour préserver son héritage. Hoover dicte alors ses mémoires et se replonge dans ses souvenirs qui le ramènent en 1919. Il n’avait alors que 20 ans, était déjà ambitieux, orgueilleux et autoritaire et on ne le nommait pas encore J.Edgar.

    Dès les premiers plans, trois éléments qui ne se démentiront pas tout au long du film, sautent aux yeux du spectateur (aux miens, du moins) : la beauté sombre de la photographie de Tom Stern (fidèle chef opérateur de Clint Eastwood), l’art avec lequel Clint Eastwood s’empare du scénario de Dustin Lance Black pour entremêler passer et présent, et pour nous raconter brillamment une histoire et enfin le jeu stupéfiant et remarquable de Leonardo Di Caprio qui, bien au-delà du maquillage, devient Hoover. Au moins trois éléments qui font de ce film un bonheur cinématographique…même s’il n’est pas exempt de défauts comme certaines longueurs ou certaines scènes trop appuyées et mélodramatiques.

    Derrière ce que certains nommeront peut-être classicisme, Clint Eastwood démontre une nouvelle fois son habileté à tisser la toile du récit pour dresser le portrait complexe d’un homme dont la vie était basée sur le secret (ceux qu’il dissimulait et ceux des autres qu’il utilisait notamment ceux qu’il détenait sur les hommes du pouvoir qu’il manipulait sans scrupules, ce qui explique ici sa longévité à la tête du FBI) qui aspirait à être dans la lumière mais dont l’existence était une zone d’ombre, deux contrastes que la photographie de Tom Stern reflète magnifiquement. En un plan de Hoover sur son balcon, regardant les cortèges d’investiture de Roosevelt puis de Nixon, à plusieurs années de distance, il nous montre un homme dans l’ombre qui semble n’aspirer qu’au feu des projecteurs mais qui, aussi, de son piédestal, semble néanmoins être le démiurge de la scène qui se déroule en contrebas. Tout un symbole. Celui de ses contradictions.

    Si les agents du FBI aimaient se présenter comme les « gentils », la personnalité de Hoover était beaucoup plus complexe que l’image qu’il souhaitait donner de l’organisation qu’il dirigeait et de lui-même : avide de notoriété, recherchant l’admiration et l’amour de sa mère, dissimulant son homosexualité, manipulant les politiques. Pour lui « l’information, c’est le pouvoir ».

    Cette personnalité complexe (et ce qui conduisit Hoover à devenir J.Edgar) nous est expliquée à travers ses relations avec trois personnes : sa mère, Annie Hoover ( Judi Dench) qui lui voyait un destin et voulait qu’il compense les échecs de son père et dont il recherchera toujours l’admiration, sa secrétaire Helen Gandy (Naomi Watts) qui lui restera toujours fidèle depuis ses débuts et même après sa mort, et son directeur adjoint Clyde Tolson (Armie Hammer) avec qui il entretint vraisemblablement une liaison.

    Si l’histoire de Hoover nous permet de traverser l’Histoire des Etats-Unis, la seconde est bien en arrière-plan et c’est bien à la première que s’attache Eastwood, de son rôle dans l’instigation des méthodes modernes d’expertises médico-légales mais aussi à ses tentatives (vaines) pour faire tomber Martin Lurther King, son combat obstiné et même obsessionnel contre le communisme et évidemment la création du FBI et l’enlèvement du fils de Lindbergh, deux évènements qui témoignent de l’ambition de Hoover et de ses méthodes parfois contestables pour la satisfaire.

    Le film de Clint Eastwood épouse finalement les contradictions de son personnage principal, sa complexité, et a l’intelligence de ne pas faire de Hoover un héros, prétexte à un film à la gloire des Etats-Unis mais au contraire un personnage qui en symbolise l’ombre et la lumière et surtout ce désir d’être dans la lumière (manipulation des médias mais aussi propagande avec des albums de bd consacrés au FBI et des vignettes ornant les paquets de corn-flakes) comme le revers de la médaille d’un American dream dont l’image se voudrait lisse et irréprochable.

    La réussite du film doit évidemment beaucoup à celui qui incarne Hoover et qui tourne pour la première fois pour Eastwood : Di Caprio dont le maquillage n’est pour rien dans l’étonnante nouvelle métamorphose qui le fait devenir Hoover, avec sa complexité, son autorité, son orgueil, ses doutes qui passent dans son regard l’espace d’un instant, lorsque ses mots trahissent subitement son trouble et le font alors redevenir l’enfant en quête de l’amour de sa mère qu’il n’a finalement jamais cessé d’être derrière ce masque d’intransigeance et d’orgueil (très belle scène avec Noami Watts dans la bibliothèque du Congrès ou dans la suite avec Clyde, scènes au cours desquelles il passe d’une expression ou une émotion à une autre, avec une rapidité fascinante). Une nouvelle composition magistrale. Déjà dans « Shutter island », il était habité par son rôle qui, en un regard, nous plongeait dans un abîme où alternaient et se mêlaient même parfois, angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des "Noces rebelles" mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). Il n’avait pourtant obtenu l’Oscar du meilleur acteur pour aucun de ces deux films, il ne l’a d’ailleurs jamais obtenu. Est-ce possible que celui qui est sans doute le plus grand acteur actuel passe une nouvelle fois à côté ? J’avoue que mon cœur balance sachant que Jean Dujardin sera sans doute nommé face à lui pour « The Artist ». Vous pourrez aussi le retrouver bientôt dans une nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Fitzgerald « Gatsby le magnifique » même si je vous recommande surtout la version de Jack Clayton.

    En nous racontant avec une maîtrise incontestable des codes du récit l’histoire d’un homme soucieux du secret, de la trace qu’il laissera, de sa et ses mémoire(s) (et de sa subjectivité), de ses zones d’ombre, Clint Eastwood, par-delà la personnalité complexe et passionnante de Hoover traite d’un sujet particulièrement personnel (un homme qui se penche sur son passé, pétri de contradictions entre le culte du secret et l’envie d’être dans la lumière ) et universel et actuel (la manipulation des médias, le désir avide de notoriété). La marque d’un grand cinéaste. Et enfin, il permet à celui qui est le meilleur acteur actuel d’explorer une nouvelle facette de son immense talent et de trouver là un nouveau rôle, complexe et passionnant, à sa démesure et qui le mènera peut-être, enfin, à l’Oscar tant mérité.

    Retrouvez également cet article sur mon blog "In the mood - Le Magazine": http://inthemoodlemag.com/2012/01/06/cinema-critique-de-j...

    15. "L'homme qui rit" de Jean-Pierre Améris

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    Comme étais-je passée à côté de ce roman de Victor Hugo ? Mystère… La sortie du film a pour moi été l’occasion de cette magnifique découverte, d’un texte ardu mais passionnant, riche de multiples digressions, d’une langue admirable (évidemment), et surtout d’un personnage monstrueusement séduisant auquel tous ceux qui se sont un jour sentis différents pourront s’identifier : Gwynplaine sur lequel Jean-Pierre Améris a eu la bonne idée de centrer son film.

    Alors que la tempête de neige fait rage, Ursus (Gérard Depardieu), le forain en apparence revêche mais généreux, recueille deux orphelins dans sa roulotte. Le premier de ces deux orphelins, c’est Gwynplaine, un jeune garçon dont une cicatrice qui ressemble à un rire insolemment triste barre le visage, l’œuvre des Comprachicos (un mot qui est une invention de Victor Hugo provenant de l'espagnol comprar -qui signifie acheter- et chicos -qui signifie enfant- signifiant donc «acheteurs d’enfants»), spécialisés dans le commerce d'enfants, qu'ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. L’autre enfant, c’est Déa une petite fille aveugle que ce dernier a trouvée sur son chemin. Quelques années plus tard, ils sillonnent toujours les routes et présentent un spectacle dont Gwynplaine (Marc-André Grondin) alors adulte, est devenu la vedette, accompagné de Déa (Christa Théret), également sur scène. Partout, on souhaite voir « L’homme qui rit » celui qui fait rire et émeut les foules mais un autre théâtre, bien plus redoutable, celui de l’aristocratie, va l’éloigner de ceux qu’il aime et qui l’aiment…

    Hugo a écrit « L’homme qui rit » entre 1866 et 1869 durant son exil politique dans les îles Anglo-Normandes. Adapter les 750 pages de ce roman était un véritable défi tant le roman est foisonnant, allégorique aussi, et tant l’auteur digresse sur la politique, la philosophie et même l’architecture. Jean-Pierre Améris et Guillaume Laurant (notamment scénariste de films de Jean-Pierre Jeunet dont « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ») ont réalisé un incroyable travail d’adaptation et ont eu l’excellente idée de transposer le roman qui se déroule dans l’Angleterre du XVIIème sicèle dans un lieu et une époque imprécis (le film a été tourné en studios à Prague) et surtout d’en faire un conte sombre, et ainsi fascinant. Pour rendre l’histoire plus moderne et accessible, Jean-Pierre Améris a volontairement utilisé des éléments plus contemporains, pour les dialogues mais aussi pour les costumes, comme l'avaient fait Baz Luhrmann pour "Roméo et Juliette" ou Sofia Coppola pour "Marie-Antoinette".

    Dès les premiers plans dans la neige et la tempête, la poésie lugubre et la féérie sombre des images captivent. Du roman baroque d’Hugo Jean-Pierre Améris a fait une fable intemporelle d’une beauté triste mais ensorcelante. C’est un magnifique roman (et film) sur la différence, la dualité, entre blancheur et noirceur, entre beauté et laideur, entre théâtre et réalité, entre aveuglement et clairvoyance, des contrastes que l’esthétique du film souligne magnifiquement et dont elle souligne aussi les paradoxes. « Qu’est-ce que ça veut dire être laid ? Laid c’est faire le mal ! Toi tu me fais du bien », résume si bien l’aveugle et sensible Déa.

    La vie est à la fois sublimée et plus réelle sur les planches comme elle peut l’être dans « Le Carrosse d’or », « Les enfants du paradis », « Le dernier métro » et c’est là que l’amour impossible de Déa (la jeune aveugle qui voit la beauté de l’âme, allégorie simple et tellement magnifique) et Gwynplaine est le plus éclatant. La monstruosité, le théâtre, la noirceur se situent finalement dans la réalité et du côté de l’aristocratie comme dans le « Ridicule » de Patrice Leconte. « Ne quitte jamais les planches. Ici les gens t’aimeront, mais dans la vie réelle, ils te feront souffrir » le prévient pourtant Ursus mais pour son plus grand malheur, Gwynplaine ne l’écoutera pas…

    Jean-Pierre Améris (dont j’ai découvert le cinéma avec « C’est la vie » et « Poids léger » que je vous recommande vivement et dont le dernier film « Les Emotifs anonymes » était une comédie très réussie), pour son 12ème film, est une nouvelle fois attiré par une histoire de marginaux qu’il sait si bien comprendre et pour lesquels il sait si bien susciter de l’empathie. Il a ainsi fait de Gwynplaine un personnage éminemment séduisant : innocent, révolté, libre, d’une laideur attrayante. Gwynplaine est moins connu que Quasimodo et pourtant sa belle monstruosité a énormément inspiré les artistes, à commencer par Tim Burton pour « Edward aux mains d’argent ». Le film de Jean-Pierre Améris, sans jamais le singer, m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’univers du cinéaste américain par sa beauté baroque, entre rêve et cauchemar, par ses personnages d’une beauté étrange et fascinante (très felliniens, aussi), par sa mise en scène inspirée. Tim Burton n’était d’ailleurs pas le seul à avoir été inspiré par Gwynplaine. Les dessinateurs Jerry Robinson et Bob Kane reconnaissaient ainsi volontiers s’être inspirés de Gwynplaine pour le personnage du Joker, dans les comics Batman. Et le roman d’Hugo est longuement évoqué dans « Le Dahlia noir » de James Ellroy, présent également dans l'adaptation cinématographique de Brian De Palma.

    C’est aussi un très bel hymne à la différence, et à ceux qui se battent pour les autres (Hugo était un écrivain engagé, Jean-Pierre Améris, l’est aussi à sa manière dans chacun de ses films ou même teléfilms comme « Maman est folle »). Magnifique scène de la tirade au Parlement ! Il s’agit d’un discours exalté dans lequel Marc-André Grondin met beaucoup d’éloquence et de conviction : « Ce qu’on fait à ma bouche, c’est ce qu’on fait au peuple. On le mutile » dit-il notamment (le texte, magnifique, est là repris de Hugo). Marc-André Grondin apporte toute sa beauté, sa fraîcheur à ce homme bouleversant caché derrière ce masque tragiquement rieur, se mettant ainsi à nu, dévoilant son visage mais surtout sa belle âme, face à la vraie monstruosité.

    Le film bénéficie aussi d’un casting impeccable : outre Marc-André Grondin, Gérard Depardieu impose sa force tranquille et sa générosité (au passage, que les pseudo-politiquement corrects laissent tranquille cet homme terriblement libre, vivant, cet immense artiste, plutôt que d’utiliser sa vie personnelle pour, probablement, exprimer une certaine rancœur, voire jalousie, et qu’ils s’engagent et mettent leur énergie vindicative au service de causes qui en sont vraiment). J’espère que cela permettra aussi à certains de découvrir Swann Arlaud que j’avais découvert au Festival de Cabourg dans le court-métrage « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix dans lequel il incarne admirablement un personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse. Emmanuelle Seigner est une incarnation sublime de la tentation diabolique et finalement, malgré tout, touchante (comme chez Hugo, même ou car monstrueux, ses personnages restent humains), et comme elle le dit elle-même, le visage de Gwynplaine est le reflet de son âme sombre. Enfin, Christa Théret dont le visage est si expressif (à voir aussi absolument dans « Renoir », dans un rôle très différent dans lequel elle excelle également) est la tentation angélique, incarnation du mélange de force et de fragilité, d’aveuglement et de clairvoyance.

    Mon seul reproche concerne le montage, et la durée, l’impression que la fin est un peu brusque…et que sans digresser autant que le fait Hugo dans son livre, le film aurait encore gagné en densité en gagnant un peu en longueur.

    Ce film est néanmoins vraiment un enchantement, un enchantement mélancolique, la forme reflétant ainsi le fond et toutes les sublimes dualités que l’histoire recèle. C’est aussi un opéra moderne ( la musique a été enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens et elle apporte une force lyrique au film) . C’est également une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle (elles sont trop rares au cinéma pour s’en priver). C’est enfin un film universel au dénouement bouleversant. N’ayez pas peur de l’humour grinçant, la noirceur, la tragédie, ils sont sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (pour peu que nous nous sentions un tout petit peu différents) et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant. La très belle surprise de cette fin d’année.

    Quelques citations extraites du livre « L’homme qui rit » de Victor Hugo, pour terminer :

    « Les aristocrates ont pour orgueil ce que les femmes ont pour humiliation, vieillir. »
    « De telles innocences dans de telles ténèbres, une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles qu'à l'enfance, et aucune immensité n'approche de cette grandeur des petits. »
    « Ca doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n'êtes, si vous pouvez. Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. »
    « Deux coeurs qui s'aiment, n'allez pas chercher plus loin la poésie; et deux baisers qui dialoguent, n'allez pas chercher plus loin la musique. »

    L’homme qui rit a été présenté en clôture de la 69ème Mostra de Venise

    Sortie en salles : le 26 décembre 2012

    Retrouvez également cet article sur mon site http://inthemoodlemag.com : http://inthemoodlemag.com/2012/12/21/avant-premiere-criti...

     

    A ce classement il faudrait ajouter d’autres coups de cœur (outre les coups de cœur en festivals évoqués dans l’article ci-dessus comme "Himizu" de Sono Sion) : « Laurence Anyways », "Reality" , « To Rome with love », « Royal affair ». Peut-être en ajouterai-je à cette liste puisqu’il me reste encore quelques films de cette année à rattraper.

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    Mes bilans des autres années :

    BILAN DE L'ANNéE CINEMA 2008

    Je vous donne rendez-vous dès demain pour mes premiers articles sur l’actualité cinématographique 2013 avec les critiques de « Renoir » de Gilles Bourdos (ainsi que le récit de la rencontre avec Michel Bouquet et des places à gagner pour le film) et « Django unchained » de Quentin Tarantino.

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